Jérôme Noirez
C’est à Brest que Michel Aroutcheff — pionnier de l’univers de la Para-BD — a décidé de poser ses valises et de goûter une retraite bien méritée. Parmi ses créations, comment ne pas remarquer la célèbre fusée de Tintin à damiers rouge et blanc ? Cette magnifique réalisation reste un des objets des plus emblématiques de son travail. Nous avons eu la chance de le rencontrer il y a quelque temps déjà… Ce fut l’occasion d’évoquer avec lui un parcours professionnel riche d’expériences diverses et de nombreuses collaborations. Car Michel Aroutcheff le sait fort bien : collaborer avec d’autres sculpteurs de talent comme lui peut améliorer et valoriser une création en cours. Ce fut aussi pour nous l’occasion de faire la connaissance d’une personne d’une affabilité à toute épreuve. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié ! Nos remerciements également à Calagan Infalsifiable pour son aimable autorisation concernant la reproduction de ses photographies.

Rencontre
avec Michel Aroutcheff

Entretien réalisé par Lionel Gibert et Jean-Marc Saliou
Film réalisé par Franck Brénugat
Montage réalisé par Ève Boutin et Raphaël Ruault

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D’origine russe, Michel Aroutcheff est né en 1946 à Paris. Il passe une partie de son enfance au Maroc, fait ses études secondaires en France, puis cinq années d’architecture à l’École des Beaux-Arts de Paris. C’est sa complicité avec son grand-père qui le pousse à s’orienter vers la sculpture sur bois, notamment dans la fabrication de jouets. De 1967 à 1972, il vit au Canada où il consolide son expérience en travaillant dans divers domaines comme le design, le mobilier ou l’aviation civile. Ensuite, de 1973 à 1985, il réalise des meubles et des jouets, notamment des voitures en bois laqué. Passionné par l’univers de la bande dessinée, il fonde en 1986 sa propre entreprise. Cette dernière produit et diffuse ses créations ainsi qu’une collection de véhicules et d’objets, pour la plupart, issus des albums de Tintin, Spirou, Gaston Lagaffe ou encore Blake et Mortimer. La sobriété des lignes et la qualité de la laque, associées à des couleurs fort bien choisies en font des œuvres de très belle facture… Ces créations dont l’esthétique ravit autant les amateurs de bandes dessinées que ceux de modélisme sont construites en résine, métal ou bois laqué. Elles sont d’une finition exemplaire. Le superbe ouvrage Les Sculpteurs de BD – Dans l’atelier des créateurs de figurines, écrit par Bruno Cabanis aux éditions Eyrolles rend hommage à ce sculpteur hors pair, mais aussi à d’autres artisans comme Alexis Poliakoff, Marie Leblon-Delienne, Geo Salmon ou encore Pascal Rodier. N’oublions pas que derrière ces magnifiques objets se cachent de véritables artistes : sculpteurs, modélistes, peintres… Rencontre avec l’un d’entre eux, et non des moindres…

lefictionaute.com : Vous avez fait des études d’architecture aux Beaux-Arts de Paris. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Michel Aroutcheff : Des études d’architectures… que je n’ai pas finies d’ailleurs ! Fin 1967, on a commencé à faire des études archéologiques pour savoir s’il y avait vraiment du sable sous les pavés (rires) et de quoi faire une plage. Puis on s’est retrouvé avec des trucs un peu durs dans la main qu’on balançait sur des cons en face. Mais comme ces derniers étaient très maladroits, ils rattrapaient très mal nos lancers (rires.) C’était devenu le souk le plus total… Il y avait des réunions politiques partout… Bref, je suis parti à Montréal où je suis allé voir le pavillon de la France lors de l’Exposition universelle de 1967. C’était le patron de mon atelier qui l’avait construit. Et comme j’avais travaillé dessus pendant deux années en tant que maquettiste, en dehors de mes études, je suis parti et je n’ai jamais fini l’école. Mais je viens d’une famille d’architectes. Il y en a sept dans la famille : mon père, mes oncles, mes cousins…

Votre père était architecte.

