Jérôme Noirez
Un jour de septembre, notre petite équipée brestoise décida de s’échapper en terres lyonnaises afin d’y rencontrer un certain Mitton, Jean-Yves de son prénom. Nous comptions importuner l’intéressé, le temps de quelques questions, mais celui-ci nous accueilli avec un tel enthousiasme que nous prolongeâmes cet entretien au-delà du raisonnable, pour notre plus grand plaisir bien entendu. Retour sur la longue et prolifique carrière de Mitton, à qui nous devons les collaborations sur Pim Pam Poum, Popoff, Blek le Roc, la création des super-héros Mikros, Epsilon ou Kronos sans omettre les séries L’Archer Blanc, Vae Victis !, Les Survivants de l’Atlantique, Chroniques Barbares ou encore Messalina. Et l’aventure de se poursuivre avec la parution du premier tome de la nouvelle série Alwilda paru chez Original Watts en 2017 en attendant la parution du deuxième ces prochains jours. Merci à vous à votre famille, Monsieur Mitton, pour votre accueil des plus chaleureux et ces moments privilégiés passés en votre compagnie. Nos remerciements également aux éditions Original Watts pour leur mise à disponibilité des illustrations issues de leur catalogue.

Rencontre
avec Jean-Yves Mitton

Entretien réalisé par Lionel Gibert et Jean-Marc Saliou
Filmé par Frank Brénugat et monté par Alice Chabot

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Entretien intégral avec Jean-Yves Mitton (PDF)

lefictionaute : Lyonnais d’adoption, vous êtes né à Toulouse. Comment s’est passée votre adaptation ?

Jean-Yves Mitton : Alors… Toulouse… Je suis né en 45 juste après la guerre. La BD n’était pas encore là… Les premières BD américaines sont arrivées. Moi je n’étais pas vraiment dans le coup. Si ! Je lisais Tarzan, Zorro et toutes les premières BD qui arrivaient des États-Unis comme Mickey. Donc j‘avais cinq ou six ans dans les années cinquante, et jusqu’à l’âge de dix ans, je ne m’intéressais pas vraiment à ce domaine. C’est en arrivant à Lyon en 58 que j’ai découvert les BD un peu plus adultes, notamment celles de Felix Molinari, un Lyonnais qui dessinait dans Gary. J’admirais ses dessins et je l’ai toujours admiré jusqu’à son décès. C’était un grand artiste qui travaillait en noir et blanc, à la méthode américaine. Comment s’appelait ce grand dessinateur d’aviation ? Milton Caniff, voilà ! Il était très influencé par le style de Milton Caniff qui préfigurait déjà les premiers super-héros encore absents, exception faite des premiers Superman. J’ai fait une année de Beaux-Arts à Lyon en 1960. J’avais donc quinze ans quand j’ai appris la base essentielle du graphisme, la géométrie dans l’espace, l’anatomie humaine ou encore l’art déco. Pas facile de dessiner une bouteille sur une table, une chaise posée au sol, une perspective. Mais ce sont des bases essentielles. Comme dans tous les métiers, on retrouve cette base d’apprentissage. Et quand je suis sorti en 61 après les vacances d’été, je n’ai pas voulu retourner aux Beaux-arts : j’ai voulu trouver tout de suite un métier. C’était le plein emploi à l’époque. Il y avait quatre éditeurs à Lyon. J’ai été pris par le deuxième : les éditions Lug. Puis j’ai travaillé pour eux pendant un peu plus de vingt-cinq ans alors que j’étais rentré chez eux pour trois mois d’apprentissage à l’atelier !

Vous êtes ensuite passé à la bande dessinée humoristique avec Pim Pam Poum, Plume ou encore Popof puis à la bande dessinée réaliste avec notamment Blek le Roc. Comment passe-t-on d’un style à l’autre ?

