Jérôme Noirez
Tade Thompson, pour lequel l’actualité francophone se bouscule ces derniers temps — le dernier opus de la singulière et fort réjouissante Trilogie Rosewater, Rosewater : Rédemption vient récemment de paraitre aux éditions J’ai lu — revient en force au Bélial’ avec la parution d’un deuxième tome des aventures horrifiantes de la jeune Molly Southbourne. Avec Les Meurtres de Molly Southbourne, Tade Thompson s’est montré en tout point magistral dans la construction de ce court roman. Il nous confirme ses qualités narratives avec ce deuxième tome La Survie de Molly Southbourne, en attendant la sortie du troisième et dernier titre, pour alors en cours d’écriture.

Infos pratiques

Les Meurtres de Molly Southbourne (Tome 1)
La Survie de Molly Southbourne (Tome 2)

Tade Thompson

Britannique

Jean-Daniel Brèque

Aurélien Police

Le Bélial’

Une Heure-Lumière

2 Tomes parus, 264 pages, un dernier tome en préparation

Tome 1 : 2019
Tome 2 : 2020

Inédit

Tome 1 : 136 pages
Tome 2 : 128 pages

Format Poche

Tome 1 : 9,90 euros
Tome 2 : 9,90 euros

Tome 1 : 978-2-84344-949-9
Tome 2 : 978-2-84344-964-2

© Éditions Le Bélial’, 2019, 2020
© Tade Thompson, 2017, 2019
Couvertures © Aurélien Police, 2019, 2020

Prix Nommo 2018 de science-fiction africaine
Prix Julia Verlanger 2019 pour Les Meurtres de Molly Southbourne
Grand Prix de l’Imaginaire 2020

Focus Molly Southbourne

Tade Thompson

Éditions Le Bélial’

Chronique réalisée par Frank Brénugat

Quête d’identité

Angleterre / Deuxième moitié du XXe siècle

Thriller fantastique

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages
Vidéos
liens Internet

HISTOIRE

Molly Southbourne n’est pas une fille comme les autres. Vraiment pas. Dès son plus jeune âge, sa vie est réglée par une série de codes pour le moins surprenants… Ainsi se voit-elle contrainte d’appliquer les règles suivantes, constamment assénées par des parents pour le moins protecteurs : « Si tu vois une fille qui te ressemble, cours et bats-toi. Ne saigne pas. Si tu saignes, une compresse, le feu, du détergent. Si tu trouves un trou, va chercher tes parents. » Ces consignes ô combien impérieuses sont pour le moins des plus énigmatiques pour notre jeune fille, pour encore guère en âge de comprendre les bienfaits de telles directives ! Et pourtant, ces dernières se montrent assurément salvatrices pour notre pauvre Molly. En effet, pour des raisons qui lui échappent complètement — tout comme pour nous, pauvres lecteurs, et c’est peut-être préférable ainsi —, la jeune Molly voit apparaitre dans son entourage quantité d’autres mollys — des clones — qui n’ont de cesse de vouloir lui faire du mal. Et pas avec le dos de la cuillère… Ces autres mollys, en tout point conformes à l’originale, naissent dans des conditions pour le moins singulières, savoir lorsque Molly Prime — surnom donné à la progéniture des parents biologiques de notre jeune Molly Southbourne — se met à saigner. De son sang, sont engendrés comme par enchantement une série de clones dont on ignore la raison d’être. Un enchantement qui se transforme rapidement en malédiction lorsqu’il s’agit de mettre fin par tous les moyens à leur existence.

Et notre Molly de grandir avec cette pesante malédiction, malédiction d’autant plus difficile à assumer à l’âge des premières règles… On s’en doute bien… Elle suit alors un programme de self-defense, mené tambour battant par une mère bienveillante et désireuse de voir leur fille assumer par elle-même sa propre sécurité. Face à ce perpétuel couperet d’une mort qui ne manque jamais vouloir s’abattre sur Molly Prime, cette dernière se voit aidée par une mystérieuse organisation. Grâce à un numéro de téléphone gravé sur sa main, elle peut à tout moment joindre les services de cette opaque organisation afin de se débarrasser des nombreux cadavres de mollys qui parsèment sa route. Mais combien de temps Molly Southbourne acceptera-t-elle ces lourds sacrifices consentis afin de repousser encore et toujours ces hordes de clones ? Ad vitam aeternam ? Saura-t-elle trouver la force intérieure nécessaire pour poursuivre un combat qui n’est pas sans rappeler celui de Sisyphe ou finira-t-elle tout simplement par jeter l’éponge un jour, lasse de tant de massacres et de tant de questions sans réponse ?

