Jérôme Noirez
Si Jean-Claude Fournier est bien connu des lecteurs de Spirou pour avoir repris les aventures du héros au costume de groom de 1968 à 1981 avec neuf albums à la clé, il est également l’auteur des truculentes séries Bizu et Crannibales. Adoptant un dessin réaliste sur le tard, il signe chez Dupuis, dans la prestigieuse collection « Air Libre », les diptyques Les Chevaux de vent et Plus près de toi, ce dernier emportant le Prix de la BD bretonne 2022. Il signe en cette année 2024 une autobiographie Fournier – Souvenirs d’un dessinateur heureux, aux éditions Maghen. Jean-Claude nous a fait l’insigne honneur de nous recevoir chez lui, dans la ville qui le vit grandir, à Saint-Quay-Portrieux. Qu’il soit ici remercié pour son très chaleureux accueil.

Rencontre avec
Jean-Claude Fournier

Entretien réalisé par Lionel Gibert et Jean-Marc Saliou
Film réalisé par Franck Brénugat
Montage réalisé par Inès Pouliquen

Rencontre réalisée en décembre 2021
Texte revu et corrigé en mars 2024

Continuateur de Franquin sur la série Les Aventures de Spirou et de Fantasio, auteur des séries ô combien pittoresques de Bizu et des Crannibales, illustrateur publicitaire pour de grandes marques, également illustrateur durant une quinzaine d’années pour le compte du quotidien « Ouest-France », animateur et formateur pour étudiants et enseignants au Sénégal, en Côte d’Ivoire puis au Cameroun, co-fondateur en 1992 de l’incontournable festival « Quai des Bulles » de Saint-Malo, Jean-Claude Fournier se positionne comme un infatigable ambassadeur du 9e art. Après trois années d’études supérieures à Paris, dans l’optique de devenir professeur de dessin, il fait la rencontre de Franquin lors d’une séance de dédicaces. Ce dernier remarque la qualité du trait du jeune Fournier et le chaperonne afin qu’il puisse reprendre la prestigieuse série des Aventures de Spirou et Fantasio. Neuf albums plus tard, voilà notre compère servant à son tour de mentor auprès d’une nouvelle génération d’auteurs qu’il reçoit dans son atelier, et pas des moindres : Gégé, Hiettre, Malo Louarn, Emmanuel Lepage, Michel Plessix ou encore Lucien Rollin pour ne citer que les plus connus. À la suite de désaccords avec la maison mère, il se voit contraint d’abandonner la série Spirou. Cela ne l’empêche nullement de poursuivre son aventure éditoriale au sein de la même maison au travers des séries Bizu et Crannibales, avec le concours de Zidrou au scénario pour cette dernière. Fait chevalier des Arts et des Lettres en 2014 pour l’ensemble de son œuvre, Fournier ne cesse de valoriser son travail, comme en témoignent les deux diptyques Les Chevaux de vent, sur un scénario de Lax et Plus près de toi, sur un scénario du Brestois Kris. Fort d’un demi-siècle de productions au service du 9e art, notre Breton se voit solliciter par les éditions Maghen pour lui offrir un bel écrin en l’honneur de ce remarquable parcours, au travers d’un titre à paraître cette année : Fournier – Souvenirs d’un dessinateur heureux. Gageons que les années qui se profilent nous offriront la réjouissante perspective de voir son œuvre se poursuivre pour notre plus grand plaisir — avec le soutien indéfectible des « petits lutins », cela s’entend…

lefictionaute.com : Votre actualité concerne la sortie du second tome de Plus près de toi. Pouvez-vous nous en parler ?

