Jérôme Noirez
Si vous parlez de linguistique aux étudiants ayant pratiqué peu ou prou la discipline sur les bancs de la fac — évanescentes réminiscences pour l’auteur de cette chronique —, nul doute que plusieurs d’entre eux gardent de cette Unité d’Enseignement un souvenir pour le moins singulier. Absconse et quelque peu apeurante de prime abord, elle se laisse néanmoins apprivoiser pour les esprits les plus vaillants. Fort de ses deux essais en rapport avec nos domaines de prédilection, Frédéric Landragin, Directeur de recherche au CNRS en linguistique et spécialiste en traitement automatique des langues naturelles et dialogue entre humain et machine propose au néophyte une lecture pour le moins exaltante, toute débarrassée de certains oripeaux trop didactiques. Comment parler à un alien ? et Comment parle un robot ?, tous deux disponibles aux éditions Le Bélial’ dans la collection « Parallaxe » entreprennent d’établir les modalités d’échanges entre interactants humains et extraterrestres pour le premier puis entre interactants humains et robots pour le second. Voyage au sein d’une dimension science-fictive peu empruntée : la linguistique-fiction.

Infos pratiques

Comment parler à un alien ?/Comment parle un robot ?

Frédéric Landragin

France

Le Bélial’

Parallaxe

Livre broché avec rabat

Cédric Bucaille

Octobre 2018 / Juin 2020

272 pages / 256 pages

13,0 x 20,0 x 2,0

14,90 euros / 16,90 euros

978-2-84344-943-7 / 978-2-84344-965-9

© Éditions Le Bélial’, 2018 et 2020
© Frédéric Landragin, 2018 et 2020
Illustrations © Cédric Bucaille, 2018 et 2020

Comment parler
à un alien ?
Comment parle un robot ?

Frédéric Landragin

Éditions Le Bélial’

Chronique réalisée par Franck Brénugat

Langage et Science-Fiction

Tout public

Langage extraterrestre / Langage robotique

NOTRE ÉVALUATION

Analyses
Références
Intérêt
Vidéos
liens Internet

THÉMATIQUE

Et si demain de lointains voisins interstellaires, intergalactiques ou intersidéraux venaient à nous rendre visite, nous, chers Humains de la planète Terre troisième planète après le Soleil pour rappel serions-nous seulement à même de pouvoir communiquer avec les intéressés ? Si certains longs-métrages n’ont pas manqué d’aborder le sujet — Rencontre du troisième type, E.T., l’extra-terrestre, Premier Contact ou encore l’édifiant Mars Attack ! — la littérature science-fictive ne saurait démériter, quand bien même le nombre d’œuvres à son actif se montrerait somme toute quelque peu modeste. Concernant ce premier opus Comment parler à un alien ?, Frédéric Landragin se propose de nous faire découvrir les multiples enjeux qui parsèment une telle entreprise. Lesquels s’avèrent manifestement bien plus complexes qu’il n’y paraît. Afin de mieux saisir les tenants et aboutissants d’une telle démarche, l’auteur nous offre un détour — passage obligé — vers certains fondamentaux de la linguistique, « science qui a pour objet l’étude du langage, des langues envisagées comme systèmes sous leurs aspects phonologiques, syntaxiques, lexicaux et sémantiques. » Dont acte. Le lecteur est ainsi convié à entreprendre ce détour vers l’origine et l’évolution des langues naturelles, la construction des langues artificielles ou encore les éléments constitutifs d’une langue avant de poursuivre — et de parachever — son voyage sur le cœur du problème, savoir notre aptitude à communiquer avec de potentiels extraterrestres. Derrière les méandres de cette discipline structuraliste, se dévoilent au terme de l’enquête quelques éléments de réponse, lesquels pourront, un jour, peut-être nous aider à établir un dialogue, par-delà le simple échange de paluches ou d’antennes…

