Jérôme Noirez
Artiste protéiforme et créateur de Hellboy, devenu un classique de la bande dessinée fantastique étatsunienne, Mike Mignola s’est imposé depuis plus de trente ans comme un des maîtres du neuvième art. Le travail de son auteur ne cesse d’impressionner à bien des égards. Son parcours et sa démarche si singulière ne sont évidemment pas étrangers au succès de cette saga ô combien addictive ! Pour autant, c’est aussi en multipliant les projets et les collaborations dans divers médias que ce dessinateur hors pair s’est construit un univers pictural à nul autre pareil. Un univers qui a suscité bien des vocations et influencé plus d’un artiste.

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Hellboy de Mike Mignola

Mike Mignola
ou le fantastique réinventé

Mike Mignola

Article réalisé par Jean-Marc Saliou

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AUTEUR

C’est à Berkeley en Californie que Mike Mignola voit le jour le 16 septembre 1962. Dessinant dès son plus jeune âge, il se montre considérablement influencé par la lecture de Dracula de Bram Stoker. Ses premiers dessins s’orientent ainsi vers une ambiance victorienne, remplie de monstres et de fantômes. Il s’avère également impressionné par le travail de Mike Ploog, remarquable illustrateur ayant notamment œuvré dans l’univers des comics, mais aussi dans le cinéma d’animation. La bande dessinée le passionne, et Mignola souhaite en faire son métier. Il suit quelques cours dans une école d’art avant de déménager en 1982 à New York où il exerce ses premières armes en travaillant pour Marvel, principalement comme encreur. Mais nullement satisfait de son statut, le voici sollicité pour mettre son talent de dessinateur au profit de séries comme Rocket Raccoon, Alpha Flight ou Hulk. À la fin des années 1980, il commence déjà à développer un style personnel qui se démarque de la production ambiante. Alors au service de DC Comics, il bénéficie de projets plus ambitieux : Le Cycle des Épées, Cosmic Odyssey et surtout Gotham by Gaslight — où l’on retrouve cette fascination pour l’époque victorienne. En 1992, on lui confie l’adaptation du film Dracula de Francis Ford Coppola. Cette première incursion dans le domaine cinématographique ne sera pas la dernière.

Mais le véritable tournant concerne bien sûr la création, en 1993, de Hellboy, titre co-écrit par John Byrne mettant en scène une créature éponyme ramenée des enfers à la suite d’expériences menées par les nazis. Détective de l’occulte, globe-trotteur infatigable et vrai dur à cuir, les enquêtes surnaturelles du Singe rouge le mènent à fouler moult régions du monde. Conviant habilement le lecteur aux confins des mythologies celtiques, slaves, mexicaines, africaines et du paganisme nazi, la série parue chez Dark Horse remporte un franc succès. Scénarisant le plus souvent seul les aventures du héros cornu, et assurant également seul le dessin jusqu’au huitième tome, Mignola s’entoure par la suite de collaborateurs renommés tels Richard Corben, Philip Graig Russel et surtout Duncan Fegredo. Les coloristes Mark Chiarello et Dave Stewart viennent étoffer l’équipe. Au regard du succès, plusieurs séries dérivées de l’univers de Hellboy font leur apparition sous son patronage, telles Witchfinder, B.P.R.D. ou encore Abe Sapien pour les plus remarquables.

Dessinateur aux multiples facettes, Mignola réalise L’Homme à la tête de vis, adapté sous la forme d’un pilote de série animée pour le petit écran. Il collabore en 2001 pour Disney comme designer sur le film Atlantide, l’empire perdu. Malgré le relatif insuccès du film, il se voit l’année suivante engagé par Guillermo del Toro comme consultant sur Blade 2 (2002), puis pour son adaptation des aventures de son personnage emblématique : Hellboy (2004) et Hellboy 2 : Les Légions d’or maudites (2008). Ces deux longs métrages remportent un succès public et critique. Il intervient également sur l’univers prestigieux de Batman, au travers de la série animée Batman, la relève. Il coscénarise avec Christopher Golden les romans illustrés Baltimore, or the Steadfast Tin Soldier and the Vampire(2007) et Joe Golem and the Drowning City (2012), lesquels font l’objet d’une publication en comics. Après la parution d’Hellboy en enfer (2014), il décide de faire une pause afin de se consacrer à la peinture, mélangeant gouache et aquarelle. Une passion qui le conduit jusqu’en 2021. Au sortir de cette « retraite », il se consacre à la création d’un nouvel opus de Witchfinder, l’une de ses séries dérivées de l’univers d’Hellboy. Auteur protéiforme, Mignola ne cesse de témoigner d’une fécondité et d’un talent jamais pris en défaut, et ce, quels que soient les domaines abordés.