Jean-Claude Fournier : Trois raisons au titre Plus près de toi. Pour commencer, le héros principal est au départ un jeune séminariste africain, de Dakar. Plus près de toi… mon Dieu. Ensuite, va naître dans le récit une très belle histoire d’amour. Plus près de toi… mon amour. Enfin, plus près de toi… ma patrie, en ce que ce jeune séminariste va devoir s’engager dans l’armée pour sauver la patrie en danger. C’est la guerre et nous sommes en 1939. Rappelons qu’il est français, puisqu’à l’époque les Dakarois sont français. Son père l’incite à s’engager, comme lui-même l’a fait dix ans de cela. Il va être très rapidement fait prisonnier. Comme c’est un Noir, les Allemands ne vont pas l’emmener dans une prison allemande, au risque de menacer la pureté de la race aryenne. Ces derniers ont par conséquent créé pour eux des camps de prisonniers en France, dont cinq en Bretagne. Dans ces camps, il y avait du travail, mais les prisonniers sortaient aussi travailler en dehors du camp. Ceux internés à Lorient n’ont pas eu de chance : participant à des travaux de construction d’abris antiaériens, ils ont subi de lourds bombardements. C’étaient des travaux très difficiles, et beaucoup sont morts. Et puis il y avait ceux qui étaient à la campagne, comme nos héros. Ceux-ci ont bossé dans une ferme tenue par un fermier plutôt bienveillant. Ce dernier les a pris sous sa coupe au point de faire d’eux des membres faisant plus ou moins partie de la famille. Ce type de scénario s’est souvent produit, comme en attestent plusieurs documents. La Bretagne n’étant pas précisément raciste en général, les étrangers y étaient plutôt bien accueillis. Ils n’ont pas travaillé sous les coups de fouet, et n’étaient pas traités comme des esclaves. Plus près de toi raconte leur vie dans ce camp. Ils étaient au départ sous la garde de soldats allemands. Il y a eu des brutalités, mais aussi des moments d’humanité. Comme dans la réalité. Puis les Allemands ont dû partir pour le front de l’Est où la situation se détériorait. Les Français les ont remplacés. Une fois la guerre finie, ils sont retournés dans leur pays, renvoyés brutalement chez eux sans recevoir leur solde, alors qu’ils étaient soldats. On leur a juste donné dix pour cent de cette solde. Ils sont partis de Morlaix pour s’en retourner à Dakar, dans un camp où ils ont été particulièrement maltraités. Ce camp, situé à Thiaroye, était un camp de transit où ils étaient ensuite ventilés dans leurs différents pays d’origine. On les appelait les tirailleurs sénégalais, terme générique, puisqu’il y avait parmi eux des soldats originaires du Gabon, du Cameroun ou encore du Mali. Maltraités, mal nourris, ils ont fini par protester, incitant le général Marcel Dagnan, en poste à Dakar, à aller les voir. Mais ceux-ci ont commis une erreur, en menaçant le général et en bousculant sa voiture. Ce dernier échappe de justesse à la séquestration et leur promet tout : soldes, meilleures conditions de vie et meilleure nourriture. Une fois libéré, le général, appuyé par sa hiérarchie, décide de procéder à une démonstration de force en réprimant cette révolte avec le concours de gendarmes et de troupes d’infanterie coloniale, sans oublier les automitrailleuses conduites par des Noirs, perversion suprême. C’est le massacre de Thiaroye, dont on ignore encore le nombre exact de victimes. Voilà toute notre histoire, laquelle se termine mal. Un ami à moi, Ousmane Sembene, décédé en 2008, a réalisé un film sur cette tragédie. On s’était rencontré lors d’une séance de dédicaces et m’avait parlé de cette histoire-là… Il aurait été de bon conseil. En tout cas, jamais je n’aurais pensé réaliser un album sur cette histoire.

C’est une histoire touchante qui témoigne d’une relation privilégiée avec l’Afrique. On le voit avec le succès du titre des Aventures de Spirou et Fantasio, Le Gri-gri du Niokolo-Koba.

Le Journal de Spirou avait organisé un concours, et l’un des principaux lots offrait aux heureux gagnants la possibilité d’accompagner le dessinateur de Spirou — moi en l’occurrence — en Afrique, pour l’aider à concevoir une histoire, laquelle est devenue par la suite Le Gri-gri du Niokolo-Koba. Il devait y avoir une dizaine de gamins. On a visité Dakar à la rencontre d’enfants sénégalais de différentes écoles. C’était en 1972. Ce contact avec l’Afrique a tout de suite fonctionné et je me suis dit : « il faudra que j’y retourne… » Je ne saurais dire si cet album a connu un vrai grand succès au Sénégal, mais un succès d’estime sans aucun doute. Les autorités ont beaucoup apprécié cette histoire, à tel point que Léopold Sédar Senghor (premier président de la République du Sénégal et premier Africain à siéger à l’Académie française, NDLR) m’a écrit une lettre, que j’aimerais bien retrouver d’ailleurs… Ces mêmes autorités ont souhaité favoriser la bande dessinée, dans la mesure où elles y ont vu un mode d’expression intéressant et peu onéreux par rapport au cinéma ou la télévision, a fortiori dans un pays où cohabitent une multitude de langues. Du coup, elles m’ont demandé de venir animer des stages pour les étudiants et enseignants. Et peu à peu, j’ai commencé à poser mes jalons en Afrique jusqu’à devenir peu ou prou le spécialiste de la bande dessinée en Afrique. On m’a emmené au Cameroun, en Côte d’Ivoire et surtout au Sénégal. Il est vrai que j’adore l’Afrique et les Africains. J’ai de très bons contacts avec eux. Concernant la bande dessinée africaine, il commence à y avoir pas mal d’auteurs africains, mais seulement édités en Afrique, avec pour conséquence une diffusion quelque peu confidentielle. Les Africains fourmillent cependant d’idées, avec toutefois une façon différente de nous autres Occidentaux d’envisager l’imaginaire. Ce que j’ai pu constater lors de différents stages. J’ai essayé de les inciter à se montrer plus « universels ». J’en ai ramené un en France, lequel est devenu comme un second fils. Intéressé dans un premier temps par la bande dessinée, il a découvert l’infographie pour devenir par la suite formateur sur Photoshop. Il a une idée de scénario où des Africains au XVIIe siècle réduiraient en esclavage des Blancs esclavagistes ! (Rires.) Voilà, en quelques mots, ce que je peux dire sur la bande dessinée africaine.

Évoquons maintenant le personnage de Bizu, sonneur et conteur vivant dans la forêt de Brocéliande, plongée dans un univers imaginaire et féérique. Quelle est votre définition de l’imaginaire ?

