Jérôme Noirez
Jeune maison d’édition créée en octobre 2017, Mü Éditions a rapidement su offrir un catalogue fort singulier, en proposant un choix de textes audacieux, s’écartant des canons habituels de nos littératures. Récemment tombé sous l’escarcelle bienveillante des éditions Mnémos, sous le couvert du label Mu, l’éditeur n’en continue pas moins d’offrir un catalogue aussi singulier que généreux, sous la direction éclairée de Davy Athuil et Frédéric Weil. Au terme d’une première année éditoriale au sein de Mnémos et d’une huitaine de titres, nous avons souhaité revenir sur le parcours de cette nouvelle ligne éditoriale, en compagnie du principal intéressé.

Photographie Davy Athuil © Nicolas Winter/Just A Word, 2018 

Rencontre avec
Davy Athuil, Label Mu

Entretien réalisé par Franck Brénugat

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Certains éditeurs de littérature blanche ont fait le pari ces dernières années d’élargir leur catalogue en proposant aux lecteurs soit une collection — Exofictions chez Actes Sud — soit un département — Albin Michel Imaginaire chez Albin Michel. La démarche effectuée ici est d’une tout autre nature, en ce qu’elle consiste davantage en une consolidation née de la rencontre des éditeurs Davy Athuil pour Mü Éditions et Frédéric Weil pour Mnémos. Si le dernier nous fait découvrir les multiples méandres de nos littératures de genre depuis de nombreuses années déjà au travers d’un catalogue plus que respectable, le premier fait le pari d’un catalogue tout autre, où la transfiction règne en maître. C’est en faveur de cette ligne éditoriale que « le label Mu explore les mutations permanentes de nos réalités multiples, ce que nous appelons des ruptures du réel. » Au regard des premiers titres disponibles au terme de cette première année éditoriale, force est de constater que le choix opéré par les intéressés répond tout à fait à ce « cahier des charges ». Les textes sont une véritable et sincère invitation à nous interroger sur les ruptures et autres disruptions qui peuvent émerger de notre réalité, confrontée à une expérience radicalement autre, que celle-ci puise son origine dans les contours de la science-fiction, du merveilleux ou du fantastique. Chaque lecture se montre en ce sens un véritable réenchantement pour nos cellules grises, faisant la part belle à l’interrogation philosophique. En ce sens, le label Mu ne fait que poursuivre l’expérience de ses anciennes publications d’avant 2020, dont on pourra trouver un écho avec l’étonnant Cyberland. Le label Mu propose ainsi un registre où les textes, engagés et emprunts d’un questionnement existentiel ne manquent jamais de défricher certains territoires du réel d’une manière toujours subtile et éclairante, bien éloigné de certains canons entendus et éprouvés. Autre dénominateur commun au corpus du label Mu : une qualité littéraire au tempérament des plus généreux. Une littérature comme on les aime, libre de cœur et libre d’esprit…

lefictionaute : Pouvez-vous revenir sur les origines de Mü Éditions, fondées en octobre 2017 ?

Davy Athuil : L’aventure Mu est d’abord une aventure en solitaire lancée en 2013. Des projets plein la tête ! C’est après le succès (à notre échelle) de Moi, Peter Pan de Michael Roch que la maison d’édition deviendra collective, en 2017. À partir de cette date, nous définissons avec les associés plusieurs collections et sommes distribués par Makassar. Nos publications nous porteront jusqu’à Livre Paris en 2019 où nous sommes approchés par des diffuseurs.

Début 2020, Mü Éditions devient sous le nom de Mu un label des Éditions Mnémos. Comment s’est opérée cette jonction ? Quelles ont été les motivations de cette dernière ?

