Jérôme Noirez
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Rencontré au festival des « Utopiales » de Nantes, lors d’une séance de dédicaces, Philippe Scoffoni s’est prêté avec grand plaisir au jeu des questions-réponses autour de sa dernière série Exo. Qu’il en soit ici remercié. La trilogie Exo nous propose un voyage des plus éprouvants sur Darwin II, exoplanète susceptible de pouvoir abriter la vie humaine. Publié aux éditions Les Humanoïdes Associés, avec Jerry Frissen au scénario, ce thriller futuriste mené tambour battant conjugue avec intelligence action et introspection.
Exo – Darwin II – © Éditions Les Humanoïdes Associés, 2016 – © Jerry Frissen et Philippe Scoffoni, 2016

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Rencontre avec
Philippe Scoffoni

Propos recueillis par Franck Brénugat

lefictionaute.com : Tu as commencé ta carrière en tant que storyboarder. Comment es-tu passé du métier de storyboarder à celui de dessinateur ?

Philippe Scoffoni : C’est un travail très proche de celui de la bande dessinée puisqu’il s’agit également de faire de la narration sous forme de cases. Si la finalité du travail du storyboarder va être le film, donc de l’image en mouvement, l’exercice n’en reste pas moins un cousin très proche de la bande dessinée. Je suis illustrateur proprement dit quand il s’agit de réaliser les couvertures des albums, lesquelles nécessitent une image plus poussée. Toutefois, mes préoccupations dans le dessin se tournent davantage vers la narration que l’illustration.

Comment la rencontre s’est-elle effectuée avec Jerry Frissen pour cette collaboration autour d’Exo ?

C’est un travail très collaboratif et donc très plaisant pour cela. On s’est rencontrés sous mon initiative parce que j’aime beaucoup sa façon de dialoguer dans les précédents projets qu’il a menés. En discutant, on s’est rendu compte que l’on avait des thèmes en commun, notamment celui de vouloir situer une histoire sur la Lune. À partir de là et au regard des différents thèmes qu’il m’a proposés, il m’a soumis une histoire avec des personnages. Puis une année s’est écoulée avec des allers-retours sur l’histoire afin de peaufiner cette dernière et afin que je puisse également faire mes propres marques. Pour moi, cette collaboration est la parfaite illustration du sur-mesure de ce que nous avions l’un et l’autre envie de raconter.

Exo est une histoire d’anticipation. Au regard du réalisme de l’ensemble, comment s’est concrétisé ton travail avec Jerry sur les sources ?

Effectivement. On a bien séparé les sources concernant les Terriens d’une part et les Extraterrestres d’autre part. Les recherches ne se font pas dans le même état d’esprit pour les premiers et les seconds. Par contraste, je voulais que toutes les scènes qui se passent sur Terre soient très concrètes, très contemporaines, comme en témoignent les technologies terriennes mises en avant, même s’il s’agit d’une anticipation à court terme se projetant sur une distance d’une vingtaine d’années, et ce quand bien même aucune information concrète ne vient spécifier une telle date. Tout l’environnement terrien est contemporain, sachant qu’en vingt ans les choses ne changent pas tant que cela. Dans ce même esprit, les vaisseaux, les tenues des commandants spatiaux et le reste sont nourris sur le design militaire et spatial. Je mixte cette documentation-là avec mon imaginaire tout en m’efforçant de rester très proche d’un design crédible, voire un peu industriel. J’essaye d’éviter de faire des designs trop proches des prototypes de SF. J’oriente mon travail en faisant des armes qui ressemblent à des armes en série afin de rendre cet univers très proche du nôtre.

Darwin II – Extrait
© Éditions Les Humanoïdes Associés, 2016
© Jerry Frissen et Philippe Scoffoni, 2016

Comment ancres-tu cette réalité dans l’univers de la science-fiction ?

Du moment qu’il s’agit d’une histoire de vie extraterrestre, le rapport à la SF est forcément automatique, même si l’histoire s’inscrit dans un réel contemporain. Concernant les créatures et la technologie extraterrestre, on ne saurait naturellement partir d’une documentation déjà existante… J’essaye en outre de ne pas copier des choses vues dans les films propres au genre. Ici, la piste concernant les extraterrestres était la piste sous-marine, dimension sous-marine que l’on va découvrir ultérieurement. C’était ma piste de recherche graphique, en prenant par exemple le corail comme matériau, lequel matériau peut avoir des formes variées, des textures particulières. Cela a été un point de départ pour mes recherches en matière de design extraterrestre.

Le choix des couleurs joue un rôle essentiel et ces dernières témoignent d’une forte intensité. Comment s’est construite cette mise en couleurs ?

Concrètement, je travaille en numérique. J’ai l’habitude de travailler avec ces outils, surtout pour la mise en couleurs qui est un outil m’ayant vraiment permis de progresser par la souplesse et la richesse de ses combinaisons, autorisant un grand nombre de rapports colorés et de me positionner facilement sur ce qui fonctionne ou pas. C’est une technique très souple pour les couleurs. Et c’était pour cette série une envie de pousser les couleurs dans ce qu’elles ont de plus saturé. Surtout par rapport à ma série précédente Milo où tout ce que je faisais était un peu plus enterré, un peu plus gris, avec des couleurs moins contrastées. J’exprimais le désir de progresser en arrivant à harmoniser des couleurs très vives et ce désir collait bien au projet de SF où la technologie peut nécessiter un peu de clinquant pour exprimer justement cette modernité.

Cette présence extraterrestre reflète-t-elle une hostilité ou une bienveillance à notre égard ? Plutôt Mars Attack ou Rencontres du Troisième Type?

