Les Furies de Borås, Anders Fager, Éditions Mirobole
Jérôme Noirez
Après les polars venus du froid, voici l’horreur venue du froid, laquelle nous vient du suédois Anders Fager, peu connu dans nos régions quasi méridionales. Les Furies de Borås est une sélection de treize nouvelles issues de trois recueils non traduits en français, que les jeunes éditions Mirobole ont eu l’excellente idée de publier. La plupart des textes s’appuient sur la mythologie lovecraftienne, mais en revisitent les fondamentaux au travers d’une écriture épurée et incisive, laquelle donne plus à voir qu’à entrevoir. Jouissif !
Les Furies de Borås, Anders Fager, Éditions Mirobole

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Infos pratiques

Les Furies de Borås et autres contes horrifiques

Samlade svenska kulter

Anders Fager

Suède

Carine Bruy

Spauln, AdShooter, Efilippou

Sean Habig

Mirobole Éditions

Horizons pourpres

Inédit

Novembre 2013

352 pages

Grand Format

21,50 Euros

978-2-37561-052-7

© Éditions Mirobole Éditions, 2017 – © Anders Fager, 2011 – © Photos : iampuay, Noppanisa Chantawongvilai

Les Furies de Borås

Anders Fager

Éditions Mirobole

Chronique réalisée par Frank Brénugat
Les Furies de Borås, Anders Fager, Éditions Mirobole

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages

HISTOIRE

Le recueil commence par la nouvelle éponyme Les Furies de Borås qui nous entraîne dans la tourbière proche d’une boîte de nuit d’Underryd, dans la lande de Skanör en Suède. Toute la jeunesse des environs semble s’être rendu au rituel incontournable du dancefloor local, au son d’une musique punk qu’accompagnent alcools et petites friandises colorées au goût défendu. Mais ces terres boréales voient cette nuit pas comme les autres s’écraser une météorite d’où émerge une créature démente et avide. Et nos adolescentes lascives, furies juvéniles, de séduire le beau mâle afin de l’emmener jouer à des jeux autrement moins innocents à l’orée des bois. Car dans cette tourbière, il s’agit d’une tout autre danse, plus ancestrale celle-ci, à laquelle sont conviés nos prêtresses en herbe hypersexuées et leur victime. Une première nouvelle qui ouvre le festin par un amuse-gueule des plus relevés, en attendant la suite des festivités dont il n’est pas certain que tous les convives ressortent aussi repus que le maître de cérémonie.

Autre nouvelle aux relents lovecraftiens et poissonneux, Trois semaines de bonheur où une étrange vendeuse de poissons de collection semble vouer aux principaux intéressés un amour tout autre que platonique. Incursion dans les remous de l’aquariophilie ou de la difficulté d’être une mère pas comme les autres. Un texte sombre, poisseux, dérangeant, cruel, mais d’une beauté et d’une tristesse confondantes. Joue avec Liam est une nouvelle dans laquelle un petit garçon plein d’imagination et amoureux des dinosaures découvre près de son école une cavité d’une profondeur insondable qui lui parle et lui demande de bien vouloir le nourrir pour être son ami. Une nouvelle qui flirte sur les territoires troubles de la psychopathologie et qui s’avère, par la thématique abordée et son traitement, très kingien et où le final révulsant ne manquera pas de paraître pour quelques âmes chatouilleuses un tantinet malsain. Encore ! Plus fort ! nous plonge cette fois-ci dans les méandres du plaisir sexuel et de son éternelle quête d’une jouissance insatiable. Le texte dévoile un couple qui entretien le désir et l’excitation par la strangulation réciproque. Seulement, au paroxysme de leur jouissance et au seuil de la mort, s’ouvre un autre monde où l’onirisme se mélange au mysticisme. Une étrange incursion dans des territoires interdits et étonnamment lovecraftiens par moments. Ou comment les dessous de l’asphyxie érotique peuvent nous conduire à la recherche d’une nouvelle Kadath.

On achèvera notre liste par le dernier texte du recueil, Le Bourreau blond, texte qui dévoile quelques informations sur l’organigramme du panthéon précédemment évoqué. La nouvelle offre une approche résolument ésotérique et nous permet de mieux saisir les enjeux de pouvoirs qui se dessinent derrière ces cauchemars insondables que représentent ces divinités venues d’outre-espace. En cela, elle éclaire les textes précédents et contribue par la même occasion à l’élaboration du mythe, tant celui commencé par Lovecraft lui-même que celui poursuivi par l’auteur qui nous concerne ici. Et la matière de prendre forme dans un balbutiement que ne renierait pas Azathoth lui-même…