Lecture

Les romans courts ou novellas connaissent depuis peu un succès d’estime auprès du lectorat. Et c’est tant mieux ! Il est vrai que s’enfiler un énième opus d’une énième saga — phénomène fort récurrent dans nos littératures attitrées, accentué qui plus est par une fâcheuse tendance à surcharger une pagination à l’embonpoint déjà fort prononcé — peut dissuader plus d’un lecteur, guère toujours enclin à l’idée de devoir boulotter moult et moult opus… Entreprise trop roborative, diront certains. Et si notre auteur Tade Thompson ne saurait non plus échapper à la règle de la sacro-sainte série — avec comme toujours en vedette l’incontournable trilogie, le chiffre trois symbolisant une certaine idée de divine perfection manifestement —, ce dernier a toutefois eu la politesse dernièrement de proposer avec la Trilogie Rosewater une pagination fort digeste. Même la Trilogie climatique de notre ami Jean-Marc Ligny s’est vue greffer un quatrième opus — et notre trilogie pourtant bien établie de se métamorphoser telle une chrysalide en tétralogie ! C’est donc avec un plaisir non dissimulé que nous retrouvons Tade Thompson dans le registre du roman court. Un plaisir confirmé à la lecture des deux opus ! La critique ne s’est d’ailleurs pas trompée en octroyant au premier d’entre eux Les Meurtres de Molly Southbourne les prix Nommo 2018, Julia Verlanger 2019 et Grand Prix de l’Imaginaire 2020.

Tade Thompson met en récit une protagoniste des plus attachantes, Molly Southbourne, perdue au sein d’une intrigue dont les tenants et les aboutissants lui échappent complètement. Victime bientôt esseulée, elle devra faire preuve d’un courage herculéen afin, non point d’entrevoir une quelconque porte de sortie, mais de maintenir l’équilibre fragile que sa situation lui impose. Contrainte d’éliminer un nombre sans cesse renouvelé d’adversaires, on saisit d’emblée l’horreur d’un tel éternel recommencement. Avec de telles prémisses, l’éternel retour nietzschéen n’offre décidément nulle bénédiction, mais a contrario une malédiction des plus perverses, digne de rivaliser avec le supplice de Prométhée enchainé, ou peu s’en faut. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », nous enseigne ce cher Friedrich Nietzsche. Sur le papier, cela ne fait aucun doute. Dans la vie de Molly Southbourne, cela reste à établir… Nous découvrons ainsi au fil des pages une jeune fille d’abord insouciante, puis combattante et bientôt désabusée. Autant de portraits différents, miroirs d’autant d’âges différents et de résolutions différentes face à la même adversité. Si le traitement psychologique de Molly se montre fort convaincant, l’intrigue se montre également tout aussi éloquente. Les étranges et inexplicables naissances de cette foultitude de mollys échappent pour alors à l’entendement du lecteur. Il faudra probablement attendre le troisième — et ultime ? — tome de cette courte série afin de voir se profiler quelque éclaircissement à ce phénomène des plus insolites. On pourra en ce sens s’interroger sur la nature du registre auquel appartient le cycle : fantastique ou science-fictionnel ? Si l’atmosphère qui en découle installe manifestement ce dernier dans le domaine du fantastique, voire de l’horreur, la thématique semble davantage s’orienter vers la science-fiction, au regard, cette fois-ci, de la dimension scientifique qui semble découler du clonage dont est justement victime notre protagoniste. En effet, la pauvre Molly est née avec cette capacité de produire des copies d’elle-même à partir de son sang, faisant ainsi des mollys des hémoclones. Concernant l’ambiance générale des textes, le détachement de Molly couplé à la violence de certaines scènes d’action fait assurément penser aux atmosphères oppressantes du Suédois Anders Fager, issues de ses magistrales nouvelles lovecraftiennes tirées des recueils Les Furies de Borås et La Reine en jaune, tous deux publiés aux éditions Mirobole. Chez l’un comme chez l’autre, on ne pourra s’empêcher d’éprouver une sincère compassion pour ces âmes tourmentées. Portrait des plus troublants.

Il conviendra par ailleurs de préciser que chaque tome peut se suffire à lui-même. L’histoire du premier opus n’appelle pas de suite, particularité moins prégnante, en revanche, pour le deuxième opus. La dimension narrative se montre des plus opérantes, Thompson ne livrant finalement que peu d’informations au lecteur sur les intrications cachées de cette tragédie. Derrière cette lutte à mort orchestrée au nom de l’instinct de survie, vieil héritage de notre longue généalogie, nous saisissons surtout les affres d’une Molly condamnée à grandir en compagnie de clones d’elle-même, tantôt insouciante, tantôt désabusée ou tantôt impassible. Voilà un très bel exercice narratif sur la question de l’identité, où la quête de soi se révèle un cheminement parfois douloureux. Là est toute la maestria de ce court cycle, dans les coins et recoins de l’âme humaine, quand bien même cette dernière ne serait que le fruit trop malheureux d’un clonage hasardeux…

Vidéos

Tade Thompson — Entrevista. Underbrain.

Présentation promo collection Une Heure-Lumière. La chaine Critic.

Sites internet