C’est une histoire qui débute plusieurs mois avant le rachat de Mu par Mnémos. Frédéric Weil et moi-même travaillons ensemble sur divers projets concernant sa maison d’édition depuis fin 2018. Quand Mü est approché par les diffuseurs, nous faisons le nécessaire pour bâtir nos plans de financements sur l’année et essayons de trouver les moyens de notre réussite. Toutefois, les choses ne sont jamais aussi simples et, à l’été 2019, je décide que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Un échec en somme. Au cours de ce mois de juillet, je rencontre Frédéric pour discuter de différents projets et lui exprime mon sentiment sur la suite de Mü et l’abandon de notre arrivée en diffusion. Frédéric travaillait à l’époque sur un projet de collection de littérature générale singulière, à la limite du genre et de la littérature blanche. Il trouve lors de ce déjeuner que cet abandon est une grosse erreur pour la suite et propose que nous nous revoyions fin août à son retour de congés. Le rendez-vous est pris et nous voilà de nouveau autour d’une table cette fois dans un restaurant du Beaujolais. Avec Nathalie Weil, gérante des éditions Mnémos, ce dernier me fait la proposition de reprendre Mü et de le basculer chez Mnémos pour en faire, non une collection, mais un label avec une ligne éditoriale propre détachée de Mnémos.

« Nous publions des livres qui sont autant d’expériences et de ruptures dans le réel », est-il possible de lire sur votre page d’accueil. Comment définiriez-vous votre ligne éditoriale ? Sur quels critères choisissez-vous les textes ?

Nous avons, avec Frédéric, co-construit la ligne éditoriale du label Mu en nous appuyant sur un constat simple : tous les médias culturels réussissent le pari du succès avec des œuvres relevant de la science-fiction, de la fantasy et du fantastique alors même que la plupart de celles et ceux qui en sont les « utilisateurs » ne sont absolument pas attirés par ce genre. Nous avons donc pensé que nous pouvions créer des ponts, des passerelles entre les différents genres : la littérature blanche, le polar et, justement, l’imaginaire. Des textes accessibles à toutes et tous, avec des voix singulières et/ou décalées, exigeantes en termes de narration, nous permettant de voir le monde en faisant un pas de côté indispensable à la compréhension, grâce aux codes de l’imaginaire. Frédéric et moi sommes des lecteurs transversaux prenant autant de plaisir à lire un essai qu’un ouvrage de littérature blanche et même… de l’imaginaire ! Nous n’avons pas de critères prédéfinis pour choisir un texte, car ces derniers sont des carcans qui empêchent la création de ce que nous recherchons : des textes originaux, racontant le monde dans toute sa complexité et dans toute son unité. Intelligence du propos, voix de l’autrice ou de l’auteur, originalité du ou des monde(s) proposé(s), voici sans doute nos seuls critères… très subjectifs.

Les récits relèvent de la transfiction. Comment le lectorat perçoit-il cette approche, dès lors qu’il semble aimer à se retrouver au sein de genres et de sous-genres bien définis ?

Nous travaillons sur ce sujet depuis que nous avons décidé de lancer le label. Je ne crois pas aux étiquettes apposées comme des indicateurs de ce qui serait ou pas de l’imaginaire. Sinon, pourquoi retrouver Barjavel ou Murakami en littérature générale ? Et que dire de grands classiques comme ceux de Verne ou de Cyrano de Bergerac ? Les genres et sous-genres peuvent être rassurants, mais ils sont aussi des barrières à la découverte d’autres histoires, d’autres pensées. C’est pourquoi nous avons décidé que Mu serait diffusé en littérature générale majoritairement. Nous voulons ainsi créer ces ponts que j’évoquais précédemment. Pour cela, nous travaillons main dans la main avec Média Diffusion qui nous fait confiance et qui soutient pleinement notre politique éditoriale. Ça a été également l’occasion de travailler en proximité avec les librairies indépendantes, garantes d’un maillage culturel et littéraire sur notre territoire. Notre positionnement peut surprendre, mais, après tout, n’est-ce pas l’intérêt du roman ?

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Le Livre jaune — © Éditions Mnémos, Label Mu, 2020 — © Michael Roch, 2020 — Illustration © Kévin Deneufchatel, 2020

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Walter Kurtz était à pied — © Éditions Mnémos, Label Mu, 2020 — © Emmanuel Brault, 2020 — Illustration © Kévin Deneufchatel, 2020

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Petit blanc — © Éditions Mnémos, Label Mu, 2020 — © Nicolas Cartelet, 2020 — Illustration © Kévin Deneufchatel, 2020

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Je n’aime pas les grands — © Éditions Mnémos, Label Mu, 2020 — © Pierre Léauté, 2020 — Illustration © Kévin Deneufchatel, 2020