Autre questionnement également peu abordé dans nos littératures, celle de la construction du langage de la machine, et conséquemment le questionnement sous-jacent de l’interaction homme-machine. Un questionnement souvent délaissé, paradoxalement, alors que les univers de science-fiction n’ont jamais autant engrangé de robots, machines et autres androïdes usant du langage, et ce, avec une maîtrise à rendre jaloux les meilleurs polyglottes et orateurs d’entre nous. En quittant les chemins de la science-fiction pour ceux de notre réalité, nous voyons également naître tout autour de nous et depuis peu moult assistants vocaux et traducteurs aux performances parfois surprenantes. Mais peu connaissent les ressources — cyclopéennes pour le moins — à déployer afin d’orchestrer une illusion — pour encore — de dialogue homme-machine. C’est ce travail opaque pour le grand public que Frédéric Landragin se propose de nous rendre visible et accessible, dans ce second opus Comment parle un robot ? Les secrets de nos chers Siri, Alexa et Cortana sont ainsi dévoilés dans un langage clair et intelligible au commun des mortels. À la lecture de cette passionnante étude, force est de constater que notre fort sympathique C-3PO et ses six millions de langages semblent condamnés à demeurer les outils et interactants de nos seules perspectives science-fictives. Pour un certain temps, si ce n’est un temps certain…

Lecture

Non contentes de leurs nombreuses collections, les éditions Le Bélial’ ont entrepris fin 2018 d’étoffer leur catalogue en rajoutant à leur tableau la collection « Parallaxe », laquelle se propose de faire dialoguer science et science-fiction sous la houlette des meilleurs spécialistes. Les deux titres signés par Frédéric Landragin renvoient au domaine de la linguistique et plus précisément à celui de la linguistique-fiction, aspect de la science-fiction peu étudié, et pourtant riche de promesses.

Le premier nous renvoie au dialogue virtuel humain-extraterrestre. Avec Comment parler à un alien ?, s’ouvre au lecteur un pan insoupçonné de disciplines connexes gravitant autour la discipline mère. D’où l’emploi préférentiel de la terminologie « sciences du langage » pour évoquer cette dernière. Et le lecteur d’entrapercevoir les nombreuses méthodologies de la linguistique : linguistique théorique, contrastive, géographique, didactique ou pathologique, sans omettre la sociolinguistique, la psycholinguistique ou encore la neurolinguistique. Autant d’angles d’approche foisonnants, lesquels traduisent l’extraordinaire complexité et richesse des quelque 7000 langues encore aujourd’hui parlées — les deux tiers d’entre elles étant manifestement condamnés à disparaître d’ici la fin du siècle, faute de locuteurs, uniformisation des sociétés oblige… L’auteur revient sur certains mythes, notamment celui des universaux linguistiques mis en lumière par le linguiste Noam Chomsky, théorie aujourd’hui contestée par de nombreux linguistes, préférant souligner justement cette remarquable diversité, difficilement intelligible sous le couvert d’une quelconque unicité et totalité. Toujours soucieux de satisfaire au cahier des charges de la collection, Landragin établit nombre de correspondances avec nos univers de prédilection. Sont ainsi principalement sollicités parmi les œuvres de linguistique-fiction Babel 17 de Samuel Delany, Les Langages de Pao de Jack Vance, Légationville de China Miéville, L’Histoire de ta vie de Ted Chiang ou encore L’Enchâssement de Ian Watson. Mais pas que. D’autres œuvres mineures viennent également apporter leur éclairage et leur contribution à cette facette peu explorée de la science-fiction. Landragin nous expose les problématiques inhérentes à l’établissement d’un tel dialogue, à savoir les indispensables et contraignantes modalités ou prémisses, les contraintes et limites d’une telle activité communicationnelle ainsi que les hypothèses pour contourner ou résoudre ces dernières. Fort heureusement, Frédéric Landragin n’est pas que Directeur de recherche. Il est aussi et manifestement un auteur sincèrement amoureux de science-fiction. D’où la qualité de son approche didactique le disputant à une passion jamais prise en défaut.