C’est ce qui sort de la tête… et du cœur. En fait chacun de nous a sa propre définition de l’imaginaire. Ce dernier se nourrit de toute l’expérience d’une vie. J’ai inventé Bizu car cela me paraissait naturel de raconter les histoires d’un petit bonhomme qui vivait dans les arbres. Quand j’étais petit, je pensais à cela. Ma grand-mère qui vivait à Pordic, à côté d’ici, avait un père agriculteur, mais aussi conteur, qui allait dans les fermes et maisons raconter des histoires. Toute petite, elle accompagnait son père, et quand j’étais gamin, ma grand-mère me racontait plein d’histoires. Peut-être que cela aussi a forgé mon imaginaire, en l’aidant à se structurer. J’avoue avoir beaucoup de mal à définir cette notion.

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Le Faiseur d’or – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 20 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1970 — © Éditions Dupuis, 1970

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Du glucose pour Noémie – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 21 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1971 — © Éditions Dupuis, 1971

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L’Abbaye truquée – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 22 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1972 — © Éditions Dupuis, 1972

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Tora Torapa – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 23 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1973 — © Éditions Dupuis, 1973

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Le Gri-gri de Niokolo-Koba – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 25 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1974 — © Éditions Dupuis, 1974

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Du cidre pour les étoiles – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 26 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1975 — © Éditions Dupuis, 1975

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L’Ankou – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 27 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1977 — © Éditions Dupuis, 1977

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Kodo le tyran – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 28 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1979 — © Éditions Dupuis, 1979

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Des haricots partout – Les Aventures de Spirou et Fantasio – Tome 29 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1980 — © Éditions Dupuis, 1980

Bizu est donc votre première bande dessinée, avant Spirou. Mais il y a une rencontre importante dans votre existence, c’est celle de Franquin.

Nous sommes en 1965. J’étais encore étudiant à l’époque pour devenir prof de dessin, au lycée Claude Bernard. J’apprenais dans cette classe supérieure de dessin différentes techniques, pressentant qu’elles me seraient utiles dans la vie. Par contre, l’histoire de l’art et tout le reste m’emmerdaient. Je n’avais aucun diplôme, mais malgré cela, on m’a quand même gardé pendant trois années. Un peu par pitié, d’une part, dans la mesure où mes parents n’ayant pas les moyens de me payer les études, je devais travailler à côté. Pour mon implication dans le théâtre, d’autre part. J’allais aux cours Charles Dullin et ma passion, c’était de faire du théâtre. Je me suis aperçu que je voulais tout y faire : jouer, construire les décors et m’occuper de la mise en scène. Les responsables des cours Dullin m’ont alors assené : « faut choisir ! » Au regard de ma mine déconfite, un copain m’a dit : « c’est simple, t’as qu’à faire de la bande dessinée ! Ainsi, tu pourras écrire, faire la mise en scène, jouer tous les rôles, planter tous les décors et tout le reste ! » Ce conseil m’est apparu comme une révélation. Je me suis aussitôt mis à faire de la bande dessinée, au lieu de me contenter d’en lire ! Je regardais ce qui se faisait et j’ai fait mes premiers petits essais. J’achetai régulièrement Spirou, notamment pour Gaston, car j’adorais le dessin de Franquin. Je ne pensais pas d’ailleurs le rencontrer un jour. Et pourtant, un jour, en lisant Spirou, je tombe sur un petit encart annonçant une dédicace avec Franquin, en compagnie de Roba, Peyo, Morris et Goscinny, à la maison Dupuis, à Paris. Ma femme — nous venions de nous marier — m’incite à aller les voir en amenant mes dessins. Je me retrouve devant cette brochette de personnages illustres. Il y avait seulement une vingtaine de personnes à attendre. Ce serait aujourd’hui, il y aurait une émeute dans la rue ! Quand arrive mon tour, je me suis mis à trembler face à Franquin. Je lui fais signer l’album et il remarque mon carton à dessin. « Qu’est-ce que vous avez dans votre farde (mot belge désignant un classeur, un carton à dessins, NDLR) ? Des dessins ? » Et il me demande de lui montrer mes travaux. Tous regardent mes dessins que, personnellement, je trouvais nuls, mais nuls ! Eux, et notamment Franquin, semblaient visiblement trouver cela pas si mal. Franquin m’invite à montrer mes dessins à Goscinny qui dirigeait Pilote. Mais ce journal ne m’intéressait pas du tout. Je lui dis que mon rêve est de dessiner dans le même journal que lui. Ce qui étonna Franquin, dans la mesure où, comme j’étais Français, il pensait que Pilotem’intéresserait beaucoup plus. Il m’invita alors à me rendre en Belgique pour montrer mes dessins à Dupuis. « Je vous cornaquerais », me dit-il… Comme si j’étais un éléphant ! Ce qu’il a fait, puisqu’il m’a guidé — en compagnie de ma femme — dans Bruxelles jusqu’au bureau du rédacteur en chef, un certain Rosy. Ce dernier a été très sévère, ce qui tout compte fait était logique. Après cette entrevue, je me suis retrouvé déprimé, me demandant si je devais continuer… « C’est à vous de voir ! » rétorque Rosy d’un accent belge prononcé. Curieusement, c’est aussi ce que je dis aux jeunes qui viennent me montrer leurs dessins. Je donne franchement mon avis, et c’est ensuite à eux de voir s’ils veulent ou non s’accrocher. En tout cas, Franquin m’a remonté le moral, nous faisant découvrir Bruxelles, nous invitant au restaurant et me proposant surtout d’aller faire plus tard des stages dans son atelier, au sein desquels j’ai énormément appris. Voilà.