Lecture

Après les polars venus du froid, voici donc l’horreur venue du froid, laquelle nous vient du suédois Anders Fager, peu connu dans nos régions quasi méridionales. Les Furies de Borås est une sélection de treize nouvelles issues de trois recueils non traduits en français. À la question posée par Mirobole Éditions lors d’un entretien avec son auteur, invitant celui-ci à nous présenter son recueil, l’auditeur s’entend répondre : « C’est la question difficile ! Car j’essaie de vendre ce livre depuis quatre ans maintenant et quand les gens me demandent de quoi cela parle, je leur dis que je n’en ai aucune idée. C’est un très joli recueil d’histoires d’horreur qui sont presque « lovecraftiennes » dans le sens qu’elles prennent place dans l’univers de Lovecraft si vous le souhaitez. Vous n’avez pas du tout besoin de connaître Lovecraft pour les apprécier. Elles sont modernes, contemporaines, très gore, très sexy et elles se passent en Suède. » La dernière phrase se suffit à elle-même pour qui souhaite saisir l’essence du recueil.

Fager recycle partiellement la matière lovecraftienne à laquelle sont rattachés les Grands Anciens et autres yog-sothotheries, notamment au travers de la mise en scène plus que magistrale de Shub-Niggurath la Chèvre Noire aux Mille Chevreaux. Comme dans l’œuvre du maître de Providence, toutes les nouvelles de ce recueil ne tournent pas autour du mythe. Une petite moitié s’avère indépendante du corpus, tandis que l’autre, plus généreuse, gravite autour des abysses insondables propres au mythe. Et l’une des forces de ce recueil, c’est assurément la manière dont les nouvelles se chevauchent, distillant, subrepticement, de-ci, de-là, une continuité propre à enrichir la matière du mythe. Ce sont les interstices entre deux nouvelles qui nous convainquent définitivement de la portée abominable et indicible de l’horreur lovecraftienne, laquelle prolifère insidieusement d’une nouvelle à une autre. Ainsi les cinq courts récits que sont Fragments VIVIIIXet XII, lesquels renforcent cet éclairage sur l’épaisseur obscure des enjeux surnaturels qui se déroulent dans un coin de Suède, face à laquelle l’humanité semble in fine condamnée à ne devoir jouer d’autre rôle que celui de la victime sacrificielle.

Autre tour de force de l’auteur : une écriture incisive, réaliste, visuelle, résolument moderne face aux « archaïsmes »lovecraftiens et autres redondances propres au maître (mais qui dans l’écriture de ce dernier s’avèrent autant d’artifices incontournables dans la composition et le succès de ces joyaux littéraires, CQFD). Le tout saupoudré d’une pointe d’ironie acide et corrosive. L’auteur laisse finalement autant à entrevoir qu’à voir. L’horreur se dévide aux yeux du lecteur avec une normalité et une évidence qui fait froid dans le dos, selon l’usage lexical habituel. On renifle l’horreur qui semble inéluctable au fur et à mesure que les pages s’égrènent, et celle-ci ne manque jamais de jaillir dans toute sa splendeur, au travers d’un phrasé simple, direct, parfois cru, mais jamais démonstratif pour autant. Belle maîtrise verbale s’il en est ! Certains ne manqueront pas d’y voir la modernisation des contes païens d’un Arthur Machen, débarrassés du vernis lexical dix-neuviémiste au profit d’une plume plus acérée. D’autres y verront davantage le reflet de textes canoniques comme Le Horla de Maupassant, tandis que la quatrième de couverture tente le parallèle délicat et osé avec la figure d’un autre père du fantastique, à savoir le sieur Stephen King himself ! Bref, une bien nombreuse paternité revendiquée pour une progéniture heureusement des plus réussies.

Un beau bébé en somme, qui, nous en prions l’auteur, ne manquera pas d’avoir de nombreux frères et sœurs, lesquels, espérons-le, auront une meilleure longévité que les frêles descendants de Malin Månsson dans la superbe et mélancolique nouvelle Trois semaines de bonheur. D’ailleurs, la critique semble unanime et dithyrambique à ce sujet. « Un écrivain suédois cultissime. Un régal horrifique » pour L’Écran Fantastique, Les Furies de Borås serait un peu série Z si le suédois Anders Fager n’avait de l’humour et un talent… monstre » pour Le Nouvel Observateur, « Dans ce recueil, le suédois glace le sang sans effets de manche » pour Le Magazine Littéraire. Inutile de jouer inutilement les prolongations : Les Furies de Borås est un bien beau rejeton qui ne saurait dépareiller votre bibliothèque, lovecraftienne ou non…

Vidéos

Entretien de Fager pour Les Furies de Borås 1/2. Mirobole éditions.

Entretien de Fager pour Les Furies de Borås 2/2. Mirobole éditions.

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