Mon père était architecte en France. Il vient de Russie et est arrivé à l’âge de trois ans en France. Il a été naturalisé français. Il a fait l’École des Beaux-Arts à Paris, pour être diplômé en 1945 ou en 1946. Je suis né en 1946. Mon père a répondu à un concours d’architecture à Casablanca, qu’il a gagné. Il est parti là-bas pour construire. Ma mère et moi l’avons suivi. J’ai été élevé à Casablanca durant mes dix premières années. Il a construit bon nombre de bâtiments au Maroc, dont certains sont classés monuments historiques. Je n’ai personnellement jamais refait d’architecture après. Surtout par respect pour le genre humain (sourires). Mais j’ai quand même toujours été très intéressé par les constructions en bois, les charpentes. J’aurais beaucoup aimé faire de l’architecture navale. Cela ne s’est pas fait. Je me suis orienté vers le mobilier, le design en luminaire, et j’ai commencé à faire des jouets pour les enfants des copains. J’ai trouvé cela assez rigolo, notamment les jouets en bois. Puis cette activité a dérivé sur des jouets un peu plus « déco ». J’ai eu l’idée ensuite de faire avec ma technique et mon savoir-faire des véhicules issus de la bande dessinée, de façon à faire sortir le rêve des pages et qu’on puisse les toucher. Avec beaucoup de succès d’ailleurs !

D’où votre intérêt pour l’univers de Tintin.

En effet. Cet univers, l’époque, les styles correspondaient tout à fait à ce que je faisais. C’était vraiment mon truc. Et l’échelle des voitures (entre 30 et 40 cm) était en fait l’échelle des jouets en tôle du début du vingtième siècle. Je pense notamment à ces voitures avec des moteurs à ressort, comme Citroën et bien d’autres marques. Je suis parti sur cette échelle-là. Et comme les roues sont toujours un peu compliquées à fabriquer, je suis parti sur un modèle standard de six centimètres de diamètre qui définissait l’échelle des véhicules. C’est pour cela que tous les véhicules ont des roues du même diamètre. Je suis resté cinq ans au Québec, à la fois comme résident et comme touriste. Je suis rentré en 1972 pour mon service militaire. J’avais 27 ans et j’ai fait 4 jours d’armée. J’ai été réformé grâce à la myopie — pour une fois que ce handicap a servi à quelque chose ! Ensuite, je suis resté un an et demi à Paris où j’ai fait pas mal d’aménagements d’appartements. C’était la grande mode d’acheter des chambres de bonnes pour en faire des appartements. J’ai fait cela avec un copain. On gagnait pas mal de fric. Le boulot ne manquait pas. Au bout d’un moment, je n’ai plus supporté Paris. Je suis par conséquent parti avec ma femme en Haute-Savoie, près de Genève. Là, j’ai acheté des machines pour commencer à fabriquer des jouets en bois. C’était de la « petite industrie », de l’artisanat. Puis, on a commencé à réfléchir à des pièces standardisées afin de rentabiliser la fabrication.

En cherchant de la documentation sur les hydravions et après avoir regardé un peu partout, vous avez découvert ceux d’Hergé…

Oui. Les hydravions représentent pour moi l’aventure. Je trouve extraordinaire qu’un avion puisse se poser comme cela sur l’eau. J’ai effectivement cherché de la doc un peu partout, et ce sont dans les albums de Tintin que j’ai trouvé le plus grand nombre d’hydravions, notamment celui de l’album Le Sceptre d’Ottokar. Cet appareil a été en fonction, assurant une ligne Genève -Londres, ligne qui a été exploitée jusque dans les années cinquante. D’autres hydravions apparaissent également dans Le Crabe aux pinces d’or. Dans cet album toutefois, ce petit hydravion m’a moins interpelé. Je signalerai aussi Le Manitoba ne répond plus, histoire issue des Aventures de Jo, Zette et Jocko, sans oublier naturellement L’Étoile mystérieuse où figure un hydravion de très belle facture.

Hergé, Jacobs et Franquin sont en ce sens d’excellents designers de voitures, d’avions et autres objets volants…

Franquin ne stylisait pas. Il dessinait très précisément, mais inventait très peu. Tous ses véhicules ont bien existé. Même le Zorglubmobile… C’était des avions conçus par l’armée américaine pour voler, circuler et se poser dans des zones marécageuses. Bien que pas aussi beau que celui de Franquin ! Quatre hélices : les drones sont partis de cette matrice-là…

On parlait de Tintin… Quel genre de bandes dessinées lisez-vous ?