Franquin voulant se consacrer exclusivement à Gaston, comment s’est passé le passage de relais entre vous et Franquin ?

C’est assez mystérieux, en fait. À l’époque, j’ai commencé à publier Bizu dans Spirou. Ce n’était pas un franc succès : dans le referendum des lecteurs, j’étais parmi les derniers. Je me consolais en apprenant que Corto Maltese était aussi bon dernier chez Pif… Mais Delporte, le rédacteur en chef de Spirou à l’époque, aimait beaucoup Bizu et plus généralement l’imaginaire celtique. Il m’avertit que j’étais convoqué par Dupuis. Je pensais que ce dernier allait mettre fin à ma collaboration. En fait, il voulait me proposer de reprendre le personnage de Spirou. J’ai failli tomber de ma chaise. J’avais quinze jours de réflexion. Delporte était au courant, ainsi que Franquin qui me déconseilla de le reprendre. Il était arrivé à saturation… « Tu vas t’emmerder avec ce personnage comme moi pendant 24 ans… » Pour une fois, je ne l’ai pas écouté et j’ai bien fait ! Mais ce qui m’étonne, c’est que j’ai dû mal à croire qu’il ait pu se faire « chier ». Certes, le personnage de Spirou était un peu… anodin, comparativement aux personnages de Fantasio et de Spip par ailleurs. Mais en créant un monde merveilleux comme Champignac, il n’a pas pu s’emmerder autant que cela ! Bref, j’ai repris Spirou, et c’était très dur. C’est la seule fois dans ma carrière où j’ai vraiment travaillé. Car autrement, même si ce sont dix heures quotidiennes de travail, je m’amuse beaucoup à faire ce métier. Je ne pouvais pas faire aussi bien que Franquin, mais je voulais vraiment faire quelque chose de tout à fait acceptable.

À ce sujet, vous apportez par vos scénarii une dimension plus écologique, voire politique…

Franquin a fait de la politique dans certains de ses albums, comme en témoigne Le Dictateur et le Champignon. De même, dans Il y a un sorcier à Champignac, Franquin prend la défense des Roms. Il était en avance sur son temps. Hergé l’a également fait, mais un peu plus tard. On retrouve également cet engagement politique dans le titre Prisonnier du Bouddha. Mais Franquin s’adressait à de jeunes lecteurs qui étaient beaucoup moins informés que mes lecteurs à moi. J’estimais que je devais poursuivre ce que Franquin avait entrepris, mais avec un parti pris beaucoup plus net. J’ai abordé des thèmes comme la xénophobie, le nucléaire, le trafic d’opium… À chaque album, je me suis efforcé de traiter un sujet brûlant. On dit que Dupuis a été très en colère contre moi parce que j’abordais des sujets très politiques… mais je n’ai jamais vraiment su les raisons pour lesquelles Dupuis voulait me retirer Spirou. C’est un ensemble de facteurs. Par exemple, concernant l’album L’Ankou, qui est l’un des albums qui se sont le mieux vendus, Dupuis y voyait de la politique, alors que cet épisode n’était même pas un brûlot. Moi, ce que j’espérais, c’est qu’après la lecture de ce livre, un gamin de quatorze ans veuille en savoir plus sur le nucléaire, c’est tout. Un jour, j’ai appris que Dupuis voulait m’enlever Spirou. Et que beaucoup de « bons copains » s’étaient mis sur les rangs pour prendre la suite, sans rien me dire évidemment. Inutile de dire que j’ai coupé les ponts avec ceux-là… J’ai décidé d’arrêter, officialisant ce retrait par un courrier recommandé. Je ne regrette pas, dans la mesure où j’ai pu faire autre chose. Mais si j’avais pu continuer, je serais arrivé à un travail très abouti. Car je n’ai pas arrêté de progresser.

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Bonjour Bizu – Bizu – Tome 0 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1982 — © Éditions Dupuis, 1982 – Collection Péchés de jeunesse

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Le Signe d’Ys – Bizu – Tome 1 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1986 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1986 — © Éditions Fleurus, 1986

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Le Fils de Fa Dièse – Bizu – Tome 2 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1986 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1986 — © Éditions Fleurus, 1986

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Le Chevalier potage – Bizu – Tome 3 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1990 — Couleurs © Anne-Marie D’Authenay-Fournier, 1990 — © Éditions Dupuis, 1990

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Le Trio Jabadao – Bizu – Tome 4 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1991 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1991 — © Éditions Dupuis, 1991

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La Croisière fantôme – Bizu – Tome 5 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1992 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1992 — © Éditions Dupuis, 1992

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La Houle aux loups – Bizu – Tome 6 — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1994 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1994 — © Éditions Dupuis, 1994

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Bizu – L’Intégrale 1 – (1967-1986) — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1967-1986 — © Éditions Dupuis, 2013 – Collection Patrimoine

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Bizu – L’Intégrale 2 – (1986-1988) — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1986-1988 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1986-1988 — © Éditions Dupuis, 2016 – Collection Patrimoine

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Bizu – L’Intégrale 3 – (1989-1994) — Scénario et Dessin © Jean-Claude Fournier, 1989-1994 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1989-1994 — © Éditions Dupuis, 2017 – Collection Patrimoine

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L’Arbre des deux Printemps — Scénario © Rudi Miel, 2000 — Dessin © Collectif, 2000 — © Éditions Le Lombard, 2017 – Collection Signé

