Jérôme Noirez
Jérôme Noirez
Épopées Fantastiques est une réédition en noir et blanc du mythique récit de Jean-Claude Gal et de Jean-Pierre Dionnet. Cette intégrale, parue initialement dans Métal Hurlant, comprend trois chroniques différentes : Les Armées du conquérant, La Vengeance d’Arn et Le Triomphe d’Arn. Ces récits se déroulent dans une ambiance qui rappelle sous beaucoup d’aspects l’univers de Robert Howard, parfois même celui de Lovecraft. Cette version intégrale en noir et blanc est considérée comme une référence pour beaucoup de lecteurs et de spécialistes. Une première intégrale en couleur parue en 2002 avait le mérite de donner une autre vision de l’œuvre de Jean-Claude Gal. Pour autant, on peut nettement préférer la version originale en noir et blanc. Quoiqu’il en soit, cette saga scénarisée par Jean-Pierre Dionnet — secondé d’une part par Bill Mantlo et d’autre part par Jean-Paul Picaret — correspond bien à l’esprit de Métal Hurlant.

Infos pratiques

Épopées Fantastiques

Jean-Pierre Dionnet, Bill Mantlo et Jean-Paul Picaret

Jean-Claude Gal

France

Les Humanoïdes Associés 

Hors collection

Réédition

Décembre 2020

Intégrale comprenant trois histoires indépendantes

184 pages

24 x 32 cm — Noir & Blanc

34,99 euros 

9 782 731 604 351

© Éditions Les Humanoïdes Associés, 2020
© Jean-Pierre Dionnet, 1981
© Jean-Claude Gal, 1981
© Jean-Paul Picaret, 1987
© Bill Mantlo, 1987

Épopées Fantastiques 

Dionnet, Picaret, Mantlo et Gal

Éditions Les Humanoïdes Associés

Chronique réalisée par Lionel Gibert et Jean-Marc Saliou

Vengeance et Châtiments

Contrées Imaginaires / Temps héroïques

Heroic Fantasy

NOTRE ÉVALUATION

Dessin
Personnages
Histoire
Vidéos
liens Internet

HISTOIRE

C’était il y a bien longtemps… Des armées menées par des hommes avides de gloire partirent conquérir des contrées aujourd’hui oubliées. Et de ces conquêtes, naquirent des légendes mystérieuses et envoûtantes. Les guerres menées par les Armées du conquérant vont conduire ces impitoyables combattants au-devant des pires dangers. C’est d’abord cette ville, Jérim, que ces guerriers prennent sans coup férir. Les habitants se rendent sans résistance. S’en suivent une période de pillages, puis une occupation qui les conduit vers l’ennui et l’oubli, avant que cette ville ne révèle un mystère des plus troublants. Puis, voici cet homme qui cherche à soigner son frère par le biais d’un guérisseur aux pouvoirs maléfiques. Là aussi, une étrange malédiction va éclater. Au cours de leur périple, ces fiers combattants rencontrent des hommes simples, mais téméraires comme Olric, montagnard devenu chef de guerre. Malgré son courage, ce dernier connaîtra un destin bien tragique. Ces conquérants vont enfin atteindre l’océan et découvrir des cités magnifiques comme Lamas ou Lubine, cités maritimes aux multiples visages.

Rêvant d’eldorados, la déception, l’échec et parfois l’horreur seront les prix à payer pour ceux qui servent un homme aux ambitions démesurées. Et dans ces terres ravagées par la folie des hommes, Arn vit des heures bien sombres : enfant d’une tribu barbare, il est vendu comme esclave par Carac au maître de la ville d’Atalis. Il connaît l’humiliation et l’exil. C’est dans cette cité somptueuse qu’Arn va nourrir et préparer sa vengeance. Il comptera bien s’échapper un jour et prendre sa revanche sur ce dernier. Banni de son royaume, humilié par ses ennemis, il n’aura de cesse de retrouver sa dignité. Devenu adulte, conscient de ses forces et faiblesses et mu par une détermination sans failles, il réussit à s’évader et à survivre, traversant mille épreuves. C’est ainsi qu’il erre dans un désert sans fin, sous un soleil de plomb. À nouveau fait prisonnier après cette longue errance, il réussit tout de même à s’affranchir une fois de plus pour accomplir enfin sa destinée : éliminer Carac pour ensuite unir les tribus contre Atalis. Devenu roi à son tour, aidé par des alliés devenus tour à tour fidèles et amis, il décide de reconquérir Atalis, là où tout a commencé. Prenant le chemin du désert, il entame un long périple, jalonné d’imprévus, périple au cours duquel sa détermination se révèlera une fois de plus aux yeux de tous…

Épopées fantastiques — © Éditions Les Humanoïdes Associés, 2020
© Jean-Pierre Dionnet, 1981 et 1987 — © Philippe Picaret, 1987
© Bill Mantlo, 1987 — © Jean-Claude Gal, 1981 et 1987