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Aucune terre n’est promise — © Éditions Mnémos, Label Mu, 2021 — © Lavie Tidhar, 2018 — Illustration © Kévin Deneufchatel, 2021 — Traduction Julien Bétan

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Les Oiseaux du temps — © Éditions Mnémos, Label Mu, 2021 — © Amal El-Mohtar et Max Gladstone, 2019 — Illustration © Kévin Deneufchatel, 2021 — Traduction Julien Bétan

Plus d’une année s’est écoulée depuis le lancement de la collection en 2020. Quel regard portez-vous au terme de cette première année éditoriale, riche d’une huitaine de titres ?

Mu devait lancer son premier titre diffusé en mars 2020. Un petit virus qui ne devait pas voyager à l’intérieur de nos frontières en a décidé autrement. Nous vivons avec lui depuis ce jour où nous avons dû repousser plusieurs de nos ouvrages. Malgré de bons accueils des libraires et du public, nos titres ont fait les frais de la fermeture des librairies indépendantes et des grandes surfaces spécialisées. Toutefois, même si comparaison n’est pas raison, nous sommes sortis de l’année 2020 en assez bon état avec le soutien plein et entier de notre diffuseur et la conviction d’avoir entamé un processus positif auprès des professionnels du livre. Nous continuons à avoir de nombreux retours sur des titres qui ont maintenant plus d’un an comme Walter Kurtz était à pied d’Emmanuel Brault ou encore Je n’aime pas les grands de Pierre Léauté dont Gérard Collard, le libraire de La Griffe noire, ne cesse de dire tout le bien qu’il en pense. Notre sortie de janvier, Aucune terre n’est promise de Lavie Tidhar, a été un succès critique avec lequel nous avons, pour la première fois, obtenu un article dans Usbek & Rica et Libération. Ce grand roman est, hélas aujourd’hui, d’une actualité brulante après les événements récents entre Israël et la Palestine.

Les Oiseaux du temps d’Amal El-Mohtar et Max Gladstone se permet le luxe de remporter le tiercé gagnant en remportant les prix Hugo, Locus et Nebula 2020. Excusez du peu… Plutôt grisant, j’imagine ?

C’est peu de le dire ! Quand nous avons lu ce titre à sa sortie avec Frédéric, il a d’abord été un coup de cœur de lecteurs et nous avons su immédiatement qu’il était fait pour Mu. Alors même qu’il n’était ni nommé ni primé, nous avons engagé des discussions avec l’agent des deux auteurs et avons obtenu les droits pour la France. Les mois passant, ce roman est devenu une référence et a décroché tous les prix que vous venez de citer. C’est évidemment une grande satisfaction d’éditeur, mais surtout un gage de qualité pour les lectrices et lecteurs. Le premier tirage, déjà important pour Mu, a été doublé devant l’avalanche des demandes et des commandes des librairies. Les Oiseaux du temps répond sans doute à une demande particulière en cette période de sortie de crise et de retour du beau temps : un roman avec des valeurs humaines fortes et qui nous fait du bien dans la sinistrose politique ambiante. Le nombre important de coups de cœur des professionnels du livre en atteste !

Justement, en tant qu’acteur dans la production et diffusion d’œuvres à caractère science-fictif, sinon transfictif, quel regard portez-vous sur le futur de nos sociétés ?

Si vous parlez au pragmatique que je suis, la réponse sera simple : sombre. Augmentation des nationalismes et des fascismes à travers le monde, crises environnementales et sanitaires en boucle, guerre larvée, flux migratoires ingérables, populations pauvres exploitées encore plus, surveillance de masse… Franchement, je ne suis pas très optimiste.
Toutefois, comme tout le monde, je suis un être empli de paradoxes. L’un d’entre eux est que je suis également un incorrigible rêveur. Je suis persuadé qu’il nous est possible de transformer nos sociétés pour les rendre plus justes, plus égalitaires, plus fraternelles. Ce qui nous sépare est bien mince par rapport à ce qui nous réunit : notre humanité, notre altérité, notre raison. Servons-nous-en pour trouver enfin des jours heureux. 