Je ne suis pas fana de bandes dessinées. Bien sûr, j’en ai et j’en lis. J’aime bien relire les Tintin de temps en temps, par nostalgie. J’aime beaucoup Blacksad et Tardi. Tardi est mon maître ! Nous sommes de la même génération. Il dessine beaucoup les architectures de Paris. Tardi est un ours. Ce n’est pas un rigolo… Je me rappelle avoir fait une 403 avec Nestor Burma et la petite nénette dedans. C’était pour l’album Casse-pipe à la Nation, me semble-t-il. J’avais eu son approbation. Toutefois, après sa réalisation, il me dit : « Hé ! Il n’y a pas le toit ouvrant ! » Je lui rétorque que sur son dessin non plus… Mais il voulait que je lui en mette un. L’échange a été un peu compliqué… (rires.) Je lui ai dit qu’elle était très bien comme cela et qu’il n’y aurait pas de toit ouvrant…

Portez-vous un quelconque intérêt aux comics et aux mangas ?

Non ! Vraiment pas ! Par contre, j’adore Blake et Mortimer et Spirou. Surtout celui de la période Franquin. J’apprécie beaucoup également les travaux de Tillieux et ceux de Jidehem — qui a d’ailleurs fait une chronique sur les voitures dans la rubrique automobile « Starter » pour Le Journal de Spirou. Mes goûts s’orientent davantage vers l’école franco-belge.

Quelles sont les étapes dans le processus de création d’une figurine ?

Il faut d’abord que la bande dessinée m’intéresse. Dans cette hypothèse, je regarde les véhicules. La plupart du temps, ce que j’ai comme documentation, c’est la petite image de la page. Pour le reste : il faut l’imaginer, le créer. Parfois, on arrive à bien identifier le véhicule. À ce moment-là, quand on peut trouver une maquette pour garder les cotes, je développe à la taille qui m’intéresse. Je dépouille alors la forme, sans les poignées et autres menus détails. Ce qui m’intéresse avant tout c’est la proportion, l’équilibre de la forme et la finition des surfaces. Pour avoir de belles laques, j’utilise des laques de carrosserie de voiture, à savoir du polyuréthane. C’est très brillant et très solide. Et pour faire des laques de ce type sur du bois, il y a du boulot… Sur une résine ou un métal, cela ne pose aucun problème étant donné que la surface est lisse. Mais pour une surface en bois, il faut une couche d’apprêt, bien « tartiné ». C’est un apprêt très garnissant : on arrive à boucher les fissures et les espaces. C’est tout un coup de main. Il faut bien maîtriser la coulure, puisque le bois absorbe. C’est la première couche. On a donc quelque chose qui gratte comme un papier de verre. Puis, je ponce bien cette surface, en regardant s’il y a des trucs à mastiquer, et ensuite je remets une couche d’apprêt pour vraiment lisser la surface. Et quand c’est vraiment nickel, alors on peut laquer. Et l’on obtient de belles laques. Mais la peinture ne bouche pas les trous. Si c’est moche en dessous, ce sera moche au-dessus.

Outre le bois, quels autres matériaux utilisez-vous ?

Quand il s’agit de formes un peu compliquées à faire en bois, j’utilise la résine. Mais la première pièce, il faut la sculpter, la fabriquer en pièces détachées. Le pare-chocs et la calandre doivent être démontables ainsi que le siège, le tableau de bord, afin de pouvoir les poncer d’une part. Et d’autre part, quand on les peint, on les peint à part. Les pare-chocs, on les pique sur des barres. On le voit dans l’ouvrage Les Sculpteurs de BD : ce sont des barres avec des tiges de métal qui vont de 1,5 mm jusqu’à 4 mm suivant le poids et la taille des pièces. On peint dix ou vingt pièces à la fois.

Pour chaque pièce en résine, y a-t-il un moule de créé ?

Oui, il y a un moule par pièce. Cela dépend des pièces, mais, en règle générale, on peut en mettre quatre ou cinq dans le même moule. Ce dernier, en élastomère, sert aussi pour les empreintes dentaires ! (rires.)

Quelle est la part du dessin dans ce processus ?