Abandonnant la linguistique des grands espaces, le deuxième titre s’intéresse à une tout autre dimension, tendant vers l’infiniment petit celle-ci, à savoir celle de nos chers composés de silicium dont les assistants vocaux et autres robots en sont les visibles extensions. Comment parle un robot ? nous invite cette fois-ci dans les méandres de l’informatique, de l’Intelligence Artificielle, de la linguistique, mais aussi de la psychologie, afin de comprendre l’élaboration d’un langage homme-machine. Si nous sommes fort nombreux aujourd’hui à nous servir d’un assistant vocal ou d’un traducteur pratique devenue en très peu de temps d’une banalité confondante , peu d’entre nous en revanche s’interrogent sur les arrières-mondes de ces outils du quotidien. C’est ce travail auquel nous convie notre essayiste. De même, si le commun des mortels connaît bien ce que le terme d’IA peut vouloir recouvrir, peu d’entre nous savent en revanche ce que recouvre le sigle TAL, Traitement Automatique des Langues. Tout comme nous sommes loin d’imaginer la multitude des disciplines sollicitées qui s’y rattachent. Dans un langage clair et précis, l’auteur nous fait découvrir les arcanes fascinants, mais ô combien complexes, de la programmation linguistique, de son histoire, de ses enjeux, de ses impasses, mais aussi de ses ambitieuses perspectives. Une belle démarche pédagogique, toujours illustrée par de nombreux exemples linguistiques. Nous faisons notamment la découverte de l’impressionnante étendue des conditions à souscrire afin de satisfaire aux premiers émois d’un quelconque dialogue homme-machine. Linguistes, psychologues, informaticiens, traducteurs et autres philologues œuvrent d’un seul concert afin de faire progresser nos assistants et indirectement nos IA. Au regard de la complexité d’une telle démarche, la quille n’est pas pour demain pour le très médiatique test de Turing ! Un dialogue socratique avec son assistant/compagnon Siri n’est pas pour demain — quand bien même ce dernier ne serait pas le mieux placé des assistants vocaux, au sein d’une concurrence pour le moins acharnée… Si l’ouvrage se veut accessible et très bien documenté, il ne manque pas toutefois d’afficher parfois une réelle ambition, laquelle ambition pourrait réfréner certaines velléités. Il se montre en cela la parfaite copie de son prédécesseur.

Au terme de cette double excursion en linguistique, le voyageur devrait se montrer pour le moins autant surpris que ravi. Surpris de remarquer combien les sciences du langage s’avèrent riches d’informations et de sens, reflet de notre étrange et multiple humanité. Et ravi par ailleurs de constater combien la jeunesse de cette linguistique-fiction laisse entrevoir des perspectives pour le moins fécondes pour nos littératures. Les deux titres voient le corps principal du texte agrémenté de notes, d’une bibliographie et d’un index notionnel pour le moins généreux. Assurément, la linguistique sonne comme une discipline a priori absconse pour le commun des mortels — quelle discipline ne le serait d’ailleurs pas, dès l’instant où le degré de complexité d’un objet d’étude engendre nécessairement autant d’outils et donc de spécialisations que nécessaire ? Toutefois, au regard du travail entrepris par Frédéric Landragin sur ces deux opus, force est de constater que ce dernier fait preuve d’une didactique jamais prise en défaut. Les monstrations et démonstrations se montrent d’une évidence toute cartésienne : se soumettant aux idées claires et transparentes chères au fondateur du cogito. Tout en titillant en prime notre curiosité. Belle leçon de pédagogie.

SOMMAIRE

Comment parler à un alien ?

Chapitre 1 : De la science-fiction à la linguistique-fiction
Chapitre 2 : Origine et évolution des langues naturelles
Chapitre 3 : Des langues artificielles, mais pour quoi faire
Chapitre 4 : Les éléments constitutifs d’une langue
Chapitre 5 : Premier contact avec des extraterrestres

Comment parle un robot ?

Chapitre 1 : Les facettes de l’intelligence artificielle parlante
Chapitre 2 : Les facettes du traitement automatique des langues
Chapitre 3 : La machine qui comprend tout ce qu’on lui dit
Chapitre 4 : Le traducteur automatique universel
Chapitre 5 : Le dialogue entre humains et machines

Vidéos

Premier contact : comment parler à un alien ? Cité des sciences et de l’industrie.

Comment parle un robot. UPA Arcueil. 

Sites internet