Les auteurs francophones se taillent la part du lion au sein du catalogue. Emmanuel Brault, Nicolas Cartelet, Pierre Léauté et Michael Roch pour les citer. Est-ce là un parti pris éditorial ? 

Un parti pris ? Nous voulons éviter cela autant que possible. Mu s’est bâtie avec des autrices et des auteurs francophones. D’abord pour des questions pratiques et ensuite parce que nous accompagnons chacune et chacun depuis des années. Il est donc normal aujourd’hui qu’ils et elles aient la part belle dans notre catalogue. Il est vrai que peu d’autrices et d’auteurs francophones usent de la transversalité littéraire comme nous avons envie d’en publier alors que le domaine étranger en regorge. Nous aurions pu d’ailleurs ne faire que de la traduction, mais je crois sincèrement que nous aurions loupé quelque chose. Cette voix française, poétique, engagée, douce et violente à la fois. Enfin, chacun des auteurs cités dans votre question est pour nous et avant tout un formidable écrivain qui nous a fait vibrer, rêver, penser le monde contemporain à l’aune des ruptures de plus en plus prégnantes de nos sociétés. Ils sont pour nous indispensables.

En quel sens « cette voix française » se singularise-t-elle des autres ? Nos auteurs hexagonaux se montrent-ils davantage politisés ou engagés que les auteurs anglo-saxons notamment ?

Je ne ferai pas cette offense de penser cela de la littérature étrangère. Partout dans le monde, les autrices et auteurs s’emparent de faits de société, donc politique, pour en tirer des fictions qui nous offrent une vision plus juste du monde en pratiquant ce que nous appelons chez Mu le pas de côté nécessaire pour entrevoir les ruptures du monde. Comme Les Employés d’Olga Ravn (La Peuplade) ou encore Perles de Chi Ta-wei (L’Asiathèque). Quand je parle des auteurs francophones, je pense immédiatement à cette petite voix qui fait encore les beaux jours de notre littérature. C’est cela qui me plait ! Non pas une meilleure façon de parler politique, amour, altérité, société, etc., mais une manière différente de le faire empreinte tout à la fois de violence et de romantisme. Une littérature en dégradés de gris.

Le label Mu nous invite à explorer « ensemble le présent autrement en découvrant nos ruptures dans le réel. » Ce même label propose ainsi l’imaginaire comme clé de déchiffrement d’un réel de plus en plus complexe. En quel sens ?

Quand on souhaite déchiffrer le présent, le contemporain, les outils du moment sont parfois inadaptés. Il faut alors en créer de nouveaux, se libérer de certains cadres pour faire le pas de côté nécessaire et voir les choses sous des angles différents. C’est cela que nous proposons. Utiliser l’imaginaire pour marquer les ruptures du monde, le voir différemment et ainsi préparer un avenir plus ouvert et plus juste. Je crois à la force de la fiction comme outil non seulement de réenchantement du monde, mais également comme un élément d’appui au changement. Cela passe, à mon sens, indubitablement par une expérience littéraire à taille humaine, sans filtre, évoquant tous les pans de la société des plus durs aux plus magnifiques !

Réenchanter le monde : est-ce à penser que le chant du monde ne chante plus pour nous ? Et comment l’imaginaire peut-il justement exorciser cette idée que « le temps du monde fini commence », selon les propos visionnaires de Paul Valéry ?

C’est vrai. « Le temps du monde fini commence » a été écrit au début des années 30 et personne n’a entendu cette prédiction forte de Valéry. Tout ce qui nait est amené à disparaitre. La série Dark, diffusée sur Netflix, propose une réflexion intéressante. De mémoire, et désolé pour l’approximation : « l’être humain meurt trois fois : une fois à la perte de sa naïveté, une fois à la perte de son innocence et une fois à la perte de sa vie ». Il semble que nous ayons perdu, après notre naïveté, cette innocence si importante. Il ne nous reste donc que la culture pour nous faire rêver de nouveau. Sur le grand calendrier de l’univers, nous n’avons que 14 secondes d’existence au cours de laquelle nous nous sommes massacrés et, dans le même temps, avons créé des symphonies dont l’émotion transcende le temps. C’est le paradoxe que j’évoquais plus haut. Réenchanter le monde, c’est aussi une mission de service public, oserai-je, pour tous les champs de la Culture. Quand on regarde le ciel, une nuit d’été, ce qui prédomine, ce sont les ténèbres. Et pourtant, ce sont les étoiles, ces têtes d’épingle lumineuses qui nous font rêver. Il suffit juste de les regarder un instant pour comprendre qu’il y a d’autres voies possibles que celles que nous empruntons depuis des siècles et particulièrement depuis la révolution industrielle. Et pour reprendre Paul Valéry, ce sont nos sociétés contemporaines qui sont finies. À nous de trouver un nouveau commencement. Les romans que nous publions décrivent souvent une part sombre de l’humanité, de nos sociétés, de nos rapports aux autres, mais il y a toujours une lumière que nous tendons aux lectrices et aux lecteurs. 