Je dessine, bien sûr. Mais le dessin se limite dans mon travail aux premières approches, à savoir les lignes de proportion. Après, je taille directement dans la masse. Pour le bois, je travaille beaucoup à la ponceuse, où il faut avoir un bon coup de main. Par contre, pour la résine, je travaille sur un matériau qui s’appelle le « lab ». C’est une mousse de polyuréthane. Ce sont des plaques qui font cinq centimètres d’épaisseur sur cinquante de large et un mètre cinquante de long. Elles coûtent très cher. C’est un matériau que l’on utilise beaucoup pour le prototypage des pièces faites par commande numérique, ces dernières s’usinant très bien. On peut par la suite le polir et le rendre brillant comme une bakélite. Il est aussi possible de le thermoformer. C’est cette procédure que j’ai employée pour le scooter de Cerise. Cela rend pas mal.

Y a -t-il un dessinateur qui vous a posé plus de problèmes dans la réalisation de vos maquettes ?

Il faut retrouver la documentation. Comme je me base beaucoup sur les dessins, il me faut alors souvent inventer le volume. Je fais des croquis, mais je suis moins à l’aise dans le dessin que dans le volume. Je préfère la 3D. Mais aucun auteur ne m’a vraiment posé de problèmes. En fait, je ne choisis pas les modèles pour leur simplicité, étant donné que je parviens toujours à visualiser ce que cela peut donner en volume. Les couleurs sont importantes aussi.

Passer ainsi de la 2D à la 3D ne vous pose pas de problème ?

Pour moi, il n’y a aucun souci. Il y a des gens qui sont incapables de le faire. Comme je ne sais pas me servir d’un ordinateur, c’est par conséquent vite vu : je n’ai pas le choix. Je suis obligé d’être bon ! Mais ce n’est pas toujours évident de trouver une bonne proportion quand on n’a rien. Des fois, on tâtonne, sans savoir pour quelles raisons. Une fois, par exemple, je me suis aperçu, deux jours après sa réalisation, que la Cadillac de Canardo n’était pas assez large. Je l’ai alors sciée en deux pour rajouter deux centimètres du même matériau et j’ai rattrapé la ligne comme cela. Et là : impeccable ! Parfois, ce n’est pas moi, mais un ami qui passe et qui remarque que telle ou telle chose ne va pas. Un regard neuf ! Comme pour un dessin. Dans beaucoup de créations, le processus est le même. Un détail peut tout changer. En parler comme cela, c’est facile, mais quand on est sur le projet, ce n’est pas évident. Il faut vraiment avoir le sens de la forme, étant donné qu’il y a un gros travail de visualisation et d’imagination. C’est pour cette raison que dans la jurisprudence de la propriété intellectuelle, l’interprétation d’un dessin en volume est considérée comme une création à part entière, dans la mesure où vous avez inventé la phase que l’on ne voit pas sur le dessin. Cette propriété intellectuelle revient à son concepteur de plein droit. Cette méconnaissance de la loi me confronte à des procès à répétition, ce qui me fatigue au plus haut point ! J’en veux pour preuve la société Moulinsart qui fabrique des fusées en résine, alors qu’elle n’en a absolument pas le droit !

Concernant la société Moulinsart, justement. Vous avez commencé à travailler sur l’univers de Tintin alors que cette société n’existait pas encore, c’est bien cela ?

Ces gens-là n’existaient pas. Au début, tout se passait bien. C’était très sympa. Je m’entendais très bien avec Fanny Vlamynck, la veuve d’Hergé et Alain Baran, le filleul d’Hergé. Par la suite, quand Nick Rodwell est arrivé, cela s’est très mal passé… Très très mal passé. C’est un voyou… Il a épousé la veuve d’Hergé qui avait vingt-cinq ans de plus que lui. Et il a par la même occasion aussi épousé le trésor de Rackham le Rouge ! Voilà un type qui faisait des tee-shirts à Londres, sans aucune licence… Un petit faiseur, quoi… Quand il est arrivé, il a voulu tout récupérer en convainquant madame Hergé qu’on exploitait l’image de son mari, qu’on vivait sur son dos. Lui, naturellement, allait arranger tout cela… Il n’a pas voulu renouveler les licences. Pour personne. Certaines sociétés qui faisaient de très gros chiffres et employaient des salariés ont été contraintes de fermer boutique. Concernant ma société, créée en Haute-Savoie, lorsque les choses se sont vraiment dégradées avec Moulinsart en 2001, j’ai dû moi aussi procéder à un licenciement économique. Et l’on s’est retrouvés avec ma femme à travailler seuls sur l’ensemble des projets.

