Rencontre avec Serge Fino
Jérôme Noirez
La petite équipe du fictionaute.com s’est rendue à quelques pas de son domicile dans son lieu de perdition préféré, savoir la librairie brestoise Excalibulle. Sa propriétaire et gérante, la fort charmante et très affable Dominique nous y convia en ce mois de janvier 2018 afin d’y faire la connaissance de Serge Fino, alors en dédicace pour son dernier titre Les Chasseurs d’écume. Une bien belle rencontre. Nous revenons au travers de cet entretien sur le parcours haut en couleur de cet artiste au talent protéiforme, sincère amoureux de la Bretagne et des univers maritimes qui la caractérisent. Que Serge Fino et Dominique Leroux soient ici chaleureusement remerciés pour cette si belle rencontre.

Rencontre avec Serge Fino

Entretien réalisé par Lionel Gibert et Jean-Marc Saliou
Filmé par Franck Brénugat et monté par Morgane Ferri

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lefictionaute : Serge Fino, bonjour. Tu as d’abord évolué dans le registre de la Fantasy avec Les Ailes du Phaéton, puis avec succès dans celui de la saga historique avec Les Chasseurs d’écume. Quelles sont les raisons qui expliquent ce changement ?

Serge Fino : Il y a plusieurs raisons à cela. J’ai quitté d’une part les éditions Soleil dont le fonds de commerce était l’heroic fantasy et son cortège de récits pas très épais en matière de densité scénaristique. D’autre part, l’heroic fantasy n’est pas ma tasse de thé. Et au bout de quelques albums, j’ai commencé à tourner en rond. J’en ai fait part au directeur des éditions Soleil de l’époque, en lui disant que je préférais raconter des histoires plus ancrées dans la réalité, le réel, le contemporain. Et puis, j’avais commencé à faire des polars, mais ce n’était pas leur fonds de commerce — forcément, le registre du polar ne se vendait pas très bien à l’époque. Et puis un jour, je suis tombé sur un titre de la collection « Soleil Celtique », alors que je travaillais déjà avec Jean-Luc Istin sur un album. C’est un bouquin qui s’appelait Le Sang de la Sirène, lequel était l’adaptation de plusieurs nouvelles d’Anatole Le Braz. Je suis donc allé voir Jean-Luc Istin en lui disant : « Écoute, c’est ce genre de trucs qui me plaît. » L’histoire se passait en Bretagne. On y retrouvait l’atmosphère propre à cette région, avec ses bateaux, ses ambiances, ses rochers, sa mer. Il y avait tout cela, et je trouvais que la Bretagne se démarquait par un côté graphique assez fort à retranscrire. Je lui ai donc dit : « Voilà : cela m’intéresserait. Si tu as d’autres récits, je voudrais bien que tu me les fasses lire, et éventuellement que je puisse travailler dessus. » Il m’a dit oui et il m’a collé un scénariste qui était François Debois, lequel est depuis le scénariste de Chasseurs d’écume. On a fait cet album, dont l’histoire se passait au large de Perros-Guirec. Et pendant qu’on travaillait ensemble et comme il voyait qu’on travaillait plutôt bien tous les deux, il m’a dit : « Chez Glénat, j’ai un scénario, un projet qui est validé, mais pour lequel on n’a pas de dessinateur. Est-ce que cela t’intéresserait de travailler sur ce projet ? » J’ai dit oui ! Du coup, il m’a envoyé le pitch et cela m’a bien plu. C’était Les Chasseurs d’écume. J’en ai donc profité pour travailler sur un récit qui me correspondait davantage, avec la possibilité de travailler sur le long terme les personnages. Ce que seule une saga autorise. En plus, cela m’a permis de changer d’éditeur. Je tournais en rond et le catalogue de Soleil ne me convenait plus. J’ai sauté sur l’occasion. Voilà pourquoi.

Dans un article du Télégramme, tu parlais de l’importance du travail documentaire concernant Les Chasseurs d’écume, tant pour l’architecture, l’iconographie que pour l’aspect social. Comment procèdes-tu ?