Pour revenir sur l’objet même du livre, un premier constat s’impose : celui d’une charte graphique juste superbe, identifiable entre toutes. Les illustrations de couverture sont signées par le talentueux Kévin Deneufchatel et la maquette propose deux rabats, du meilleur effet avec son vernis sélectif. Un mot sur ces couvertures ?

C’est Frédéric Weil qui m’a présenté le book de Kévin Deneufchatel dans lequel figuraient ses travaux pour différents médias comme Libération ou Usbek & Rica. Et je n’ai pas été emballé parce que je trouvais jusqu’au moment de voir ses travaux personnels. Et là, nous avons su que c’était lui qu’il nous fallait ! Kévin est un jeune graphiste talentueux avec lequel nous avons un plaisir fou à travailler. Nous présentons les ouvrages, les thématiques, les éléments forts et il crée à partir de ces matériaux, une atmosphère, une ambiance à nulle autre pareille : lumineuse, éclatante et très contemporaine. Le choix de Kévin Deneufchatel est sans doute pour une partie de la réussite de Mu en librairie et auprès du public. Nos couvertures sont identifiables et la charte graphique que nous avons créée avec Frédéric permet un aspect collection dont nous savons les lectrices et lecteurs friands.

Quels sont les projets et ambitions qui marqueront l’année à venir ? Quels sont les auteurs ou titres que vous souhaiteriez publier ?

L’année à venir sera essentiellement francophone (pour une bonne partie à cause des reports de publication dus au COVID). L’année 2020 a été propice à la création pour nos autrices et auteurs et nous sommes très heureux de retrouver Pierre Léauté, Emmanuel Brault et Nicolas Cartelet pour leurs nouveaux romans. Nous accueillerons également trois autrices et auteurs en plus dans notre catalogue, dont deux premiers romans. Au total, six nouvelles publications, dont deux de littérature blanche et quatre plus transversaux, aux thématiques aussi fortes que belles comme le droit à la rédemption, à la différence, la force des symboles, la naissance des révolutions, nos vanités contemporaines et… le foot ! Mu va donc me prendre une bonne partie de mon temps en déplacement auprès des librairies (si nous sortons effectivement des confinements) pour défendre ces titres, mais également ceux qui ont subi la période 2020/2021. Notre but est d’offrir de nouveaux regards et les autrices et auteurs que nous avons la chance de publier en sont les étendards ! Quoi de plus excitant comme projet ?! 

Il est vrai ! Et pourtant, alors que l’offre éditoriale semble plus que jamais diversifiée et de bonne facture, le lectorat semble, lui, se raréfier… Comment résoudre une telle quadrature du cercle ?