© Michel Aroutcheff — Crédit photographique © lefictionaute.com 2018

Et concernant vos relations avec les éditions Dupuis ?

Ah ! Monsieur Moyersoen, un catholique bien-pensant — comme vous pouvez l’imaginer — était un ami de la famille de Franquin. Lorsque ce dernier est décédé, il a voulu lui aussi « protéger » la famille de Franquin en s’occupant de ses affaires. Tant et si bien qu’il a mis la main sur tout. Il y a pléthore de requins pour graviter autour de personnes qui ont créé ces magnifiques dessins. Ils pensent faire du pognon avec ça. C’est la même chose avec Uderzo et Goscinny. C’est pourquoi je préfère travailler avec des personnes bien vivantes. On a moins d’emmerdes ! (Rires) Avec Tardi, par exemple, cela s’est finalement bien passé. Pareillement avec Bourgeon. Ou encore avec Frank Margerin, un type adorable. C’est devenu un pote, on s’entend bien. J’ai fait plein de trucs avec lui. Ils sont plutôt contents quand je réalise des projets avec eux. Ils devraient d’ailleurs tous être contents : je fais des objets à partir de leur œuvre, et je crois que je fais assez bien mon boulot (rires.) Mais quand je vois comment Moulinsart a pu nous emmerder au début sur certains détails… Et quand on voit ce qu’ils font faire maintenant en Chine. Là, cela ne leur pose aucun problème… Tout est en résine. Ils n’ont même pas été foutus de copier correctement, en respectant les formes. Quand on voit les miennes à côté… Leurs premières fusées en résine étaient exposées au soleil, tant et si bien qu’elles se sont déformées ! (rires.) Je n’allais tout de même pas leur dire qu’il fallait rajouter du métal ! Ils se démerdent ! (rires.)

Quelle création vous a le plus enthousiasmé ?

J’ai commencé les cinq premières années à ne faire que du Tintin. Il y avait de la matière. C’était chaque fois de nouvelles découvertes. C’était sympa. J’ai eu bien du plaisir avec Franquin également. En fait, quand on vient de finir l’objet, on trouve que c’est celui-là le meilleur… Il y a une voiture que j’ai beaucoup aimée, c’est celle de l’album Les Cigares du pharaon. Elle est en bois avec un châssis métal. C’est vrai que j’ai eu bien du plaisir à faire cette voiture ! Pourtant, cela n’a pas été facile pour identifier le modèle. C’est une Lincoln 1931. Et à cette époque-là, les fabricants de voitures vendaient à des carrossiers un châssis moteur, et le carrossier créait une voiture par-dessus. Il n’y a que la calandre qui a permis d’identifier la voiture. Il n’y a qu’un seul exemplaire de ce modèle, et je ne sais pas si cet unique exemplaire existe toujours d’ailleurs.

Comment procédez-vous pour la création des personnages ?

Je choisis un dessin d’un personnage et un sculpteur travaille pour moi. Il y a cinq sculpteurs sur la place, mais seulement deux qui sont vraiment bons. (Nous montrant un personnage) : alors là, même chose, le chapeau est séparé, la tête et le col de la chemise blanche le sont aussi, tout comme la veste. Ce sont toutes des pièces indépendantes. Ensuite, on les pique sur des petites tiges et on réalise toute la chair, toutes les couleurs du costume. Puis on assemble. Ce qui est très long, c’est la mise au point du modèle. La fabrication se montre malgré tout relativement simple. Cela va assez vite à monter. Pour les personnages, c’est en revanche plus compliqué, puisqu’il y a un boulot de peinture conséquent. Tout est fait au pinceau, et il n’est pas possible de faire autrement. Voilà l’histoire. J’ai également réalisé la jeep pour l’univers de XIII, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus intéressé. D’autant plus qu’elle s’est mal vendue. De même, la licence de Blake et Mortimer se montre difficile à vendre. Elle n’est pas très juteuse, mais je l’ai gardée dans la mesure où les objets sont magnifiques. J’ai ainsi réalisé l’Aile rouge, l’Espadon ainsi que les vaisseaux-transporteurs atlantes — ceux que l’on retrouve à la fin de l’album L’Énigme de l’Atlantide. C’est du Flash Gordon ! Je souhaitais également faire le Monorail. J’ai bien les ébauches en bois, mais je ne suis jamais allé au-delà. Ces objets auraient été de belles pièces…

Une fois prit fin la collaboration avec Moulinsart, vous avez continué à travailler avec d’autres licences.