Déjà, j’habite le Var, à l’opposé de la Bretagne où je ne me rends pas tous les jours ! Je connaissais un peu la région, comme ça. Mais j’étais incapable de placer Douarnenez sur une carte ! Il a donc fallu que j’aille sur place. J’y suis resté deux ou trois jours : j’ai tourné un peu, j’ai pris des photos et je me suis imprégné des lieux où l’action allait se dérouler. Je suis allé voir l’office de tourisme, le Comptoir Maritime Chasse-Marée, et quelques personnes. Je suis également allé à la médiathèque. Voilà. Je me suis pas mal documenté pour qu’au moment d’attaquer le dessin, je puisse posséder tous les outils en main. J’avais pris le maximum d’informations pour éviter de revenir constamment sur les lieux, et que, de retour chez moi, je puisse m’atteler au récit proprement dit, tout en me servant du support documentaire : photos, bouquins, cartes postales. Je me rappelle que le Chasse-Marée possédait une solide documentation. Les responsables m’ont dit : « Prenez un bureau, la documentation est là, prenez ce que vous voulez. » Et c’est ce que j’ai fait. Je me suis installé dans un coin et j’ai passé l’après-midi à prendre en photo toutes les vieilles cartes postales, tous les documents. En revenant chez moi, j’ai mis tout cela en ordre. Et puis, au fur et à mesure du récit — comme ce dernier se développe dans le temps sur quasiment plus d’un siècle —, le décor évolue, de nouveaux événements arrivent, le design des bateaux change. Après, avec Internet, j’arrive à trouver de nouvelles documentations. Sinon, comme je viens au moins une fois dans l’année en Bretagne, j’en profite pour étoffer ma documentation. Pour tout ce qui est technique, j’ai un ancien patron pêcheur qui habite à Douarnenez, lequel a quasiment connu tout cela — enfin, à partir de la Seconde Guerre mondiale. Dès que je suis confronté à un souci technique sur les bateaux, je l’appelle. Et il est trop content de me donner un coup de main. S’il n’a pas l’information, il sait qui aller chercher pour répondre à ma requête. Il y a donc, il est vrai, un gros travail documentaire à faire en amont dans la mesure où mes connaissances concernant la technicité des bateaux sont nulles. Et il ne faudrait pas que les gens qui connaissent un peu la pêche, les bateaux ou le coin se disent en lisant le premier tome : « Ça se voit qu’il n’est pas venu ; il a tout mélangé ! » Je voulais donc que tout cela soit nickel. Après seulement, j’ai pris quelques libertés avec la réalité, mais davantage pour des raisons esthétiques ou graphiques. Il a donc fallu que je me documente pas mal, exigence que l’on retrouve pour tout récit réaliste ou contemporain, quelque soit la série par ailleurs. Quand Francis Vallès dessinait Les Maîtres de l’Orge, par exemple, il me disait que pour avoir les outils de l’époque, il lui fallait des bouquins spécifiques sur les costumes, les outils, les voitures, les chevaux, les maisons ou encore l’architecture. De mon côté, j’ai de la chance, dans la mesure où le port de Douarnenez n’a pas tellement changé. À part deux ou trois détails, il n’a pas énormément subi de transformations. Quand je retourne à Douarnenez, j’en profite naturellement pour étoffer mon dossier photo. Après, quand je reviens sur mes terres, je m’aperçois qu’il me manque toujours une photo ou un truc particulier. Mais comme je connais quelques personnes sur place, je fais appel à leur service pour étoffer ma documentation. Avec Internet et les téléphones portables, on peut dans la minute avoir la photo. C’est royal !

