Jérôme Noirez
Jérôme Noirez
La récente réédition en version noir et blanc de Sanctuaire par les Humanoïdes Associés est l’occasion de redécouvrir ce triptyque qui impressionna des générations de lecteurs. Entamé en 1999, ce thriller aquatique avec Xavier Dorison au scénario et Christohe Bec au dessin mérite sans aucun doute le détour.

Infos pratiques

Sanctuaire

Xavier Dorison

Christophe Bec

France

Les Humanoïdes Associés 

Hors collection

Réédition

Novembre 2021

Intégrale (Tome 1 : USS Nebraska – Tome 2 : Le Puits des abîmes – Tome 3 : Môth)

184 pages

32 x 24 cm — Intégrale Luxe — Noir & Blanc

49,95 euros

978-2-7316-8439-1 

© Éditions Humanoïdes associés, 2021
© Xavier Dorison, 2001, 2002, 2004
© Christophe Bec, 2001, 2002, 2004

Sanctuaire

Dorison et Bec

Éditions Les Humanoïdes Associés

Chronique réalisée par Lionel Gibert et Jean-Marc Saliou

Dans les abysses du mystère et de l’angoisse

Fonds sous-marins / Mai 1945, 1957 et 2029

Anticipation horrifique

NOTRE ÉVALUATION

Dessin
Personnages
Histoire
Vidéos
liens Internet

HISTOIRE

Mai 1945. Après de violents combats, Berlin tombe aux mains de l’Armée rouge. Dans les derniers jours de la bataille, un groupe de soldats soviétiques prend d’assaut un immeuble qui semble déceler un secret que Staline, le sombre Petit Père des peuples convoite…

1957. Le Youbrenin, sous-marin d’exploration d’avant-garde conçu par l’Union soviétique et ne transportant pratiquement pas d’armes, a la capacité de supporter des pressions de profondeurs jamais atteintes. Ceci dans le but d’accomplir une mission des plus cruciales aux yeux du Parti. Mais tout proche du but, l’équipage échoue dans des circonstances inexpliquées.

Juin 2029. Le USS Nebraska, sous-marin nucléaire américain doté d’une technologie des plus avancées, croise au large des côtes syriennes. Le commandant Hamish, dont le fils est gravement malade, dirige cette expédition. L’ambiance au sein de l’équipage semble paisible. Cependant, durant cette anodine mission de surveillance, l’équipage américain perçoit un signal inconnu et découvre l’épave d’un vieux sous-marin soviétique gisant non loin des décombres d’un gigantesque sanctuaire. Hamish décide alors d’envoyer deux équipes en reconnaissance. L’une est chargée d’explorer le sous-marin soviétique, tandis que l’autre part à la découverte de cet étrange mausolée. L’exploration dudit submersible soulève bien des interrogations. Le fameux Youbrenin est en effet porté disparu depuis plus de 70 ans… Quelle mort ont connue ses occupants ? Comment expliquer la présence du submersible si près de ce mystérieux mausolée ? Quel était surtout le but de cette mission ? De retour de leur petite expédition, Hamish organise un briefing. L’inquiétude est de mise.

Au même moment, certains membres de l’équipage commencent à présenter des troubles psychologiques. Pire encore, une mystérieuse épidémie se déclare à bord. Les événements irrationnels se multiplient et certains membres de l’équipage développent des comportements agressifs, voire meurtriers. À l’instar de ce chef machiniste allant jusqu’à saboter les moteurs, mettant ainsi en péril le submersible et son équipage… Pendant ce temps, la seconde équipe partie explorer le sanctuaire tarde à revenir. Hamish décide alors de prendre les choses en main en allant lui-même rechercher ces hommes avec une petite équipe. Dirigeant l’exploration de ce mystérieux mausolée, il semble fasciné, hypnotisé par ce lieu étrange dont le secret pourrait bien changer l’histoire de l’Humanité… Cependant, à l’intérieur du sous-marin américain, les événements s’enchaînent et la discorde ne manque pas d’apparaître au sein de l’équipage. La tension est palpable et certaines personnes n’hésitent pas à jouer leur va-tout pour sauver leur peau…

Sanctuaire – Intégrale Luxe noir et blanc
Scénario © Xavier Dorison, 2001, 2002, 2004
Dessin © Christophe Bec, 2001, 2002, 2004
© Éditions Les Humanoïdes Associés, 2021

Lecture

À la lecture de ce récit palpitant, comment ne pas penser aux longs-métrages Abyss, Alien, Octobre rouge, Das Boot et au remarquable film français Le Chant du loup ? Dorison, lequel a su bâtir un scénario bien calibré, a subi sans aucun doute les influences de certaines de ces productions afin de retranscrire les ambiances sombres et angoissantes de ce huis clos. Il est possible également d’évoquer certaines bandes dessinées comme celles d’Edgard Pierre Jacobs ; on pense bien sûr au fameux Mystère de la Grande Pyramide. Cet opus des aventures de Blake et Mortimer jouait sur les fameuses malédictions de dieux anciens réveillés par les explorateurs… Le scénariste construit une ambiance oppressante, étape par étape, faisant monter crescendo la tension narrative. Les deux prologues le premier se déroulant en 1945 et le second durant la guerre froide s’avèrent des plus mystérieux. Certes, on ne comprend pas de suite la signification de ces singulières prémisses, mais l’intrigue gagne en limpidité au milieu du récit. À partir d’un canevas méticuleux, Dorison installe un suspense efficace et accrocheur où plane constamment le mystère. Il arrive par ailleurs à bien cerner les différents caractères des personnages : on pense notamment au commandant Hamish, tiraillé entre son devoir et l’envie d’être au chevet de son fils gravement malade. On pense également à l’altruiste June ainsi qu’au médecin du sous-marin, deux figures s’efforçant de préserver coûte que coûte l’équipage. D’autres personnages font preuve en revanche d’une certaine noirceur, à l’instar de certains pleutres tentant égoïstement de jouer leur va-tout, sans oublier ceux qui perdent le contrôle d’eux-mêmes au point de menacer l’équipage.