C’est une question à laquelle j’ai déjà essayé de répondre à d’autres interviews précédemment et j’avoue m’être quelque peu emmêlé les pinceaux ! Jerry a une idée assez précise sur cette question-là. Il essaye de prendre le contre-pied de ce qui se faisait dans les œuvres de science-fiction des années 50 dans lesquelles l’espèce humaine était souvent montrée comme destructrice, écho à la première bombe atomique oblige. Jerry fait souvent référence à cette démarche comme une idée qui l’a toujours dérangée. Ce qui est au centre de sa réflexion, c’est la notion de culpabilité. L’espèce humaine n’est pas fondamentalement porteuse de culpabilité. Je pense qu’il souhaite montrer dans cette série Exo que l’homme n’est pas si destructeur que cela. Et en contrepoids, peut-être que les extraterrestres non plus. Il n’y a pas forcément d’un côté comme de l’autre l’envie de se détruire mutuellement. En ce sens, il prend le contre-pied de ces scénarios manichéens des années 50. Chacun d’entre nous apporte sa thématique, mais celle dont on parle présentement n’est pas celle qui me porte prioritairement.

Si demain l’homme devait gagner les étoiles, le verrais-tu davantage comme un conquérant belligérant ou comme un homme doué d’empathie ?

Je crois que l’on a cette dualité en nous. L’être humain va garder ses fondamentaux, je pense, et dans ces fondamentaux, il y a l’altruisme, l’envie de comprendre l’autre dans sa différence, d’avoir de l’empathie tout comme il y a la peur de l’autre également. Suivant les circonstances, l’un ou l’autre de ces fondamentaux peut prendre le dessus, rejetant ou acceptant cette altérité. Mais je pense qu’on sera plutôt amené a priori à rencontrer des bactéries que des mammifères équivalant à notre espèce. Je doute que le débat soit de notre siècle…

Quelles sont les œuvres littéraires ou cinématographiques qui t’ont marqué et qui ont pu éventuellement servir de références dans ton travail ?

Concernant l’écrit, j’ai lu un peu de science-fiction, mais dans l’ensemble je demeure peu porté sur le genre. La science-fiction est très visuelle chez moi, et pour cette raison, ce sont avant tout la bande dessinée et le cinéma qui m’ont accroché. Le dessin animé également avec Akira surtout. Ce sont des chocs visuels de SF qui m’ont surtout marqué et non point le domaine proprement littéraire. Le cinéma également puisque c’est là le genre dominant visuellement en science-fiction, même si les scénarios ne brillent pas toujours par leur intelligence… Je suis venu à la bande dessinée par le dessin plus que par la science-fiction. Et dans ce registre, étant un amoureux de Jean-Giraud/Mœbius, c’est sûr qu’il s’agit là d’une référence qui restera centrale pour moi ! Je serai cependant sans doute appelé à faire autre chose que de la science-fiction une fois la série Exo achevée.

Et en dehors de Jean-Giraud/Mœbius ?

Je lis beaucoup de bandes dessinées au quotidien. Mais Mœbius m’a tellement émerveillé et motivé pour travailler et faire du dessin que je dois certainement avoir une attitude fanique à l’égard de celui-ci. Après, de nombreux autres auteurs m’intéressent, chez qui je vais grappiller des choses, mais je ne suis pas sous influence. Jean Giraud a eu une influence chez moi comme chez tant d’autres par ailleurs, mais personne d’autre que lui comme artiste ne m’a autant marqué. Chez les jeunes actuellement, j’apprécie beaucoup le travail de l’Italien Manuele Fior sur L’Entrevue, une bande dessinée qui parle de vie extraterrestre justement, et dont les livres sont très personnels, intimistes. Lequel est un formidable dessinateur par ailleurs. Je citerai également le jeune Peters — pas le Schuiten que j’aime beaucoup par ailleurs —, mais Frederik Peters auteur de Pilules bleues et du cycle de science-fiction Aâma. Lui aussi a un vrai talent de dessinateur et de scénariste. Voilà deux noms parmi une multitude de gens talentueux.

Après Exo, dont le dernier tome sort en 2017, vers quel horizon souhaites-tu te tourner ? Retour au polar, poursuite dans le genre science-fictif ?

Le genre est secondaire pour moi. Ce sont les thématiques qui doivent me porter pour me lancer dans une histoire. Après, que ce soit au travers d’un western, d’un polar ou d’une histoire de science-fiction, il suffit de changer certains éléments de l’histoire, les codes et les visuels bien sûr. Mais ce n’est pas le genre qui va définir une bonne ou mauvaise histoire. Pour la suite, je ne sais pas du tout vers quoi j’irai. Avec Jerry, on aimerait à nouveau faire quelque chose ensemble. Et si on le fait chez les Humanos, ce sera très probablement de la science-fiction, mais rien n’est encore défini.

Et concernant les thématiques, lesquelles vous inspirent plus particulièrement, toi et Jerry ?

Concernant la thématique des extraterrestres, c’est Jerry qui me l’a amenée et j’ai tout de suite vu vers quoi je pouvais m’orienter. Si l’on m’amène d’autres thématiques, comme celle de la machine — thème des « Utopiales » cette année — je suis sûr qu’en écoutant les conférences, quantité de choses vont rebondir dans mon esprit ; choses sur lesquelles je vais travailler par la suite. Ce que j’aime développer, c’est la présence des contraires. D’où les questionnements associés aux concepts de l’identité et de l’altérité, comme ceux développés par exemple dans ces histoires d’extraterrestres. Du moment que l’on retrouve une dualité présente dans l’histoire et non pas un point de vue univoque alors se crée automatiquement une complexité. Et cette complexité qui participe à la richesse d’une histoire.

Exo – Moon Strike – Extrait
© Éditions Les Humanoïdes Associés, 2016
© Jerry Frissen et Philippe Scoffoni, 2016

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