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La Couronne de foudre – Tome 1 : La Louve blessée — Brice Tarvel — Serge Fino — © Éditions Soleil 2001 — © Brice Tarvel 2001 — © Serge Fino 2001

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Les Contes du Korrigan – Livre quatrième : La Pierre de justice — Erwan Le Breton — Ronan Le Breton — Mika — Guy Michel — Serge Fino — © Éditions Soleil 2004 — © Erwan Le Breton 2004 — © Ronan Le Breton 2004 — © Mika 2004 — © Guy Michel 2004 — © Serge Fino 2004

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Les Contes du Korrigan – Livre cinquième : L’Île d’Émeraude — Erwan Le Breton — Ronan Le Breton — François Gomès — Jean-Marie Minguez — Serge Fino — © Éditions Soleil 2004 — © Erwan Le Breton 2004 — © Ronan Le Breton 2004 — © François Gomès 2004 — © Jean-Marie Minguez 2004 — © Serge Fino 2004

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Angeline – Tome 3 : White Christmas — Adeline Blondieau — Éric Summer — Serge Fino — © Éditions Soleil 2006 — © Adeline Blondieau 2006 — © Éric Summer 2006 — © Serge Fino 2006

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Angeline – Tome 4 : Memphis, Tennessee — Adeline Blondieau — Éric Summer — Serge Fino — © Éditions Soleil 2007 — © Adeline Blondieau 2007 — © Éric Summer 2007 — © Serge Fino 2007

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Cerbères – Tome 1 : La Séduction de l’innocent — Serge Carrère — Weissengel — Serge Fino — © Éditions Soleil 2008 — © Serge Carrère 2008 — © Weissengel 2008 — © Serge Fino 2008

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Corpus Hermeticum – Tome 3 : Les Larmes du désert — Mathieu Missoffe — Serge Fino — © Éditions Soleil 2008 — © Mathieu Missoffe 2008 — © Serge Fino 2008

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Dossier tueurs en série – L’Étrangleur de Boston — Élie Chouraqui — Serge Fino — © Éditions Soleil 2009 — © Élie Chouraqui 2009 — © Serge Fino 2009

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Quand souffle le vent des îles — François Debois — Serge Fino — Anatole Le Braz — © Éditions Soleil 2010 — © François Debois 2010 — © Serge Fino 2010 — © Anatole Le Braz

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Dracula – L’Ordre des dragons – Tome 1 : L’Enfance d’un monstre — Éric Corbeyran — Serge Fino — © Éditions Soleil 2011 — © Éric Corbeyran 2011 — © Serge Fino 2011 — Couverture © Stéphane Perger 2011

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Histoire de la Provence – Tome 1 : Les Premiers humains — Gilbert Buti — Serge Fino — © Éditions du Signe 2012 — © Gilbert Buti 2012 — © Serge Fino 2012

Tu as reçu plusieurs prix, dont celui du Prix de la BD bretonne en 2012 au salon de Quimper. L’objectif de crédibilité est donc atteint. Justement, quelle est la part de fiction dans un récit historique comme celui-là ? Comment réussir à tenir en haleine les lecteurs sur une saga comme celle-ci, s’étalant sur un siècle ?

