Jérôme Noirez
Publiée aux éditions Delcourt dans une version luxueuse, La Vie de Bouddha est un drame historique nous transposant au VIe-Ve siècle avant Jésus-Christ afin de partager le chemin initiatique suivi par le prince Siddhârta Gautama jusqu’à son ascension à l’Éveil. Osamu Tezuka nous conte au travers de l’histoire des royaumes qui bordent le Népal actuel, les péripéties, interrogations et doutes qui ont conduit le prince au statut de Bouddha.

Infos pratiques

La Vie de Bouddha

Osamu Tezuka

Osamu Tezuka

Delcourt/Tonkam

Delcourt/Tonkam Seinen

Réédition

Janvier 2019

Tomes 2/4

808 pages

15×21 – Noir et blanc

978 2 4 4130 0907 8

29,99 euros

© Delcourt/Tonkam, 2019 – BUDDA © 2019 by TEZUKA PRODUCTIONS

La Vie de Bouddha T2

Osamu Tezuka

Éditions Delcourt

Chronique réalisée par Lionel Gibert

Drame historique

Nord-Est de l’Inde, Forêt d’Uruvéla / VIe-Ve siècle avant Jésus-Christ

Gekiga

NOTRE ÉVALUATION

Dessin
Personnages
Histoire
Vidéos
liens Internet

HISTOIRE

Endormi sous un arbre dans une forêt luxuriante et bienveillante, Siddhârta se réveille libre, après avoir renoncé à sa vie d’insouciance et de faste comme héritier du royaume de Kapliavastu, mais aussi à sa femme Yashodara et son fils Rahula. « Soleil, éclaire le chemin que je dois suivre. Ciel infini, conduis-moi au bout du monde. » Guidé par son enthousiasme, il ne tarde pas à rencontrer Dhepa, moine et ancien disciple de maitre Naradatta. Ce dernier accompagnera et guidera, pour un temps, Siddhârta dans sa quête afin de trouver un moyen de sauver les Hommes. Nos deux amis sont rejoints par un jeune enfant, Asaji, condamné à connaitre le futur de chacun et le sien en particulier, en raison des morts causées par son père, chasseur. Il sait quand et comment il mourra. Malgré cela, il montre une paix intérieure qui force le respect et l’admiration de Siddhârta.

Sous l’impulsion de Dhepa, nos trois compagnons poursuivent leur quête vers la forêt d’Uruvéla pour y pratiquer des rituels d’austérité : étape indispensable pour purifier le corps et libérer l’esprit. Malgré une pratique assidue auprès d’ascètes reconnus comme Alara et Uddaka, le prince est de moins en moins convaincu par l’ascèse. Reconnu comme maitre Siddhârta, il s’interroge : « Mais n’est-ce pas tout aussi stupide et inutile de ne penser qu’à se faire souffrir ? On ne trouvera jamais de salut ainsi. Je suis certain qu’il existe un autre moyen. » Après la mort présagée d’Asaji, dévoré par des loups pour nourrir une portée de louveteaux, il abandonnera définitivement les austérités, lesquelles se montrent finalement incapables de supprimer ses souffrances. Fâché avec Dhepa — qui se révèle conservateur et intolérant —, Siddhârta clame en opposition l’égalité entre tous les êtres vivants et réfute entre autres injustices notamment le système des castes. Le prince cherche par conséquent une autre voie de salut et se dirige alors vers des méditations profondes et intenses, seules capables de lui faire découvrir la vraie nature de la vie.

Ce récit, loin, d’être linéaire, est émaillé de nombreuses histoires connexes au cours desquelles maitre Siddhârta se distinguera en aidant les autres ou en relevant leurs défis. Il sauvera ainsi de la mort Miguela, mais aussi Sujata. Sous un arbre pipal, après une longue méditation et un échange émouvant avec Yatara, il finira par atteindre l’Éveil. Reconnu par Brahma — personne ou divinité mystérieuse —, celui-ci lui imposera une marque sacrée sur le front et lui donnera le nom de Bouddha : « l’Éveillé ». Une page de la vie du Bouddha vient de se terminer. Une autre va dès lors commencer. Elle nous sera contée par Tezuka dans les deux prochains tomes, en référence justement à son enseignement.

La Vie de Bouddha – Tome 2 – Osamu Tezuka
© Delcourt/Tonkam, 2019 – BUDDA © 2019 by TEZUKA PRODUCTIONS

Lecture

La Vie de Bouddha a d’abord été publiée dans le magazine Comic Tom entre septembre 1972 et décembre 1983. Cette œuvre d’Osamu Tezuka nous conte l’histoire de Siddhârta Gautama, lequel devint le premier Bouddha ou Être Éveillé. Œuvre tardive dans la carrière du mangaka, elle n’en est pas moins l’une des plus marquantes et des plus plébiscitées aux côtés de L’Histoire des 3 Adolf, d’Astro Boy, de Black Jack et du Roi Léo. Créateur inspiré, Tezuka a abordé tous les genres : science-fiction, fantastique, fonds historique et religieux.