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Joyeuses Nouvelles pour petits adultes & grands enfants — Scénario © Zidrou, 2010 — Dessin © Collectif, 2010 — © Éditions Dupuis, 2010

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Contes de Noël du journal Spirou 1955-1969 — Scénario © Collectif, 2020 — Dessin © Collectif, 2020 — © Éditions Dupuis, 2020 – Collection Patrimoine

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À table ! – Les Crannibales – Tome 1 — Scénario © Zidrou, 1998 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 1998 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1998 — © Éditions Dupuis, 1998

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On mange qui, ce soir ? – Les Crannibales – Tome 2 — Scénario © Zidrou, 1999 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 1999 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1999 — © Éditions Dupuis, 1999

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Pour qui sonne le gras ? – Les Crannibales – Tome 3 — Scénario © Zidrou, 1999 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 1999 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1999 — © Éditions Dupuis, 1999

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L’Aile ou la Cuisse ? – Les Crannibales – Tome 4 — Scénario © Zidrou, 2002 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 2002 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 2002 — © Éditions Dupuis, 2002

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Crannibal pursuit – Les Crannibales – Tome 5 — Scénario © Zidrou, 2001 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 2001 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 2001 — © Éditions Dupuis, 2001

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Abracada… Miam ! – Les Crannibales – Tome 6
Abracada… Miam ! – Les Crannibales – Tome 6 — Scénario © Zidrou, 2002 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 2002 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 2002 — © Éditions Dupuis, 2002

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Crunch ! – Les Crannibales – Tome 7 — Scénario © Zidrou, 2003 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 2003 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 2003 — © Éditions Dupuis, 2003

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Pêche au gros – Les Crannibales – Tome 8 — Scénario © Zidrou, 2005 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 2005 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, Jean-Claude Fournier, 2005 — © Éditions Dupuis, 2005

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Les Crannibales – Intégrale 1 – (1995-2000) — Scénario © Zidrou, 1995-2000 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 1995-2000 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, 1995-2000 — © Éditions Dupuis, 2017

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Les Crannibales – Intégrale 2 – (2000-2005) — Scénario © Zidrou, 2000-2005 — Dessin © Jean-Claude Fournier, 2000-2005 — Couleurs © Anne-Marie d’Authenay, Jean-Claude Fournier, 2000-2005 — © Éditions Dupuis, 2019

Quel regard portez-vous justement sur le travail effectué par les autres repreneurs, que ce soit celui de Tome et Janry, de Munuera ou encore de Schwartz ?

No comment. Janry est un excellent dessinateur, très habile. Émile Bravo est un bon scénariste, même si je n’aime pas du tout son dessin. Les histoires qu’il a faites avec Spirou, j’aurais bien aimé les dessiner. Munuera dessine merveilleusement bien ! Dommage que le public n’ait pas accroché. Je n’ai pas vraiment d’avis tranché. Tout cela me donne un peu le cafard. Je me souviens d’avoir juste dit à Tome et Janry, quand ils ont été désignés pour reprendre Spirou : « méfiez-vous si vous faites de la politique ! » et ils m’ont répondu : « T’inquiète pas ! On a compris ! » C’est un choix. Pour moi, Spirou a dévié complètement. Mais bon, je n’ai pas vraiment de commentaires à formuler, sinon que j’ai beaucoup d’estime pour tous ces gens-là. Tome était un super pote, malheureusement décédé trop tôt, et Janry un formidable dessinateur. Un léger reproche toutefois : ils ont créé Le Petit Spirou à la demande des rédacteurs, mais cela ne correspond pas à l’idée que je me faisais du personnage qu’il aurait pu être lorsqu’il était enfant. Je le retrouve plus dans celui créé par Émile Bravo. De même, à mon sens, c’est une erreur de faire des one-shots. Car du coup, les lecteurs ne s’y retrouvent plus. Ils ne savent plus qui fait quoi… C’est dommage. Enfin, c’est mon avis.

Vous avez évoqué le succès de l’album L’Ankou, lequel a également été édité en langue bretonne. Êtes-vous attaché à l’identité régionale bretonne, et plus généralement aux identités régionales ?

Complètement. À 150 %. Mais contrairement à Malo Louarn, je ne suis pas bretonnant. Je voudrais m’y mettre, mais je ne trouve pas le temps. Par contre je joue du biniou et de la cornemuse depuis 70 ans. Ce qui ne veut pas dire que je veux une Bretagne indépendante avec des frontières bien délimitées : je suis citoyen du monde, européen convaincu ET breton. Je rêverais bien d’une Europe fédérale des régions. Oui, ce serait mon rêve. Que je ne connaîtrai jamais, je pense. En tout cas, je crois que c’est en bonne voie. On verra… Enfin, vous davantage que moi… Qui sait ?

Concernant cet album, avez-vous effectué des repérages ?

Oui, en effet. Mon scénario n’était pas encore bien écrit, il me manquait des éléments et surtout de la documentation. J’ai d’ailleurs inventé le nom de Bernniliz, à la place de Brennilis, mais personne n’est dupe ! Ma documentation n’était pas assez complète et précise. D’où ce nom… J’ai honte !