Le récit est en fait adapté d’un roman. Par conséquent, on suit dans l’ensemble la trame de ce dernier dont on a racheté les droits. François Debois a rajouté des éléments comme le personnage de Denise, fiancée de Jos, le personnage principal, et qui demeure son amour de jeunesse… Cet élément est une anecdote que l’on a rajoutée, estimant que cela conférait une part d’humanité dans le quotidien du protagoniste. Après, tenir en haleine un public, c’est une question de dosage, qui plus est dans un récit qui « se limite simplement » à raconter une histoire de gens ordinaires confrontés à leur quotidien. Il faut par conséquent établir un dosage entre cette dimension humaine du quotidien et la technique de leur métier — le but est aussi de découvrir leur métier et leur façon de travailler, propres à leur l’époque. Et aussi, au fur et à mesure des différentes époques, savoir explorer des thématiques comme la Première Guerre mondiale ou la révolte des Penn Sardin en 1924. Ce sont là des épisodes de l’histoire qui ne sont pas forcément connus de tout le monde. On peut notamment faire référence au passage où le protagoniste part sur un bateau et se retrouve à Sébastopol. Alors que l’armistice est signé depuis un certain temps avec les Allemands, on leur demande, à lui et à son équipage, de rester en Russie pour combattre cette fois-ci les bolcheviks. Déjà que les raisons de l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne étaient difficiles à appréhender pour ces marins bretons et déracinés… Ce sont là des anecdotes que l’on ne connaissait pas forcément. Concernant la Seconde Guerre mondiale, c’est l’épisode peu connu de Mers El Kébir — où les Anglais coulent la flotte française — qui est mis à l’honneur dans le récit. Il s’agit par conséquent d’une délicate alchimie entre tous ces éléments. Ensuite, ce qui a peut-être aidé au succès du cycle, c’est que les lecteurs se sont identifiés à Jos, le personnage principal que l’on suit dès l’âge de dix ans, et ce, dès le premier tome. Ces mêmes lecteurs ont ainsi pu partager sa vie, en le voyant grandir pour devenir adulte et père à son tour. Le processus d’identification a pu s’opérer facilement. Je ne connais pas le secret de la réussite. Auquel cas, je l’appliquerai à chaque fois ! On peut aussi mettre en avant la notion du terroir. En effet, comme nous ne sommes pas actuellement dans une période très rose, je pense que cette histoire nous fait relativiser certaines choses. On se plonge dans un passé où il y avait d’autres soucis que ceux d’aujourd’hui. On se dit qu’à l’époque, c’était également très compliqué : on ne mangeait pas tous les jours et il fallait se lever tôt pour partir en mer. Ensuite, la mer, ça fait rêver ! On le voit bien avec des récits comme Moby Dick ou Pêcheurs d’Islande. Je pense que le succès peut s’expliquer au travers de cette symbiose entre tous ces ingrédients. Après, c’est le lectorat qui décide. On se dit parfois que telle histoire va marcher, et puis les ventes démontrent le contraire. Et inversement. Il existe quantité de paramètres qui entrent en jeu. Concernant Les Chasseurs d’écume, c’est un dosage habile entre ce personnage auquel on peut s’identifier, le contexte social et la mer. C’est une série qui a bien démarré et qui continue à bien marcher.

En effet. Et d’ailleurs, à la lecture de cette série, j’ai de suite pensé aux séries télévisées Entre terre et mer et Le Champ Dolent, le roman de la Terre, deux sagas bretonnes toutes deux réalisées par Hervé Baslé.

Oui. Entre terre et mer a d’ailleurs été adapté en bande dessinée chez Soleil je crois, même si cela n’a pas marché comme ils l’espéraient. Il existe pas mal de livres qui se servent du terroir de la Bretagne pour raconter des histoires des fois toutes simples et ordinaires. Mais il y a un autre élément important, et je m’en rends compte à chaque fois que je séjourne en Bretagne, c’est que, chez vous, les gens lisent énormément. Alors que chez nous, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce n’est pas tellement le cas. Et chez vous, il y a un gros lectorat qui se montre qui plus est intéressé et investi. Il devient dès lors possible de partager avec les lecteurs certaines expériences de lecture. Ceux-ci nous font savoir les raisons pour lesquelles ils ont aimé tel passage ou tel autre. Mais on ne vend pas qu’en Bretagne, et il y a d’autres librairies en France où la série marche bien aussi. Mais il est vrai que réussir à attraper des lecteurs bretons et les fidéliser, ce n’est pas négligeable pour un éditeur. Cela favorise le démarrage, et pour un éditeur, cela est rassurant de voir une série qui démarre bien, surtout par les temps qui courent… Et pour nous, le pari est gagné, puisqu’on peut travailler sereinement. En revanche, si le premier tome démarre moyennement, après, c’est plus compliqué… Mais ce n’est pas le cas ici. Tant mieux !

