Jérôme Noirez
Anders Fager est un auteur venu du froid selon la formule consacrée par les littératures de polars et autres mauvais genres affiliés. Mais ce sont dans les domaines de l’imaginaire et plus spécifiquement dans le registre horrifique que notre auteur officie. Présenté comme un remarquable conteur à l’écriture incisive, ce dernier voit deux de ses recueils de nouvelles publiés en France chez Mirobole Éditions, Les Furies de Borås et La Reine en jaune, deux véritables pépites. Rencontre avec l’intéressé.

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LES FURIES DE BORÅS

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LA REINE EN JAUNE

Rencontre avec
Anders Fager,
Mirobole Éditions

Entretien réalisé par Franck Brénugat
Traduction réalisée par Jean-Philippe Lecomte

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Passionné de jeux de rôles et de plateaux, Anders Fager s’est d’abord illustré dans la création de ces derniers dans les années 1980, activité qu’il poursuit toujours aujourd’hui par l’intermédiaire de sa société Gottick. Le sieur est également connu pour avoir consacré quelques années au punk et au rock. C’est toutefois par l’écriture de nouvelles horrifiques que cet ancien historien de l’antiquité élargit sa visibilité auprès du public, en publiant en 2009 son premier recueil de nouvelles, Svenska kulter. Suivront deux autres recueils en 2011, Artöverskridande förbindelser et Du kan inte leva, regroupé dans le volumineux Samlade svenska kulter, également publié en 2011. C’est du côté de Mirobole Éditions qu’il faudra se tourner en France afin de pouvoir se frotter au remarquable talent de cet auteur suédois, avec les titres Les Furies de Borås et La Reine en jaune, deux recueils de nouvelles, dont le dernier se voit attribuer une nomination au Prix Imaginales 2018. L’auteur y déploie un sens aiguisé de la formule, une parfaite maîtrise narrative, épaulée par un humour des plus cinglants confinant à la jubilation. S’emparant volontiers des thèmes lovecraftiens, Anders Fager réactualise ces derniers avec une rare intelligence. Les récits fagériens nous plongent dans les abysses de l’indicible, où déviances et inquiétantes étrangetés se manifestent sous les aspects protéiformes les plus inattendus. Retour sur ce travail en compagnie du principal intéressé. Nos remerciements à Mirobole Éditions pour avoir permis cet entretien.

lefictionaute : Comment êtes-vous tombé amoureux du fantastique en général et de la littérature fantastique en particulier ? Comment s’est faite votre rencontre avec Lovecraft ?

Anders Fager : Je pense que c’est lié au fait d’avoir grandi dans une banlieue assez austère de Stockholm dans les années 70. À l’époque, en Suède, tout était très matérialiste et ordonné dans un style « RDA allégée », mais il y avait cette étagère de livres de science-fiction à la bibliothèque qui se présentait comme une fenêtre vers un autre monde. Les alunissages avaient eu lieu vers mes cinq ans et tout paraissait incroyablement différent et attrayant. J’ai « rencontré » Lovecraft quand je suis tombé sur le jeu de rôle The Call of Cthulhu, lequel a fait forte impression sur moi — et sur bien d’autres — en 1982. Mais j’ai réalisé plus tard que j’avais lu Le Chien des Baskerville vers mes dix ans et que j’avais été mort de peur — je n’ai jamais aimé les chiens et je suppose que cette lecture n’y est pas étrangère.

Les littératures de la science-fiction et de la fantasy vous parlent-elles ? Est-ce un registre pour lequel vous aimeriez écrire ?

Je ne lis pas beaucoup de l’un ni l’autre. Je ne lis pas de fiction du tout d’ailleurs. J’ai trop de travail et quand je me détends, je lis en général des ouvrages historiques ou des biographies. Je ne pense pas écrire un jour des livres de fantasy. Je pense que c’est trop pompeux pour moi. Si jamais je le faisais, ce serait sous la forme d’histoires courtes, à l’instar des histoires de Conan, ou quelque chose du genre. J’ai écrit une excellente nouvelle de science-fiction, Queer Noveau 2.0 qui parle de Paris et d’aliens, de sexe et de drogues. C’est un véritable petit chef-d’œuvre et j’espère que quelqu’un la traduira en français. Le public français le vaut bien.

On sent poindre dans certains de vos textes une critique acide à l’égard de nos sociétés occidentales modernes. Quel regard portez-vous sur celles-ci ?