Réalisant un huis clos claustrophobe tout en développant plusieurs histoires parallèles, le scénariste tente de retenir notre attention tout au long des trois opus. Mais c’est peut-être là justement que le bât blesse. À vouloir combiner plusieurs intrigues, le narrateur prend le risque de désorienter le lecteur. Jouant sur des vagues successives d’angoisses et de tensions, Dorison fait monter le climax, au point de surprendre, voire de décevoir par une chute finale qui s’avère trop allusive, laissant au lecteur le soin d’interpréter ce qu’il ressent. De même, la créature se montre peu laquelle s’avère fort bien dessinée au demeurant. Quel dommage ! En définitive, ce n’est pas tant l’histoire en elle-même qui s’avère intéressante, mais plutôt l’ambiance oppressante et surnaturelle qui s’en dégage. Le décor des abysses se montre, il est vrai, fort propice à générer mystère, angoisse et horreur. De ce côté-là, l’objectif de Dorison est atteint. Il nous revient d’ailleurs à la mémoire le méconnu Abîmes de David Twohy, auteur du remarquable Pitch Black. Là aussi, reprenant la trame de l’intrigue sous-marine, le cinéaste s’était efforcé d’ajouter une dimension surnaturelle à l’ensemble, démarche reprise ici par Xavier Dorison.

Le dessin de Christophe Bec, très sombre, joue lui aussi sur la noirceur, l’obscurité des grands fonds et l’immensité des grottes, contribuant efficacement à l’ambiance claustrophobe du récit. La couleur, effectuée par Homer Reyes à partir du deuxième tome, confirme cette impression. La version noir et blanc permet cependant de mieux apprécier le sens du détail de Bec, notamment sur ses grands hors-textes, mais pas seulement. Certaines mises en page contribuent aussi à renforcer cette ambiance oppressante à souhait, notamment lors de la découverte du mausolée par l’équipe d’Hamish. Une réserve de taille cependant : son graphisme, combiné à cette obsession du détail, rend la lecture de certaines planches parfois difficile. Alors qu’un Philippe Francq ou un Sylvain Vallée (dans un style semi-réaliste) arrivent brillamment à caractériser chaque personnage par exemple, Bec — s’inspirant d’acteurs hollywoodiens et voulant peut-être leur rendre hommage — dessine des protagonistes parfois difficilement identifiables. Cela s’avère d’autant plus regrettable au regard de la multitude de personnages évoluant au sein du récit. Certes, on aura reconnu Scott Glenn, Johnny Depp ou encore William Hurt, sans oublier Bruce Willis. Mais tous ces détails nuisent à la lisibilité de l’histoire et confortent ce sentiment de confusion. Le style quasi photographique de Bec ne laisse pas indifférent, mais conjugué ici à des tonalités sombres, il pourrait parfois nuire au plaisir de lecture. Dommage, dans la mesure où ce dessinateur, attiré par l’hyperréalisme et surtout très influencé par William Vance, était probablement à la recherche de son propre style. Quoiqu’il en soit, mentionnons la qualité de son travail, notamment celui couvrant les doubles pages ou la reconstitution graphique du sanctuaire, travail ici rehaussé par cette prestigieuse réédition en noir et blanc. Sur certains aspects, c’est un style bien adapté à ce type de récit, lequel n’est pas sans rappeler certains travaux d’artistes comme Ponzio ou encore Jean Claude Claeys. Gardons en mémoire que Christophe Bec était alors au commencement de son parcours, son dessin s’étant considérablement bonifié depuis. Auteur complet par ailleurs, puisqu’il s’est montré qui plus est un scénariste prolifique. Il a également collaboré avec des artistes proches de son style, Rafaelle, Genzianella ou encore Henninot. Même s’il est attiré par les ambiances de lieux confinés, où fantastique et surnaturel se côtoient, il fait montre de polyvalence dans le choix de ses univers, en évoluant notamment dans le western (Gunfighter) ou l’heroic fantasy (Conan). N’oublions pas également sa récente reprise de Bob Morane, aidé par Corbeyran au scénario et Grella au dessin, un bel hommage au regretté Henri Vernes.

Que retenir de Sanctuaire ? Grand thriller aquatique mâtiné de science-fiction ésotérique ou simple bande dessinée sous-marine bien ficelée ? Qu’importe ! Dorison, très bien secondé par Bec, a encore une fois déployé son talent de conteur dans cette histoire captivante. Pour preuves, une tentative avortée d’adapter cet opus au cinéma et une édition publiée aux États-Unis (Sanctum) au format comics. Xavier Dorison confirmera par la suite tout son talent — tout comme Bec en parallèle. En témoignent ces œuvres de très belle facture que sont les séries Long John Silver (Lauffray au dessin), W.E.S.T. (Nury au scénario et Rossi au dessin) ou encore Prophet (Lauffray au dessin). Et c’est tout le mérite de cette réédition en noir et blanc de nous rappeler les débuts prometteurs de deux auteurs majeurs de la bande dessinée franco-belge.

Vidéos

Sanctuaire redux tome1. WeberDU.

Master Class avec Christophe Bec. 48H BD.

Sites internet