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Les Chasseurs d’écume – Tome 1 : 1901, premières sardines — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2011 — © François Debois 2011 — © Serge Fino 2011

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Les Chasseurs d’écume – Tome 2 : 1901, les maîtresses du quai — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2012 — © François Debois 2012 — © Serge Fino 2012

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Les Chasseurs d’écume – Tome 3 : 1913, le patron de pêche — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2013 — © François Debois 2013 — © Serge Fino 2013

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Les Chasseurs d’écume – Tome 4 : 1920, la revanche des chevaliers de fer blanc — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2014 — © François Debois 2014 — © Serge Fino 2014

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Les Chasseurs d’écume – Tome 5 : 1934, le crâne de la plage — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2015 — © François Debois 2015 — © Serge Fino 2015

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Les Chasseurs d’écume – Tome 6 : 1939, les sardines sous le contrôle de la Gast — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2016 — © François Debois 2016 — © Serge Fino 2016

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Les Chasseurs d’écume – Tome 7 : 1946, la guerre de la Bolinche — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2017 — © François Debois 2017 — © Serge Fino 2017

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Les Chasseurs d’écume – Tome 8 : 1960, ne pas perdre un homme — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2018 — © François Debois 2018 — © Serge Fino 2018

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Les Maîtres Saintiers – Tome 1 : À l’accord parfait, 1788 — Laurent-Frédéric Bollée — Serge Fino — © Éditions Glénat 2015 — © Laurent-Frédéric Bollée 2015 — © Serge Fino 2015

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Les Maîtres Saintiers – Tome 2 : Les Sanglots de plomb, 1815 — Laurent-Frédéric Bollée — Serge Fino — © Éditions Glénat 2016 — © Laurent-Frédéric Bollée 2016 — © Serge Fino 2016

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Les Maîtres Saintiers – Tome 3 : Bénie entre toutes les femmes, 1884 — Laurent-Frédéric Bollée — Serge Fino — © Éditions Glénat 2017 — © Laurent-Frédéric Bollée 2017 — © Serge Fino 2017

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Les Maîtres Saintiers – Tome 4 : Une vie pour une vie — Laurent-Frédéric Bollée — Serge Fino — © Éditions Glénat 2018 — © Laurent-Frédéric Bollée 2018 — © Serge Fino 2018

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Dieppe — Collectif — Serge Fino — © Éditions Petit à Petit 2018 — © Les Auteurs 2018 — © Serge Fino 2018

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L’Or des marées – Tome 1 : Les Moissonneurs de la mer — François Debois — Serge Fino — © Éditions Glénat 2019 — © Laurent-Frédéric Bollée 2019 — © Serge Fino 2019

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Seul au monde – Tome 1 : Chanteloube — Serge Fino — Sébastien Destremau — © Éditions Glénat 2019 — © Serge Fino 2019 — © Sébastien Destremau 2017

Je voulais te parler d’une autre série que tu as réalisée, outre Les Ailes du Phaéton, c’est Starblood. Peux-tu nous en dire plus ?

Oui… [dubitatif]. Ce n’est pas que je regrette, mais ce n’était pas mon truc. Et puis à l’époque, chez Soleil, il n’y avait pas de structure qui cernait les projets afin de voir ceux qui pouvaient marcher ou pas. Il n’y avait pas de comité de lecture comme il pouvait y en avoir chez Glénat. Aux éditions Soleil, c’était un « bordel sympathique ». Moi, j’aime quand c’est carré. J’aime retrouver un directeur éditorial, un directeur artistique, un attaché de presse, un juriste. Me concernant, en tout cas, une structure bien pensée me convient davantage. Starblood est une série qui a bien fonctionné. J’en ai créé d’autres qui ont peut-être bien moins marché, mais cela ne m’a pas empêché de toujours travailler sérieusement. La science-fiction, ce n’est pas forcément ma tasse de thé. J’aime bien me servir de supports existants, tout comme effectuer un travail de documentation. Et c’est là un aspect de mon travail qui me plaît. Or, concernant la SF et la Fantasy, il n’y a pas de recherches possibles, puisque, par principe, ce sont des univers qui n’existent pas. Et comme je n’ai pas un imaginaire très puissant, il faut bien que je m’appuie sur des objets existants. Et faire des récits comme Les Chasseurs d’écume me convient parfaitement !

