■ À L’HONNEUR
Tétralogie Terra Ignota
Terra Ignota est l’une de ces sagas qui ne sauraient laisser aucun lecteur indifférent. Illisible et roboratif pour certains d’entre eux, magistral et dantesque pour les autres, son approche n’en demeure pas moins pour tous des plus exigeantes. L’œuvre d’Ada Palmer revisite certains enjeux de nos territoires avec une maestria qui fera date dans le landerneau de nos littératures. Les États-nations ne sont plus depuis quatre siècles, conceptions dépassées, synonymes de nationalismes et de guerres fratricides, remplacés par un système de Ruches dont l’équilibre politique est supposé garantir paix et prospérité à tous. Mais certains vieux démons semblent vouloir resurgir du passé. C’est sur cette prémisse que l’auteure nous offre des pages remarquables d’une utopie qui se révélera au fil du récit de plus en plus contrariée. Œuvre magistrale que les éditions Le Bélial’ ont eu le bon goût de traduire pour notre hexagone.
Milieu du troisième millénaire. Les États-nations ne sont plus. Des guerres ô combien ravageuses ont mis fin à ces structures politiques, jugées responsables des hostilités entre les hommes. Au terme de ces conflits meurtriers s’opère un basculement vers un nouveau système politique prenant appui non plus sur des Nations, mais sur des Ruches. Ce basculement, appelé Mutka, offre depuis quatre siècles à l’humanité une paix retrouvée, concluant une histoire faite de tourments, de ressentiments, d’antagonismes qu’accompagnent leurs lots habituels de souffrances et de douleurs. Au nombre de sept, ces dernières sont disséminées partout sur le globe, solides maillons faisant barrage à toute velléité de domination d’une Ruche sur une autre. Les Gordiens, Les Humanistes, les Cousins, les Maçons, les Mitsubishi, les Brillistes et les Européens constituent ainsi ce Nouvel Ordre Mondial. Le spectacle de cette nouvelle histoire, utopie tant convoitée depuis les premiers philosophes, laisse supposer que tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. En apparence seulement… Certaines enquêtes viennent de mettre au jour la probable nature délibérément meurtrière de certains accidents de circulation. Elles nous apprennent que loin d’être de simples et malheureuses contingences circulatoires, ces morts auraient été sciemment prononcées par une organisation paramilitaire portant le nom d’O.S. Cette orchestration criminelle aurait été jugée nécessaire pour le maintien de l’équilibre entre les différentes Ruches selon les accusés. Une explication qui ne saurait toutefois satisfaire certaines d’entre elles. Et l’impensable de poindre à nouveau le bout de son nez : la guerre… Une guerre que tous redoutent, mais que tous supposent néanmoins inévitable. Alors que les conflits entre Ruches gagnent en intensité, ces dernières se révèlent incapables d’en saisir véritablement les contours et les modalités. Comment mener bataille, avec quels outils, quelle préparation et quelles modalités surtout afin d’éviter un cataclysme dont l’humanité ne saurait se relever ? C’est ainsi que le jeune enfant Bridger, conçu miraculeusement et capable de rendre les jouets réels, parvient à faire revenir à la vie un certain Achille, celui de l’Iliade. La résurrection de ce vétéran expérimenté pourra ainsi offrir à certains belligérants ses conseils avisés sur l’art de gagner une guerre. Et cette dernière d’être menée, dans un chaos des plus indescriptibles, entre deux factions rivales, l’une souhaitant maintenir au pouvoir les Ruches et l’autre souhaitant a contrario proposer un Nouvel Ordre Mondial, un nouveau Léviathan. Dans l’hypothèse d’une victoire des seconds, il conviendra de reconsidérer le rôle des premières, afin que celles-ci ne puissent à nouveau entrer en compétition. Exercice d’autant plus difficile, que là où les anciens États pouvaient jouer de leur frontière naturelle dans leur guerre, les Ruches ne sauraient jouir d’un tel avantage, tout entières dispersées sur les cinq continents. Se défiant de toute frontière, l’embrasement ne saurait dès lors être circonscrit, répandant ses laves de fureur sur l’ensemble du globe. Nées de l’abolition des frontières, les Ruches ne semblent pas devoir tenir leurs promesses d’utopie tant convoitée. Il est vrai que leur jeune âge — quelque quatre siècles au compteur — ne joue guère en leur faveur, au regard de la longévité des anciennes formes de gouvernement. Sauront-elles toutefois se montrer un rempart suffisant afin de prétendre poursuivre leur œuvre de stabilité et de pacification ou sont-elles condamnées à rejoindre, comme tant d’autres formes de gouvernement avant elles, les limbes de l’histoire ? Vers quelle forme de gouvernance se tourner en vue de garantir la continuité et l’émancipation de notre commune humanité ? Autant d’interrogations et d’incertitudes que marque cette nouvelle dialectique de l’histoire des hommes. Dont les passions ne cessent d’être le moteur…
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Le cycle de Dune
Les éditions Robert Laffont viennent de publier le dernier opus La Maison des Mères du monumental cycle de Dune que Frank Herbert entama dans les années 70 et acheva quinze années plus tard. Les plus nantis n’auront pas manqué de se tourner vers l’édition collector publiée dans la légendaire collection « Ailleurs et Demain », édition révisée et agrémentée d’un paratexte important. Six beaux pavés ayant fait l’objet d’une traduction revue et corrigée dans un écrin sous couverture rigide. Une bien belle initiative pour un sommet de nos littératures !