Oui ! Il y avait heureusement d’autres licences : Blake et Mortimer, Blacksad, Margerin, Tif et Tondu, Gil Jourdan. Et chez Gil Jourdan, il y a de la bagnole ! Tillieux dessinait très bien les voitures. La voiture bleue de monsieur Pump, c’est la Bluebird qui a battu un record de vitesse à Daytona Beach en 1931. Elle existe bel et bien. L’avion rouge Stratonef H. 22 est quant à lui inspiré d’un Caudron-Renault, avion expérimental destiné aux acrobaties. Ce dernier volait vite pour l’époque des avions à hélice, puisqu’il atteignait 450 km/heure en piqué.

Étant l’initiateur du développement de la para-BD, pensiez-vous que ce nouveau marché se développerait autant ?

Ah non… pas du tout. Et je ne l’ai d’ailleurs pas fait dans cet esprit-là. Je l’ai fait parce que cela m’amusait. Il y avait une complicité avec les clients. Ils attendaient la pièce, la nouveauté et se montraient fort contents. Les prix étaient par ailleurs très raisonnables à l’époque. J’ai commencé en 1985. Lors des salons de bandes dessinées, j’étais toujours le seul à faire du volume. Beaucoup de monde se groupait autour de mes voitures, de mes objets. C’était original. Cela changeait des dessins. Contrairement à un dessin, on peut tourner autour d’un objet, le voir sous différents angles. C’est concret, accessible. Cela parle d’ailleurs beaucoup plus pour un enfant de voir un objet plutôt qu’un dessin.

En parlant de bande dessinée, vous êtes arrivé à Brest en 2011. Brest est une ville qui vous a de suite plu.

Je connaissais déjà Brest auparavant, ma femme étant originaire de là. Je suis venu une première fois en 1995 pour rendre visite à sa famille. J’y suis venu ensuite avec ma femme en 2011 pour sa retraite. Elle est décédée, un an après… Il est vrai que Brest était une ville quelque peu délabrée. Depuis, on constate une nette amélioration, notamment du côté du port de commerce où se dressent les bâtiments industriels. Le tramway s’est avéré être une bonne idée, laquelle a permis de fluidifier les transports en commun. Preuve de son succès : des rames bien fréquentées. Sa venue a permis la rénovation de nombreux quartiers, au nord notamment. Puis, il y a aujourd’hui les Capucins, un superbe espace au sein duquel s’est installée la magnifique médiathèque. Elle est bien dessinée et bien pensée. On voit plein d’enfants qui jouent ou qui bouquinent.

Vous avez eu l’idée de créer un musée de la bande dessinée au cœur de ce somptueux site des Capucins.

Comme endroit, on ne pouvait pas trouver mieux. J’ai cru un moment à ce projet. Il y a d’abord eu un accueil très positif. J’avais fait une petite plaquette, laquelle m’a tout de même coûté 5000 euros. Et puis, plus rien. Aucun retour. Pourquoi ? Je n’en sais rien. J’avais également rencontré Michel-Edward Leclerc, un fou de bandes dessinées et collectionneur de mes objets. Je n’ai jamais eu de retour là non plus. Cela finira peut-être par se faire un jour. Mais pas avec moi. C’est comme ça… C’est d’autant plus dommage que ce projet me tenait vraiment à cœur. Ce n’est pas grave, on fera autre chose ! J’ai d’ailleurs, comme autre projet, l’idée de faire le sous-marin requin de Tintin que l’on retrouve dans Le Trésor de Rackham le Rouge à l’échelle 1. Cet engin serait capable de plonger à deux mètres de profondeur dans le port. Je ramène toute la presse nationale pour ledit événement. C’est peut-être comme cela que l’on va pouvoir convaincre les responsables qu’un musée serait une bonne idée… Mais il faut au préalable dessiner ce mini sous-marin, puis en faire une maquette pour savoir comment le construire. D’où la collaboration avec des ingénieurs, des collèges techniques pour la partie du moteur, ballast, pompes. Voilà un projet assurément porteur pour le plateau des Capucins ! À suivre…

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Rencontre avec Michel Aroutcheff. lefictionaute.com.

Diaporama Michel Aroutcheff. lefictionaute.com.

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