Tu travailles aujourd’hui sur un nouveau projet. Peux-tu nous en parler ?

Oui. En fait, on a toujours une longueur d’avance. Je travaille sur le tome 8 de Chasseurs d’écume et cet opus sera le dernier. Il me fallait deux projets, étant donné que je fais deux albums dans l’année. Un projet que je vais faire seul : scénario, dessin, couleur, lequel projet est aussi adapté d’un bouquin. Je ne peux pas en dire davantage pour l’instant, dans la mesure où l’éditeur du livre doit d’abord répondre sur le rachat de droits et sur les modalités de ces derniers. Le contrat n’étant pas encore signé, je ne peux pas non plus signer le mien avec Glénat. Je peux en revanche vous dire qu’il s’agit encore d’une histoire de bateaux et de mer. [NDLR Entre le moment de cet entretien et la parution en ligne de ce dernier, il s’est écoulé quelque temps… Serge Fino fait ici référence de Seul au monde, dont le tome 1 est paru et dont le tome 2 paraitra en octobre 2020.] Encore la mer, me direz-vous ? Je suis signe d’eau — Poisson — et suis né à Toulon. Ce sont là peut-être les raisons à chercher pour rendre compte de mon amour du milieu marin. Le second projet vise quant à lui à remplacer Les Chasseurs d’écume. Il s’inscrit un peu dans la même veine, lui aussi adapté d’un roman qui se déroule en Bretagne. C’est aussi une saga, dont le cadre est toutefois étendu, puisque le rayon d’action se déploie du Finistère Nord au Morbihan. Pour l’histoire, on en est tout juste à l’ébauche. On est tombé d’accord sur le fait d’adapter cette histoire avec Christian Debois, puisque c’est encore avec lui que je travaille. Il est en train de faire le pitch pour le proposer justement au comité de lecture de Glénat, afin de voir si celui-ci estime viable notre projet. Et puis, en matière de confort de travail, je me sens bien chez Glénat. C’est un éditeur que j’aime beaucoup et qui fait très bien son boulot. C’est par conséquent à ce dernier que je propose en priorité mes projets. Et la saga Les Chasseurs d’écume est le genre de réussite qu’ils savent bien vendre. Car la seule vérité, c’est vendre. Au regard du temps investi pour faire de beaux albums, si l’on n’en vend que mille cinq cents, il y a peu de chances qu’on aille jusqu’au bout d’une série. Il faut étudier tout cela.

D’après ce que j’ai lu, tu es autodidacte. Est-ce pour toi un frein ou un atout pour réaliser une bande dessinée ? Quelles sont les difficultés éventuelles rencontrées au niveau du dessin ou de la mise en scène ?

Cela constitue plutôt un frein. Quand je vois le premier album que j’ai fait… Aujourd’hui, je ne peux plus le regarder : je n’y vois que des défauts ! Défauts graphiques, narratifs… Je ne connaissais pas alors les codes à appliquer, c’était catastrophique… Si en revanche j’avais fait une école ou un stage de bande dessinée, j’aurais appris tout cela. Mais j’ai appris sur le tas. J’ai eu toutefois la chance chez Soleil de bénéficier de projets que l’on me proposait, quand bien même tous les albums ne marchaient pas. Cela m’a permis de progresser en travaillant avec des personnes qui m’ont appris des choses, notamment Éric Summer, réalisateur de cinéma et de télévision, avec lequel j’ai fait trois albums. J’ai davantage appris en trois années avec Éric Summer qu’en faisant trois années d’études dans une école. Il m’a expliqué les codes, les règles, les cadrages. Parfois, je les connaissais, d’autres fois, non. Après, c’est du travail. Il faut toujours apprendre. C’est un métier pour lequel on ne peut pas se permettre de stagner : il faut toujours se remettre en cause, toujours apprendre pour prétendre progresser. On a également la chance d’évoluer dans un petit milieu, celui de la bande dessinée, où l’on échange beaucoup sur les méthodes de travail, sur le matériel, la technique. J’essaie à mon tour aussi de faire profiter de mon expérience aux autres, aux jeunes auteurs, ayant déjà plus de vingt ans de métier…

Quels sont les auteurs qui t’ont influencé ?