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The Incredible Hulk – # 307 — Couverture © Mike Mignola et Steve Leialoha, 1985 — © Éditions Marvel Comics, 1985

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The Incredible Hulk – # 313 — © Mike Mignola et Gerry Talaoc, 1985 — © Éditions Marvel Comics, 1985

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Alpha Flight – # 34 — Couverture © Mike Mignola, 1985 — © Éditions Marvel Comics, 1985

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Batman – # 426 — Couverture © Mike Mignola, 1988 — © Éditions DC Comics, 1988

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Batman – # 429 — Couverture © Mike Mignola, 1989 — © Éditions DC Comics, 1989

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Batman – Gotham by Gaslight — Couverture © Mike Mignola, 1998 — © Éditions DC Comics, 1998

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Hellboy – The Lost Army – Skeleton — Illustration réalisée pour le roman The Lost Army écrit par Christopher Golden — © Mike Mignola, 1996 — © Éditions Dark Horse Books, 1997

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Hellboy – Les Germes de la destruction in La Bible infernale — Illustration publiée dans l’édition cartonnée des Germes de la destruction — © Mike Mignola, 1994 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Hellboy – Illustration — © Mike Mignola, 1998

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Hellboy – Hellboy with Minotaur – Illustration — © Mike Mignola, 1999

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Hellboy – Au nom du diable in La Bible infernale — Deuxième couverture non utilisée pour Au nom du diable — © Mike Mignola, 1995 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Hellboy – Au nom du diable in La Bible infernale — Couverture non utilisée pour Au nom du diable — © Mike Mignola, 1995 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Hellboy – Le Ver conquérant — Couverture non utilisée pour Le Ver conquérant — © Mike Mignola, 2002 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2002

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Hellboy – Les Loups de Saint Auguste in La Bible infernale — Couverture pour Les Loups de Saint Auguste pour l’édition Dark Horse Presents — © Mike Mignola, 1994 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Batman Beyond – Illustration — © Mike Mignola, non datée

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Hellboy – Les Germes de la destruction in La Bible infernale — Couverture pour Les Germes de la destruction — © Mike Mignola, 2002 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Hellboy – Les Germes de la destruction in La Bible infernale — Couverture pour Les Germes de la destruction — © Mike Mignola, 2002 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Skeleton – Illustration — © Mike Mignola, 2019

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Hellboy – Les Germes de la destruction in La Bible infernale — Première peinture de Hellboy, publiée dans la version cartonnée à tirage limité pour Les Germes de la destruction — © Mike Mignola, 2002 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Hellboy – La Grande Battue — Hellboy Omnibus volume 3 in La Bible infernale — Illustration de couverture de Hellboy Omnibus volume 3 – Tirage limité à 500 exemplaires numérotés — © Mike Mignola, 2017 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2019

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Hellboy – Le Diable dans la boîte in Hellboy 25 ans d’illustrations — Couverture # 2 — © Mike Mignola, 1998 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2020

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Hellboy – Les Germes de la destruction in Hellboy 25 ans d’illustrations — Couverture issue d’une collection inutilisée — © Mike Mignola, 1994 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2020

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Hellboy – Oddest Jobs in Hellboy 25 ans d’illustrations — Couverture à l’aquarelle — © Mike Mignola, 2008 — © Éditions Delcourt, Collection Contrebande, 2020

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Hellboy – Illustration à l’aquarelle non terminée — © Mike Mignola, non datée

ŒUVRE

C’est en retravaillant un dessin réalisé en 1991 lors d’une convention que Mike Mignola finit par donner naissance à Hellboy : créature démoniaque à la peau rouge et aux cornes limées. Certes, il fallut plusieurs esquisses pour donner naissance à ce détective des plus atypiques, vêtu d’un imperméable usé jusqu’à la corde digne de celui d’un certain Colombo. Avec une main droite hypertrophiée et une autre tenant fermement un flingue surdimensionné, Hellboy a déjà une apparence graphique reconnaissable entre toutes.

L’œuvre se démarque d’emblée par une atmosphère des plus envoûtantes. Fervent admirateur des œuvres Dracula et Frankenstein ou le Prométhée moderne, des univers fantastiques et sombres d’Edgard Allan Poe et de Lovecraft, mais aussi des cycles de Dark Fantasy de Michael Moorcock, Mike Mignola parvient à synthétiser dans son œuvre l’ensemble de ces influences. Intrigué qui plus est par les mythologies celtiques et slaves — incontournable Baba Yaga —, l’auteur s’intéresse également au symbolisme des sociétés secrètes, au premier rang desquelles figure la société Thulé.