Loin d’être une hagiographie de Bouddha, ce deuxième tome de La Vie de Bouddha est l’occasion pour Tezuka d’évoquer la condition humaine dans les royaumes bordant le Népal au VIe-Ve siècle avant Jésus-Christ. La société est alors divisée en castes : les parias, les esclaves, les marchands, les guerriers et les brahmanes. Inégalitaire, ce système donne des droits différents aux personnes suivant leur appartenance sociale. Les esclaves, au bas de cette échelle sociale, subissent les affres des castes supérieures et ne jouissent d’aucun droit. Yatara perd ainsi ses deux parents assassinés sauvagement par leur maitre, lequel avait pris ombrage de l’intelligence du père de Yatara. Cependant, tristesse et colère ne sont pas les seules émotions que nous retirons de cette lecture. Tezuka développe d’autres thèmes comme l’altruisme, l’écologie et le sens de la vie. L’écologie, évoquée dans plusieurs scènes comme celle où Siddhârta se retrouve seul dans la forêt, entouré de nombreux animaux : lapins, renards, biches, oiseaux. Proies et prédateurs se côtoient sans hostilité et accordent à l’homme un regard bienveillant, reconnaissable dans les traits du dessin. L’altruisme, avec cette louve qui délivrera et s’occupera d’un jeune enfant, Devadatta, après sa condamnation à mort par les hommes. Cette dernière lui accordera une seconde chance pour avoir soigné son louveteau. Le sens de la vie, avec le système de castes et les obligations s’y rattachant, lesquelles obligeront Siddhârta à faire des choix douloureux. Tous ces thèmes, bien qu’abordés dans un contexte historique lointain, demeurent d’une profonde actualité. Plus que jamais, en ce début de XXe siècle. La description par l’auteur des castes héritées de la civilisation védique en Inde est aussi une évocation de la hiérarchisation des clans familiaux dans les campagnes japonaises au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Tezuka s’exprima lui-même sur le message qu’il voulait nous communiquer : « Ce que j’ai cherché à exprimer dans mes œuvres tient tout entier dans le message suivant : Aimez toutes les créatures ! Aimez tout ce qui est vivant ! »

Cette fable philosophique témoigne d’un réel dynamisme, grâce, notamment, à la puissance de sa dimension narrative. L’auteur utilise un langage moderne et populaire, apte à parler au plus grand nombre. Par ailleurs, lors de certaines scènes dramatiques, des gags sont amenés, rompant ainsi le rythme du récit afin de mieux relancer ce dernier. Fidèle à la vie du Bouddha, l’auteur s’est néanmoins autorisé à intégrer certains personnages fictifs comme Chaprah et Tatta, densifiant de la sorte l’épaisseur du récit. Tezuka joue également sur la chronologie des événements et le croisement des destins de cette galerie de personnages. Nous laissons ainsi Siddhârta et Dhepa sur leur chemin vers l’Éveil pour rencontrer un nouveau protagoniste Devadatta, fils de Bandatta, lequel nous est connu pour son opposition violente à Siddhârta. Nous sommes alors transportés quelques années plus tard, retrouvant par la suite nos deux compagnons dans la poursuite de leur quête. Ces nombreux personnages aux destins multiples s’entrecroisent dans un vaste canevas avec pour point de convergence notre héros.

Tezuka présente un dessin dynamique, clair, simple et souvent caricatural. En témoignent pour ce dernier des personnages aux yeux globuleux, aux nez proéminents et aux sourires prononcés. Les visages se montrent assurément expressifs et les émotions d’autant plus lisibles. Ici, une petite fleur dans la chevelure d’un personnage vient contraster avec son dédain et sa méchanceté. Là, un sempiternel sparadrap sur le front d’Asaji traduit l’expression délicate de sa nature chétive. Moult attributs qui peuvent se lire comme autant de coquetteries de la part du maitre. 

Comme pour L’Histoire des 3 Adolf, le tome 2 de La Vie de Bouddha témoigne d’un récit riche en émotions, nous transportant sur les rives de l’introspection, du rire et de l’évasion. Voyage indispensable pour continuer notre découverte de l’œuvre du mangaka aux multiples facettes. Sa réédition dans un format luxueux se montre par ailleurs comme un incontestable atout de séduction supplémentaire. Pour notre plus grande joie de lecteur.

Vidéos

La vie de Bouddha – Mangado La voie du manga. Manga-News.

La Vie de Bouddha – intégrale, vol.2, d’Osamu Tezuka. Wecome to Nebalia.

Sites internet