Dans le courant des années 2000, vous effectuez un virage important en évoluant vers un style plus réaliste, notamment avec la publication du diptyque Les Chevaux du vent, sur un scénario de Lax. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’avais arrêté de faire les Crannibales, une bande dessinée que j’ai adoré faire. Mais selon Dupuis, cela ne marchait pas assez. J’avais soixante berges… Que faire alors ? Prendre sa retraite ? Démarrer une nouvelle carrière ? J’ai opté pour ce second choix, ce qui signifiait pour moi passer au dessin réaliste, ou plus exactement semi-réaliste. J’avais rencontré Lax (pseudonyme de Christian Lacroix, brillant dessinateur, auteur de Pain d’alouette et Azrayen’notamment, NDLR) en prenant un taxi en sa compagnie. Il m’avait fait part de son envie de travailler avec moi, et il avait une histoire en tête. Mais il fallait que celle-ci soit dessinée dans un style plutôt réaliste. C’était pour moi hors de question, dans un premier temps tout au moins. Puis j’ai sauté le pas… Pourtant, à la lecture de son synopsis, tout me déplaisait : le peuple népalais ne m’intéressait pas, et j’ai qui plus est horreur de la montagne. J’ai toutefois décidé d’accepter, et je me suis sérieusement intéressé au sujet : documentation, bouquins, Internet. J’ai découvert l’Himalaya, ses royaumes, ses peuples. Au bout de six mois, j’en étais totalement amoureux ! Et j’ai démarré cette histoire avec un bonheur fou. Évidemment, ce fut une grande surprise dans le milieu. Le directeur éditorial d’Aire Libre, Claude Gendrot — qui maintenant dirige Futuropolis — n’en revenait pas !

Vous avez travaillé en couleur directe, à l’aquarelle… Ce passage a-t-il été difficile à négocier d’un point de vue technique ?

J’aime beaucoup travailler à l’aquarelle. J’en fais beaucoup en dehors de la bande dessinée, sur mon temps libre. C’est une technique facile à utiliser, moins exigeante que l’huile par exemple. Par contre, sur les premières planches, j’ai eu un mal fou pour les proportions des personnages, car je venais d’un style davantage porté sur la caricature. Il fallait s’adapter. Je passais d’une bande dessinée comique vers un univers plus réaliste. Je remarque de suite cette délicate et difficile transition, notamment dans les premières pages, au niveau des visages, des décors, des maisons. Mais cela s’est arrangé par la suite. À tel point que lorsque je dois dessiner un Spirou, celui-ci a des proportions plus réalistes, comme sous le crayon de Franquin dans La Mauvaise Tête. Il faut dire que cela fait une douzaine d’années que j’évolue dans un style plus réaliste. D’ailleurs, il y a quelque temps, on m’a suggéré de reprendre Spirou sous forme d’une one-shot. J’ai été tenté de le faire, et j’ai réalisé quelques essais. Les proportions du personnage étaient beaucoup plus réalistes. Avec Bizu, c’est moins compliqué. Car il est tout petit. C’est un peu comme si je dessinais un Schtroumpf. En fait, c’est la seule difficulté que j’ai rencontrée. Par contre, c’était une grande satisfaction de dessiner cette histoire, car je me voyais avancer et progresser. Et jamais je n’aurais pensé dessiner un jour comme cela. Je manquais un peu de modestie, mais je les trouvais pas mal ces planches, et je voyais que je progressais. Tout comme actuellement où je travaille sur une nouvelle histoire et où je prends un pied terrible !

Quel est ce nouveau projet ?

C’est une commande des éditions Maghen. Ce sont mes mémoires ! (Fournier – Souvenirs d’un dessinateur heureux, sorti en 2024 aux éditions Maghen, NDLR.) Par anecdotes. Des fois des anecdotes en une, quatre ou huit planches, dans lesquelles je raconte ma carrière professionnelle, mais aussi ma vie personnelle. Cela m’oblige à chercher dans mes souvenirs. Et je me rends compte que j’ai une facilité folle à mettre un texte en images. Pourtant, cela fait près de vingt ans que cela ne m’était pas arrivé. Certes, ce sont mes souvenirs, lesquels me reviennent facilement, mais il y avait néanmoins une appréhension. Je réalise un scénarimage très simplifié, plus connu sous le nom de storyboard. En ce qui me concerne, c’est très schématique, et cela me suffit. Pour l’album Plus près de toi, mon scénarimage est plus compliqué. Ce n’est pas le cas ici.

À ce sujet, comment se passe la collaboration avec vos scénaristes ?

J’ai travaillé avec trois scénaristes : Zidrou, Lax et Kris. Nous avons toujours travaillé dans une amitié totale. Une très grande amitié. Il y avait par conséquent une relation de confiance. Comme des frères. Ils me confiaient un texte, comme pour le théâtre, et je m’occupais de la mise en scène. Totalement. Et le scénarimage aussi. J’ai toujours su faire. Ils me donnaient des indications scéniques. Lax était assez précis. Zidrou me laissait totalement faire. Quant à Kris… je l’ai rencontré quand il était jeune. Il s’occupait du fanzine brestois Le Violon Dingue, lequel réunissait plusieurs dessinateurs et scénaristes de talent. Ils connaissaient tous ce que j’avais fait. Un jour, bien plus tard, lors d’une séance de dédicaces au « Festival du Livre de Paris », nous avons décidé que l’on bosserait ensemble. Il m’avait d’abord parlé d’un premier projet très intéressant se déroulant en URSS dans les années vingt et trente. Puis, il m’a proposé un second projet sur le massacre du camp de Thiaroye, car il savait que j’avais un lien particulier avec l’Afrique. J’ai préféré cette dernière histoire. Voilà. Avec ces trois scénaristes, ce fut une osmose totale. Mais pour mes mémoires, je suis seul à bord. Il devrait être prêt fin décembre 2022, et sortirait durant le printemps 2023. Dans le contrat sont prévues 70 planches… le reste de la pagination se composant d’un rédactionnel, accompagné de photographies. Mais il y aura sans doute plus de 70 planches… J’ai beaucoup choses à raconter !