Ce passage de l’un à l’autre s’est fait notamment à la demande de l’éditeur. Étant le patron, il gère sa maison : il sait ce qui se vend, ce qui se vend moins bien et ce qui ne se vend pas. Arrive un moment où se joue le drame de la « page blanche ». Vous avez cité PopoffPim Pam Poum, Blek le Roc, à savoir des publications mensuelles. Comme la plupart de ces productions venaient de l’extérieur — Pim Pam Poum des États-Unis, Popoff et Blek d’Italie —, il arrivait parfois que surviennent des arrêts dans leur production. Il fallait dès lors remplir les vides pour répondre aux contraintes du périodique, sinon ce dernier était foutu. Ou alors il fallait mettre à la place des fonds de tiroirs qui avaient peu d’intérêt : des trucs thématiques, un peu pédagogiques comme une courte étude sur le fonctionnement d’un barrage par exemple. Et là, on m’a demandé de remplir des pages. Mes premières pages ont été Pim Pam Poum. Je me rappelle avoir fait douze planches de Pim Pam Poum, en tirant la langue, en copiant et là pour le coup, j’avais fait mes couleurs ! Le patron m’a dit : « C’est bon ! Allez ! Que voulez-vous faire maintenant ? Vous voulez vous trouver un petit personnage ? » Allez ! J’ai fait Popoff, le compagnon de Pougatchoff qui venait d’Italie et d’autres personnages sur lesquels je vais passer et qui ont presque disparu aujourd’hui. Et puis après est arrivé Blek le Roc. J’ai commencé à faire mes premiers Blek vers 1970. J’ai eu une interruption militaire en Afrique qui a duré dix-huit mois et au retour on m’a proposé de tirer la langue sur Blek le Roc. J’ai alors commencé à faire mes premières planches à la maison, en rentrant le soir. Je venais de l’atelier qui est au centre de Lyon. On habitait à Bron dans la banlieue. Je prenais mon vélo, je faisais douze kilomètres aller, douze kilomètres retour. Je rentrais vite à la maison pour dessiner, dessiner. Je livrais mes premières livraisons. Il m’a d’abord fallu copier ce que faisaient les Italiens. Ensuite, je n’ai plus copié, c’était enregistré. Je voyais la méthode, ce qu’il fallait faire et ne pas faire. Bled a duré jusqu’en 1986.

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Blek le Roc – Les Origines de Roddy – © Éditions SGS IF Edizioni – © Éditions Original Watts, 2015 – © Jean-Yves Mitton, 2015

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Blek le Roc – Les Origines d’Occultis – Intégrale Tome 2 – © Éditions SGS IF Edizioni – © Éditions Original Watts, 2016 – © Jean-Yves Mitton, 2016

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Blek le Roc – Les Origines d’Occultis – Intégrale Tome 2 – © Éditions SGS IF Edizioni – © Éditions Original Watts, 2016 – © Jean-Yves Mitton, 2016

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Blek le Roc – Les Origines de Blek – Intégrale Tome 1 – Ex Libris – © Éditions SGS IF Edizioni – © Éditions Original Watts, 2016 – © Jean-Yves Mitton, 2016

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Blek le Roc – Poster de Kiwi # 238 – La Trahison de Roddy – Couverture originale Format A4 – Encre de chine – © Éditions Lug, 1975 – © Jean-Yves Mitton, 2015

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Blek le Roc – Couverture de Blek # 266 – Couverture originale Format A4 – Encre de chine – © Éditions Lug, 1974 – © Jean-Yves Mitton, 1974

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Tex – Couverture originale de Rodeo # 282 – Encre de chine – © Éditions Lug, 1975 – © Jean-Yves Mitton, 1975

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Les Aventures de l’Archer Blanc, Tome 5/6 – © Éditions Original Watts – © Corteggiani, Jean-Yves Mitton

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Les Aventures de l’Archer Blanc, Tome 6/6 – © Éditions Original Watts – © Corteggiani, Jean-Yves Mitton

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Epsilon – Enfer en Eden – Part. 1/3 – Tome 1/6 – © Éditions Original Watts, 2016 – © Jean-Yves Mitton, 2016

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Epsilon – Évasion ou le secret d’Eden – Part. 3/3 – Tome 6/6 – © Éditions Original Watts, 2016 – © Jean-Yves Mitton, 2016

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Kronos – Le Naufragé de l’espace-temps – Intégrale – Couverture – © Éditions Original Watts, 2015 – © Jean-Yves Mitton, 2015

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Kronos – Le Naufragé de l’espace-temps – Intégrale – Sérigraphie A3 – © Éditions Original Watts, 2015 – © Jean-Yves Mitton, 2015

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Kronos – Le Naufragé de l’espace-temps – Intégrale – Page 6 – © Éditions Original Watts, 2015 – © Jean-Yves Mitton, 2015

En France, Blek le Roc est très populaire. Les gens qui ne sont pas férus de bandes dessinées connaissent néanmoins ce personnage. Ils disent : « Ah oui, ce trappeur qui se bat contre les Anglais ! » Mais vous lui avez donné un style plutôt français…