Les influences, c’était plutôt au début. Il y a, il est vrai, des gens dont j’admire le travail. Hermann en fait partie. Il y a aussi des jeunes qui « déboulent » comme ça, des auteurs que je ne connais pas. Cet après-midi, par exemple, j’ai vu les premières planches de l’adaptation de l’univers de Pagnol, aux éditions Grand Angle. C’est hallucinant ! Il s’agit sauf erreur de ma part du dessinateur Morgann Tanco. Mais je crois que ma référence reste Hermann, lequel s’est toujours remis en question en vue de toujours progresser. Il n’est jamais resté sur ses acquis et a, de ce fait, défriché des terrains inconnus.

Quel regard portes-tu sur le monde éditorial de la bande dessinée ?

C’est devenu un peu plus compliqué aujourd’hui que lorsque j’ai débuté en 1995. D’une part, parce que c’est la crise, et dans la hiérarchie des loisirs, ce sont d’abord les jeux vidéo, ensuite les DVD et Blu-ray, puis les bouquins qui ont la faveur du public. Et enfin la bande dessinée, laquelle passe en dernier. Mais on a la chance qu’en France la bande dessinée soit l’héritière d’une tradition franco-belge. Il existe de ce fait un noyau important de lecteurs, d’inconditionnels qui achètent, ce qui nous permet de vivre de notre passion. En tout cas, me concernant, cela m’assure un confort. Aujourd’hui, les ventes moyennes pour un premier tome s’établissent aux alentours de mille cinq cents exemplaires. Et autant pour un auteur que pour un éditeur, ce n’est pas rentable du tout. Alors, quand on en vend trente mille, on est plutôt content ! Mais curieusement, en ce qui me concerne, je n’ai jamais eu autant de demandes de boulots, de propositions que depuis mon passage d’univers fantastiques — heroic fantasy et science-fiction — à ceux, plus contemporains. Sans doute, ne sommes-nous pas si nombreux à dessiner ce type d’univers familiers. Du coup, l’éditeur pense à nous. J’ai l’embarras du choix, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. De temps en temps arrivent de jeunes auteurs techniquement au point. Et c’est stupéfiant de voir la qualité de leur maîtrise technique ! Et pourtant, pour eux, c’est difficile. Si un premier tome ne marche pas, l’éditeur leur mettra une pression négative. Ils ne pourront alors travailler sereinement. Dans mon cas, le premier tome de Chasseurs d’écume a été tiré à seize mille exemplaires en octobre. Puis un second tirage en janvier. L’éditeur m’a conseillé de prévoir du temps pour la suite. On ne travaille pas dès lors de la même façon. À mon sens, ce qui compte, c’est la durée. Je privilégie personnellement le long terme. En revanche, concernant les publications actuelles, l’offre est beaucoup plus riche. La variété des sujets abordés est pléthorique. À l’époque des illustrés, avant ma naissance, les publications ne s’adressaient qu’aux enfants. Aujourd’hui, le lecteur peut profiter de récits très pointus, aux scénarios très efficaces. Je pense par exemple au cycle Le Triangle Secret, dont le scénariste Didier Convard nous offre une histoire vraiment très pointue. On peut également citer les romans graphiques ou les mangas et leur culture différente de la nôtre. Quand les histoires sortent de l’ordinaire, cela m’intéresse. Je trouve malgré tout que la portée de la bande dessinée demeure trop sous-estimée dans les médias. C’est dommage…

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