Allez-vous évoquer dans ce projet le fait qu’en 2014, vous avez été honoré en tant que chevalier des Arts et des Lettres ?

Ah oui, c’est vrai… Justement, en ce moment, il paraît que le ministère de la Culture envisage maintenant de me faire officier ! (Il sera distingué en 2022, NDLR.) Mais en 2014, j’ai été surpris. Je n’étais pas au courant qu’on voulait me faire chevalier des Arts et des Lettres. J’avais d’ailleurs dit à ma famille : « les distinctions, je suis contre ! » Mais les Arts et les Lettres, j’y suis favorable dans la mesure où c’est tout de même une reconnaissance de mon métier. J’ai su bien plus tard que c’était le maire de Saint-Quay-Portrieux qui en avait fait la demande. Par contre, il fallait acheter la médaille pour la distinction de chevalier. C’était pour moi hors de question ! L’association « Quai des Bulles » ayant eu vent de cette histoire me l’a généreusement payée. C’est un bon copain, Patrick Gaumer, spécialiste de la bande dessinée, qui me l’a remise. Concernant cette nouvelle distinction, c’est au regard de l’ensemble de ma carrière, notamment ma participation à la création d’un des plus grands festivals de bandes dessinées, « Quai des Bulles », qui se tient à Saint-Malo. J’ai aussi contribué à la formation de pas mal d’auteurs (Blesteau, Plessix, Le Page, Hiettre et quelques autres, NDLR). J’ai par ailleurs fait pas mal d’albums qui ont été appréciés, et je compte en faire d’autres si les petits lutins me prêtent vie. J’arrive bientôt à quatre-vingts balais. Ça ne va pas durer éternellement maintenant…

Comment voyez-vous l’évolution du métier d’un point de vue technique ?

C’est incroyable ! À tel point que je ne me rappelle même plus comment je faisais. Quand il y avait des défauts sur mes dessins en noir et blanc, je faisais ce qu’on appelle des rustines. Je faisais un montage, un genre de collage bien précis pour pouvoir rectifier mon erreur. Hors de question du coup de travailler en couleur directe. J’envoyais les planches en Belgique, et cela me coûtait cinquante francs de l’époque (moins de dix euros). Maintenant, j’envoie mes planches via la plateforme WeTransfer. Mais j’utilise peu l’ordinateur, sauf pour quelques corrections. Je travaille sur papier, en traditionnel. Je sais toutefois que je peux utiliser l’informatique, au cas où. Quand on travaille en couleur directe, on peut aisément corriger, éliminer des taches. C’est d’un très grand secours.

On a cité Franquin comme mentor. Quels artistes, cinéastes ou écrivains vous ont marqué ?

Tous les films que je vois, je les trouve absolument merveilleux. Même ceux qu’on appelle des nanars… À partir du moment où l’on me raconte une histoire et que cela m’intéresse, j’accroche sans difficulté. Je suis bon public. La Grande Vadrouille, aujourd’hui considéré comme un classique, a pourtant longtemps été décrié, alors que moi je l’avais d’emblée trouvé génial ! Voilà un film rigolo, plein d’humour. C’est rare que je trouve un film moche. Concernant les romans, cela fait depuis quelques années que je ne lis que des polars, notamment ceux de Michaël Connelly, l’un de mes auteurs préférés. Je lis en revanche très peu de bandes dessinées. Parmi les auteurs du milieu, l’un de ceux que j’appréciais beaucoup était Bruno Le Floc’h. Il m’impressionnait vraiment. Il est parti brutalement, bien trop tôt. Son histoire Trois éclats blancs, laquelle raconte la construction d’un phare avant la Grande Guerre, est fabuleuse. Franquin, c’est vraiment… mon grand frère, un peu comme un second père. Il y a également Will, un homme et un dessinateur que j’ai vraiment beaucoup apprécié. Sur Tif et Tondu, il « forçait » toutefois quelque peu son style… Ses dernières œuvres comme Le Jardin des désirs ou La Vingt-Septième lettre correspondaient vraiment à son style, à ce qu’il aspirait à faire. Avec Alain Goutal, on avait d’ailleurs organisé une exposition de ses peintures à Saint-Malo. Je peux également citer Juanjo Guarnido, qui vient du dessin animé. Son Blacksad est merveilleux. J’aime aussi Manara, surtout la façon dont il dessine les femmes, bien sûr. Ses hommes sont par contre moches, et je ne parle pas de ses voitures ! Un autre que j’adore et que j’ai d’ailleurs rencontré, c’est Hugo Pratt. Un sacré aquarelliste et un maître du noir et blanc ! À une certaine époque, j’ai voulu faire de l’aquarelle à sa façon. Mais je me suis planté comme une grosse vache ! (Rires.) Ceci dit, je pense avoir beaucoup progressé en faisant ce métier. Si je peux encore dessiner une dizaine d’années… On ne sait jamais… On peut rêver ! Touchons du bois !