La réponse se trouve dans votre question. Cela est quasiment impossible. Les actrices et acteurs du secteur le savent pertinemment et cela explique en partie l’inertie des professionnels.elles à engager des modifications structurelles. Tant que chacun pensera qu’il est l’élément indispensable à la diffusion des idées par le livre, alors que tout le monde est utile, nous n’avancerons pas. La baisse de la lecture chez les Françaises et les Français s’observe, de mémoire, depuis les années 50. Elle est douce, mais quasi continuellement en baisse, et ce, malgré le dynamisme des autrices et des auteurs, de leurs maisons d’édition, des libraires, des bibliothécaires ou de solutions comme le « club », le « poche » ou le numérique. Ce n’est donc pas une question de support, mais bel et bien un manque d’appétence pour la lecture qui se généralise. Il y a plusieurs explications à cela. L’une d’elles peut tenir dans le concept de « liquidité » développé par Bauman. Face au socle solide se tiendrait une nouvelle société dite liquide où rien n’est figé. Or, le livre peut être perçu comme l’incarnation de cet ancien monde face à l’image, plus moderne. Cette société qui viendrait après le post-modernisme fait voler en éclat les concepts les plus anciens : on privilégie dès lors le changement comme marque de la liberté. Un liquide à la dérive qui promeut le jetable, l’interchangeable et l’exclusion… tout en s’en défendant. L’un de ses corolaires les plus sombres substitue à la prise de parole mesurée et réfléchie, une pensée rapide en forme de slogan irréfragable. Le livre est le lieu de l’exclusion des certitudes parce qu’il faut du temps et de la patience. La fiction qui décrit le monde, le critique, est l’inverse de la société liquide. 

Si la littérature de science-fiction se porte mieux aujourd’hui et si la fantasy semble depuis quelque temps avoir trouvé son public, comment expliquer le fait que la littérature fantastique doit, elle, toujours guerroyer pour se faire entendre auprès du lectorat francophone ?

La science-fiction et la fantasy ont, depuis longtemps, agrégé un public qui leur est fidèle. En fonction des thématiques et des écrivains, il bénéficie de plus ou moins de succès, mais ces deux genres sont bien ancrés dans les rayons imaginaires. Le fantastique semble fonctionner dans ce rayon particulièrement par cycles. Mais comment expliquer que le fantastique soit présent dans des succès d’édition en littérature générale et pas en littérature de genre ? Cela tient sans doute à notre histoire éditoriale. Si la SF et la fantasy ont souvent été dénigrées, il n’en va pas de même avec les œuvres fantastiques comme en témoignent les lectures au collège de Maupassant, Poe ou Barjavel, par exemple. Il semble que ce genre ait acquis, pour les autrices et auteurs francophones, une petite noblesse en littérature générale et a, de fait, perdu celle qu’il avait en genre. Comme toujours, cela ne semble pas vrai pour le domaine étranger, car nul n’est prophète en son pays, toutefois, le fantastique reviendra en force, comme toujours… dans un rayon spécifique ou dans un autre.

Les univers de l’imaginaire font sensation sur de multiples supports (cinéma, séries télé, jeux vidéo, bandes dessinées, jeux de rôle). Que manque-t-il au livre pour pouvoir goûter aux joies de succès éditoriaux de plus grande ampleur ?

S’il y avait une solution miracle pour obtenir des succès d’édition, tout le monde l’emploierait. Or, ce n’est pas le cas. Une réussite éditoriale est la somme de plusieurs facteurs allant de l’autrice ou de l’auteur à la maison d’édition et ses moyens en passant par l’appréciation que peuvent en avoir les lectrices, lecteurs, journalistes, libraires, bibliothécaires, etc. Une alchimie complexe. Quand j’ai sorti Moi, Peter Pan de Michael Roch, on m’a dit que ce serait un échec, car le lectorat n’était pas prêt à lire une œuvre poétique et personnelle sur la maturité. Et pourtant, ce court roman a été un succès repris en poche chez Folio. Ce qui peut manquer, puisque vous évoquez les autres médias, c’est la création de liens avec ces différentes industries pour créer des contenus qui viendraient adapter et permettre la découverte des œuvres que nous publions. De nombreux festivals étrangers ont intégré cette notion que le livre pouvait s’épanouir en l’adaptant sur un support différent. Depuis les succès et les échecs de Luc Besson, l’industrie cinématographique, déjà peu encline à s’intéresser au genre de l’imaginaire, a abandonné ce terrain. Timidement, cela revient, mais faudra-t-il encore attendre dix ans ? J’espère que non ! En attendant, Mu continuera à promouvoir ses ouvrages auprès d’un large public et à proposer des romans qui, nous l’espérons, pourront ouvrir des portes à toutes et tous !

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Éditions Mu, David Athuil ! VLEEL By Serial Lecteur Nyctalope.

Davy Athuil nous parle de « Petit blanc ». Éditions Mu.

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