Je ne pense pas critiquer volontairement la société. Je trouve en revanche très intéressant le fait que des gens voient une critique et peut-être une interprétation de la société moderne dans mes écrits. D’une certaine façon, cela en dit plus sur l’interprète que sur moi. Je ne fais pas de critique volontaire, mais peut-être les lecteurs souhaitent-ils que j’en fasse.

Au regard de cette confrontation du Barbare et du Civilisé qui opposent Howard et Lovecraft, laquelle des deux conceptions vous séduit le plus ?

Je dirais que Lovecraft et Howard sont tous deux des gens plutôt civilisés, vous ne pensez pas ? Leur différence est plus dans la façon dont ils réagissent à l’instinct animal et à la nature humaine. Là où Howard érotise de manière très homoérotique ses guerriers barbares féroces, Lovecraft a une peur bleue de tout cela. Il rêve de la vie d’avant les Révolutions, avant que tout ne devienne si compliqué. Ils portent tous deux un regard très ancré dans les années 20, sur un univers qui se trouve en dehors du monde civilisé et — pour eux — sain. L’horreur est en réalité remplie de ces hommes solitaires qui ont peur des choses. Et je ne me considère en ce sens ni howardien ni lovecraftien. Je n’ai peur ni du présent, ni des femmes, ni des étrangers. J’accueille tout cela et je tente de sélectionner le meilleur de l’intelligence barbare et civilisée. Tout cela est bien profond, vous ne trouvez pas ?

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Les Furies de Borås — © Éditions Mirobole Éditions, 2013 — © Anders Fager, 2009 — Traduction Carine Bruy

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La Reine en jaune — © Éditions Mirobole Éditions, 2017 — © Anders Fager, 2011 — Traduction Carine Bruy

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Krig ! Barn ! — © Éditions Eloso, 2019 — © Anders Fager, 2019

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För Gudinnan — © Éditions Fria Ligan, 2017 — © Anders Fager, 2017

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Smutsig svart sommar — © Éditions Pagina, 2016 — © Anders Fager, 2016

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En man av stil och smack — © Éditions Wahlstöm & Wistrand, 2014 — © Anders Fager, 2014

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Samlade svenska kulter — © Éditions Wahlstöm & Wistrand, 2011 — © Anders Fager, 2011

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Samlade svenska kulter — © Éditions Fria Ligan, 2017 — © Anders Fager, 2011

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Svenska kulter — © Éditions Man av skugga förlag, 2009 — © Anders Fager, 2009

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Svenska kulter — © Éditions Saga Games, 2014 — © Tomas Arfert & Anders Fager, 2014

Vos nouvelles sont d’une beauté mélancolique qui force le respect. Certains personnages de vos récits, malgré leur inquiétante étrangeté, nous renvoient avec une incontestable férocité à notre propre humanité. Faut-il marquer et entretenir sa différence, son identité ou tenter de les effacer au profit d’une transparence et d’une uniformisation de rigueur ?

Je suis très heureux que vous appréciiez la mélancolie et la beauté de mes histoires. J’essaye de rendre ces personnages compréhensibles sans les transformer en monstres gothiques romantiques, à l’instar des personnages issus de la série télévisée Penny Dreadful. La seconde partie de la question est un peu épineuse. Je pense que le rôle de la fiction — cinéma compris — est de nous glisser tantôt dans la peau d’un réfugié syrien tantôt dans celle d’un officiel du Klu Klux Klan ou encore dans celle d’un loup-garou et de nous rendre ces divers personnages compréhensibles, intelligibles. Et une fois que nous comprenons ces gens — ou qu’au moins nous nous voyons des points communs avec eux —, il devient plus facile de leur parler dans la mesure où nous comprenons d’où ils viennent. Et dans le cas du loup-garou ou du membre du KKK, je pense qu’en les comprenant, vous pouvez les atteindre sans haine et sans peur. Vous devez être capable de faire ce cheminement pour inciter les gens à devenir meilleurs. On a souvent tendance à oublier cela en cette période de fake news et d’extrémismes.

Diriez-vous comme Lovecraft que l’Univers est amoral et que l’espèce humaine n’est qu’un accident cosmique d’une importance insignifiante ou défendriez-vous plutôt l’idée d’une métaphysique de la compassion ? Notre humanité fait-elle sens ?