Alan Moore — l’un des plus grands scénaristes de comics — décrit le style graphique de Mignola comme la rencontre de Jack Kirby et de l’expressionnisme allemand. Comment en effet ne pas voir à travers son graphisme un hommage appuyé à l’univers de Murnau et de son inquiétant Nosferatu ? Ou encore à la figure du Golem, notamment celle mise en scène par Paul Wegener en 1915 et 1920 ? On ne peut par ailleurs oublier Fritz Lang et son Docteur Mabuse, typiquement dans certaines cases où le jeu des clairs-obscurs donne une dimension particulièrement angoissante à certaines situations dramatiques ou périlleuses. Certaines mises en scène peuvent aussi rappeler celles d’Otto Dix, peintre marqué dans sa chair par la Grande Guerre. Ce goût et cette fascination pour ce genre se retrouvent également dans ses paysages lugubres et inquiétants, ou dans ses personnages au physique atypique, avec leurs épaules tombantes et leurs petites jambes. Des éléments graphiques que n’aurait pas reniés non plus un certain Tim Burton. Sans aucun doute, la série ne serait pas devenue cette œuvre mythique sans la maîtrise picturale de son auteur. Lors de ses premiers travaux sur Rockett Raccoon notamment, ce dernier nous montre déjà sa maîtrise de la composition par l’usage qu’il fait de ses aplats de noirs. Son travail n’est d’ailleurs pas sans rappeler les œuvres de Bernie Wrightson, John Buscema, Frank frazetta, mais aussi, et surtout celle du remarquable Mike Ploog (Ghost Rider, Werewolf, The Monster of Frankenstein), lequel a considérablement marqué et influencé Mignola.

Au début des années 90, notre artiste effectue un virage des plus audacieux. Épurant et dépouillant son dessin afin de le rendre moins académique, Mignola se rapproche d’une représentation graphique des plus stylisées, parfois proche de l’abstraction. Multipliant les collaborations avec différents éditeurs (Marvel, DC Comics, Dark Horse), son travail annonce déjà l’émergence de ce style à part. Travaillant sur des one shots ou des séries comme Hulk ou Batman, c’est sans aucun doute l’univers développé dans HellBoy qui va lui permettre de donner sa pleine mesure. Certes, on pressentait déjà une qualité et un talent indéniable au travers de ses productions diverses, mais la création et la genèse du « Hellboy Verse » annonce la maturation d’un style artistique atypique et fascinant. Cette fois, Mike Mignola venait de créer l’univers dans lequel il pouvait pleinement s’exprimer. Le travail d’épure de son trait va se poursuivre et se rapprocher d’artistes comme Hugo Pratt ou Battaglia. Il n’est pas usurpé d’ailleurs de parler d’une ligne claire à l’américaine. En témoigne une composition pleine d’élégance, très stylisée et synthétique, laquelle n’omet pas pour autant le mouvement, tant s’en faut. Pour preuve, ces scènes de combats et de pugilats dignes d’un Hermann ou d’un Frazetta. Une telle démarche s’avère l’aboutissement d’un travail et d’une réflexion au niveau du dessin et du trait des plus conséquents. C’est dans cette maîtrise subtile du noir et blanc que notre dessinateur impressionne. Procédé utilisé par des artistes renommés comme Eduardo Risso, Alex Toth, Jordi Bernet et bien sûr Frank Miller.

Le travail de Mignola se démarque aussi par un découpage pointu, rendu possible par l’usage de silences et de pauses, conférant à l’ensemble cette ambiance à part. Un sens de la mise en scène qui n’est pas sans rappeler celle de l’Italien Sergio Toppi. Que ce soit sur une pleine page, une couverture ou une succession complexe de cases, le père de Hellboy n’a pas son pareil pour subjuguer le lecteur et le tenir en haleine. Il compose ses images de manière très précise. Travaillant sur le contraste entre le noir et le blanc et sur le placement de la lumière, il peut par ailleurs se targuer d’être bien épaulé par des coloristes avisés comme Dave Stewart, entre autres. Une palette de couleurs impressionnante où chaque tonalité se montre savamment dosée, magnifiant le travail pictural de Mignola. Une qualité qui n’est pas toujours monnaie courante dans la production contemporaine étatsunienne…

Mignola s’est imposé comme un auteur unique, avec ses puissants codes narratifs, son travail abouti de l’épure et des contrastes, et bien sûr, une aisance à concevoir de magistrales compositions. Nous ne saurions qu’aller dans le sens de Thierry Mornet, responsable éditorial comics aux éditions Delcourt, citant à propos de notre auteur : « L’univers qu’il a réussi à créer est l’un des plus solides dans le monde de la bande dessinée. » Les nombreuses récompenses viennent par ailleurs corroborer la justesse de ces propos, comme en témoignent les nombreux prix Eisner, prix Harvey, prix Haxtur et quelques autres accumulés au fil de ses nombreux enfantements…

Vidéos

Hellboy : le genie de Mignola pour la simplification. Elsa Charretier.

Hellboy : The Corpse. Matt Draper.

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