Quels sont vos projets en cours ?

Je suis pour l’instant sur ce projet avec Maghen. Il m’en parle depuis si longtemps… Mais avant de me lancer dans cette aventure-là, j’avais aussi envie de faire une grande et longue histoire de Bizu. Un peu comme un chant du cygne, une manière de terminer ma carrière… J’ai en tête, depuis longtemps déjà, un très beau scénario. Il s’agirait toutefois d’une histoire lisible par tout le monde, les histoires de cet univers ne touchant pas toujours les enfants. La série n’a eu malheureusement qu’un succès d’estime. Aurais-je toutefois encore envie, une fois ce projet achevé, de raconter une longue histoire comme celle à laquelle je pense pour Bizu ? J’aurai bientôt 80 ans en fin 2022… Peut-être pourrais-je enfin m’installer à une grande table pour faire marcher mon train électrique ? (Rires.)

En remontant le temps, avec quel autre scénariste auriez-vous aimé travailler ?

Raoul Cauvin, qui vient de nous quitter… Quand j’ai su que Dupuis envisageait de m’enlever Spirou, je me suis efforcé de défendre l’album en cours, La Maison dans la mousse, titre qui avait permis à Franquin de collaborer au scénario (La Maison dans la mousse était censée être le trentième album de la série. Seules cinq planches ont été dessinées et en partie colorisées et encrées, NDLR). Will devait faire les décors d’une partie de l’histoire. Mais je me suis rendu compte que je n’étais pas du tout doué pour les gags ; aussi ai-je demandé à Raoul s’il voulait travailler avec moi. On était très copains tous les deux. Il a toutefois refusé, stipulant qu’il était fâché avec Franquin. Je n’ai jamais su pour quelle raison. Il refusait de travailler sur Spirou si l’album devait comporter des personnages propres à Franquin, comme le comte de Champignac ou le marsupilami. Il a été catégorique. C’était hors de question. Si on avait bossé ensemble, je pense qu’il aurait voulu être seul aux commandes du scénario, malgré mon envie de collaborer avec lui — et plus précisément sur les gags où je n’étais pas du tout à l’aise. De toute façon, il a rencontré un immense succès avec la série Les Tuniques bleues, en travaillant avec Willy Lambil, superbe dessinateur. L’histoire est bien documentée, il y a de bonnes idées et les personnages sont bien typés.

Et quel regard portez-vous sur les comics et les mangas ?

Cela ne m’intéresse pas. Mandrake, Pim Pam Poum et consorts, je n’aime pas. En y repensant de plus près toutefois, j’aimais bien Red Ryder, les aventures d’un cow-boy, très bien dessinées par Fred Harman. Mais la série relevait davantage du franco-belge, il est vrai. Le manga, par contre, je n’accroche pas. D’autant plus qu’il faut le lire à l’envers, en commençant par la fin… Ridicule ! Il y a d’ailleurs un manga qui passe dans Le Journal Spirou, que je reçois régulièrement. Je feuillette ce dernier, mais il est rare qu’il y ait des choses qui m’intéressent… Certaines couleurs faites à l’ordinateur sont d’un moche… Ceci dit, il s’agit là d’une critique de vieux crouton, le journal marchant bien par ailleurs. Le rédacteur en chef connaît les goûts de son public. Moi, je raisonne comme un vieux con qui pense au Spirou d’il y a deux cents ans ! C’est normal, les temps changent.

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Les Chevaux du vent – Première partie — Scénario © Lax, 2008 — Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2008 — © Éditions Dupuis, 2008 – Collection Aire Libre

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Les Chevaux du vent – Seconde partie — Scénario © Lax, 2012 — Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2012 — © Éditions Dupuis, 2012 – Collection Aire Libre

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Les Chevaux du vent – Intégrale — Scénario © Lax, 2008, 2012 — Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2008, 2012 — © Éditions Dupuis, 2017 – Collection Aire Libre

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Plus près de toi – Première partie — Scénario © Kris, 2017 — Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2017 — Lettrage © Stevan Roudaut, 2017 — © Éditions Dupuis, 2017 – Collection Aire Libre

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Plus près de toi – Seconde partie
Plus près de toi – Seconde partie — Scénario © Kris, 2021 — Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2021 — Lettrage © Stevan Roudaut, 2021 — © Éditions Dupuis, 2021 – Collection Aire Libre

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Fournier – Bande dessinée & Illustration — Scénario, Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2022 — © Éditions Daniel Maghen, 2022

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Fournier – Souvenirs d’un dessinateur heureux — Scénario, Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2024 — © Éditions Daniel Maghen, 2024

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Fournier – Ma vie de rêves — Scénario, Dessin et Couleurs © Jean-Claude Fournier, 2024 — © Éditions Daniel Maghen, 2024

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Dans l’atelier de Fournier — Scénario © Nicoby, Joub, 2013 — Dessin © Nicoby, 2013 — © Éditions Dupuis, 2013

Vidéos

Rencontre avec Jean-Claude Fournier. lefictionaute.com.

Dédicace de Jean-Claude Fournier. lefictionaute.com.

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