Lecture

Jean-Pierre Dionnet nous conte l’histoire d’une vengeance dans un monde d’heroic fantasy. Cette thématique de la vengeance, que l’on retrouve dans les récits Conan, mais aussi dans le western, Dionnet l’a introduite dans un scénario cousu main, se mettant au diapason du talent d’orfèvre de Jean-Claude Gal. Rappelons que ce dernier était passionné par l’Ouest américain et ses grands espaces. Et cette passion se retrouve à travers tous ces paysages désertiques. La narration rappelle en cela celle de l’univers du héros howardien Conan, lequel, comme le héros dionnetien Arn, aspire à reconquérir son trône. Pas la moindre once de sentimentalisme dans ce récit, où humour et tendresse brillent par leur absence. Nous évoluons dans un univers masculin, guerrier et cruel, où les personnages féminins se voient relégués au second plan. Sous certains aspects cependant, Dionnet s’écarte quelque peu des critères de narration du genre. Ici, pas de culte du héros ni de situations extrêmes. Arn ne ressemble en aucun cas à l’archétype du héros d’heroic fantasy. Contrairement à Conan ou Taar le rebelle, pas de musculature hypertrophiée ni d’héroïsme aveugle. Le héros dionnetien se rapproche en cela davantage de la figure d’un certain Thorgal. Épopées Fantastiques donne à voir des guerriers écrasés par une architecture et des paysages démesurés, et souvent victimes de coups du sort, perdant leur liberté, humiliés, voire profondément blessés dans leur âme. De même, fourberie, cruauté et violence dominent le récit à travers des châtiments et des combats meurtriers. L’économie de dialogues est habilement compensée par des expressions toujours à propos. Par ailleurs, contrairement aux comics étatsuniens où l’action prime et réduit la notion de temporalité, ici, a contrario, le temps s’étire librement. Ainsi, les étapes de la conquête d’Atalis sont-elles retardées par l’hiver et ses tempêtes. Là encore, le scénario construit par Jean-Pierre Dionnet s’adapte au rythme minutieux de Jean-Claude Gal.

La méticulosité avec laquelle Gal réalise chaque planche explique le peu d’albums publiés dans sa carrière, laquelle s’achève brutalement en 1994. Tel un orfèvre, Gal a mis six années pour réaliser ces quelque 180 pages, en parallèle à son métier d’enseignant. Son travail d’un point de vue graphique a sans nul doute marqué plusieurs générations d’artistes. On est impressionné par la complexité des uniformes et des tenues, de même que par l’architecture grandiose d’Atalis, ville incroyable située dans un paysage minéral. Ou par cette mystérieuse cité enfouie et son armée de terre. Véritables personnages à part entière, toutes ces architectures oppressantes et envoûtantes jouent un rôle essentiel dans la trame du récit. La mise en scène hiératique et le cliquetis des armes d’une troupe en marche rappellent aussi l’adaptation relativement méconnue du Seigneur des anneaux par Ralph Bakshi, notamment la scène qui voit les armées de Saroumane s’apprêtant à conquérir le Rohan. Si le dessin de Jean-Claude Gal a attiré les spécialistes étatsuniens, ce dernier aurait-il pu s’adapter au rythme effréné de parution des comics outre-Atlantique ? Rien n’est moins sûr…

Ses visions graphiques, son goût pour les architectures fantastiques et les paysages dantesques font de l’auteur un artiste à part. Un souffle épique transcende certaines de ses planches. Son sens du détail et sa minutie témoignent du travail considérable nécessaire pour la réalisation des costumes, des ambiances et des magistrales scènes de bataille. Sa maîtrise de la composition rehausse qui plus est admirablement la valeur de son trait. Ses compositions éclatées rappellent en ce sens la démarche de Druillet, notamment celle de son adaptation du Salammbô de Flaubert. Ses cadrages sont incroyables, Gal réalisant des perspectives et des contre-plongées hallucinantes à la manière d’Escher. Son dessin se rapproche de l’illustration, démarche rappelant celle d’artistes remarquables comme Schuiten, Rodolphe Bresdin ou encore Dantec. Il est possible de multiplier les références en citant l’incomparable Frank Frazetta, le regretté Claude Auclair, dessinateur de la fresque Bran Ruz — superbe ouvrage en noir et blanc évoquant la légende de la Ville d’Ys — mais aussi le polonais Rosinski pour son magistral récit Le Grand Pouvoir du Chninkel ou encore le dessinateur de Prince Valiant Hal Foster. Toutefois, cette maîtrise graphique montre quelques limites, en ce qu’elle s’exprime parfois au détriment du dynamisme. En témoignent des personnages par moments trop statiques, des visages trop figés par telle ou telle expression. Petite faiblesse résultant d’un classicisme probablement quelque peu dogmatique. Toutefois, ces quelques réserves ne nuisent en rien à l’excellente tenue de l’ensemble.

Épopées Fantastiques se révèle être un récit magistral sur le plan graphique, témoin d’un superbe dessin aux résonances très classiques. Cette réédition, nous plongeant aux sources de l’heroic fantasy constitue un très bel hommage à un artiste trop méconnu, dont le talent est admirablement servi par la scénarisation de Jean-Pierre Dionnet, l’un des fondateurs du mythique Métal Hurlant et des éditions Les Humanoïdes Associés. Un bel écrin pour cet artiste au talent remarquable, lequel écrin bénéficie d’une postface inspirée signée Claude Ecken, romancier et critique littéraire bien connu de nos mauvais genres.

Vidéos

Épopées fantastiques (édition polonaise). CoJaPacze !

Jean-Pierre Dionnet – Une vocation dans le siècle (1/2). ActuaBD.

Sites internet