Quelle importance ? Dans le grand schéma de l’Univers, nous sommes ridiculeusement insignifiants. Je pense que l’homme a réalisé cela la première fois qu’il a levé les yeux au ciel et a compris que chaque étoile était un soleil. À partir de ce moment, nous nous sommes tournés vers la religion, l’idéalisme philosophique ou encore les hobbies (comme la bourse ou les trains miniatures) afin de nous détourner de cette pensée. Pour ma part, je ne vois aucun problème à essayer d’être quelqu’un de bien malgré le fait que personne dans la galaxie Andromède n’accorde d’importance à ce que je fais. Je pense que Lovecraft était très efficace à identifier cette « méta-angoisse » : Dieu est mort, rien n’a de sens, l’univers est vaste et nous sommes terriblement insignifiants. C’était peut-être une vision plus dérangeante pour quelqu’un qui embrassait comme lui une très vieille vision du monde. Il est assez intéressant de voir qu’il fut contemporain de Sartre, Hemingway et beaucoup d’autres. Lesquels s’étaient bien mieux adaptés avec cette vision des choses.

S’il ne fallait considérer qu’un seul romancier ou cinéaste, quel serait-il ? Une passion pour la bande dessinée voire le jeu vidéo ?

Je m’intéresse à tous les formats, tant qu’ils racontent une bonne histoire. Bandes dessinées, jeux vidéo, films, peu importe. J’adorerais travailler avec Ken Levine par exemple, le créateur de Bioshock. Ou raconter une bonne histoire à partir de Pokemon Go. Lou Reed, James Elroy et Raymond Chandler sont également des auteurs dont la complexité ne me laisse pas indifférent, même si je ne puis guère les côtoyer personnellement — deux d’entre eux étant décédés. L’idée la plus décalée du moment serait de travailler avec Klara Anderson, une musicienne suédoise extrêmement talentueuse. J’adorerais mettre mon travail au profit d’une de ses créations. Et cela assouvirait mon fétichisme pour Patti Smith ! Travailler en dehors de mon propre format et de ma zone de confort serait pour moi un véritable challenge. Bien davantage que de travailler avec quelqu’un de très brillant, à l’instar d’un Gaiman par exemple. Quand bien même j’aurais beaucoup à apprendre d’une telle collaboration. Sans compter la dimension financière qui plus est. Nous nous évaluerions mutuellement avant de nous dire : « OK, tu es bon et je le sais… Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »

Quel accueil le lectorat français réserve-t-il à votre travail ? Quelles sont vos relations avec votre éditeur Mirobole Éditions ?

Je suis très touché par la réception des fans en France. Nous avons eu de superbes rencontres à Paris cet automne, c’était génial. Mirobole est une petite maison d’édition qui donne le meilleur d’elle-même et je suis très heureux de travailler avec elle. Ce qui m’impressionne le plus, c’est la qualité des critiques sur les blogues et sites littéraires dont j’ai le retour. Le talent, l’ambition et la passion dont font preuve les personnes qui examinent mon œuvre littéraire sont tout simplement extraordinaires. Il est aussi très intéressant pour moi, qui suis presque bilingue, de remarquer à quel point vous tenez à votre propre langage. Ainsi, lorsque j’écris cinq paragraphes, le traducteur n’en gardera peut-être qu’un seul. C’est là une démarche intéressante et je comprends à quel point Carine Bruy a fait un super boulot. Je lui tire mon chapeau chaque jour de la semaine !

Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

L’un de mes prochains projets s’appelle Wunderland, une histoire de science-fiction dans laquelle un vaisseau spatial se crashe en mer de Barents en 1942, au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Ça va être très fun, avec des sous-marins et toute la panoplie qui s’y rattache. Mais cela nécessite un travail de recherche cauchemardesque…

Les droits cinématographiques de vos nouvelles horrifiques ont été achetés en vue d’une série, avec aux commandes les réalisateurs Måns Mårlind et Björn Stein à qui l’on doit StormLe Silence des ombres, Underworld : Nouvelle Ère ou encore The Bridge. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Comme souvent dans ce genre de projets, quand il s’agit de cinéma, tout est soumis à négociation et rien n’est jamais certain. Je suis profondément émerveillé par la façon dont les producteurs évitent le suicide au jour le jour… En dehors de cela, je suis très très heureux d’être entre les mains de Måns et Björn. Ils adorent ce genre d’histoires et ils en feront une des meilleures séries TV de tous les temps. Ils sont si talentueux dans le domaine cinématique que je ne puis mesurer le bonheur qui est le mien de travailler avec eux. Certaines choses qu’ils ont inventées dans mon univers s’avèrent simplement incroyables…

Vidéos

Anders Fager. Les Furies de Borås et La Reine en jaune. Librairie Mollat.

Interview — Anders Fager. Rôliste TV.

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