En tout cas, plus historique. Au début de sa création, il répond davantage aux canons italiens, puisque nos amis transalpins en sont les créateurs, encore aujourd’hui. Il y a d’ailleurs à ce propos toujours un problème de copyright. Les aventures de Blek se passent dans le monde des trappeurs aux frontières indéfinies, oscillant entre un Canada et des États-Unis aux frontières incertaines. Les lieux concernent les forêts du Nord-Est, la région de Québec, de Boston. Cependant, les protagonistes ne rencontrent aucun personnage historique. Or l’histoire se passe pendant la révolution américaine, lors de l’indépendance de 1776. Des personnes célèbres comme Washington, Cornwallis ou encore Benjamin Franklin y ont participé. Les Lumières de la France ont également investi cette histoire américaine au travers des figures prérévolutionnaires de Voltaire, Rousseau ou encore Diderot. À un moment, je me suis dit pourquoi ne pas impliquer ce héros dans l’Histoire avec un grand H ? Si bien qu’on fait venir celui-ci à un moment en Angleterre, puis en France. Il va rencontrer dans les salons parisiens les futurs révolutionnaires de notre révolution nationale de 1789. Et là, il fourbit ses armes sur la liberté, la République et le combat contre l’Angleterre. Plus impliqué sur ces thématiques, il fait la rencontre de Washington. Il ira même jusqu’à sauver Benjamin Franklin de la noyade ! Voilà notre héros prenant corps. Cerise sur le gâteau — et avec l’autorisation des Italiens — je lui fais voir le jour à Saint-Malo. Yann le Roc ! Je ne pouvais pas mieux tomber qu’avec vous ! [NDRL : Vos serviteurs sont les heureux habitants de Brest même !]

Que vous a apporté la reprise des super-héros de Marvel, comme Spiderman, Les Quatre Fantastiques ou encore Le Surfer d’Argent ?

J’étais en plein dans les Blek. C’était en 1980, au siècle dernier (sourires) et comme pour la série Blek, l’Italie travaille avec de nombreuses importations venues des USA. Le premier super-héros que l’on a vu arriver, c’était Spiderman, dessiné par Steve Ditko je vous le rappelle. C’était assez moyen, mais impressionnant puisque la série était en couleurs. C’était la première fois qu’on éditait en couleurs des histoires réalistes. Les onomatopées étaient autorisées ainsi que certaines violences, que nous ne pouvions pas nous permettre de réaliser. C’était par conséquent attirant. Après la traduction, il fallait là aussi retoucher et encore retoucher. La censure était encore là, mais bien moindre. Le Surfer d’Argent est arrivé et alors là j’ai été épaté ! Les dessins de John Buscema sortaient totalement de ce qu’on faisait auparavant. Cela a constitué une vraie révolution ! Vinrent ensuite Les Quatre Fantastiques. C’étaient là les trois premières séries qui sont arrivées en 1967-68. Le temps s’est écoulé et moi je continuais à faire mes Blek. Mais je commençais à faire des couvertures pour Strange, Titans et d’autres. Il s’agissait simplement de couvertures, mais c’était une bonne préparation, un bon tremplin aux personnages qui allaient paraître à l’intérieur. Et là, j’ai fait 400-500 couvertures inspirées de Marvel. Pourquoi ne prenait-on pas tout bonnement la plupart des couvertures de Marvel, me diriez-vous ? On reconnaissait celles-ci au fameux trade-mark « TM » apposé dans un petit coin. Tout simplement dans la mesure où les couvertures étaient soit bourrées de publicités, soit un peu trop violentes, soit encore parce qu’elles ne correspondaient pas à l’intérieur de ce que nous allions faire paraître. On retrouvait tellement de publicités dans ces couvertures américaines que ces dernières ressemblaient à des panneaux de flipper avec leurs éclats partout et leur texte — en anglais évidemment ! Alors, autant refaire les couvertures. On m’a confié ce travail pour le noir et blanc, puis à Jean Frisano qui les coloriait à l’aquarelle en Italie. Puis un jour, Marcel Navarro m’a dit : « Bon, il faut faire quelque chose. On a des propositions de la part des Américains, de Stan Lee — lequel était le directeur artistique des éditions Marvel. Allez, on va tenter quelque chose. » Et avec l’aide de Marcel Navarro et de ma femme — c’est elle qui a trouvé l’idée des personnages miniatures avant Ant-Man —, on a créé Mikros qui signifie « petit » en grec. Trois personnages, nés aux États-Unis, vivant à l’université et approchés par des extraterrestres qui vont s’en servir comme cobayes. Ces trois jeunes gens vont être réduits à la taille d’insectes et dotés des pouvoirs idoines. Pourquoi pas ? Ainsi un évier qui se vide devient un tourbillon ou une tempête. Une voiture miniature Dinky Toy devient un réel danger, etc. Mikros d’un côté, Saltarella de l’autre. Saltarella signifiant en italien « sauterelle » — puisqu’il nous fallait trouver un nom très « bondissant »… Et enfin Big Crabb, lequel va être lui transformé en crabe. Mais ce dernier a gardé son gant de joueur de baseball. Les extraterrestres ne se sont pas gênés puisqu’ils lui ont mis une pince de crabe à la place ! On lui a rajouté le fameux « Stars and Straps » américain sur sa cuirasse. Ça a bien marché tout de suite, à tel point que j’ai fait soixante-quatorze épisodes. L’aventure a duré pas mal de temps avec quelques interventions d’André Amouriq, sur deux épisodes, me semble-t-il. Avec mes soixante-douze épisodes parus dans un premier temps dans Mustang puis dans Titans, j’avais le pied à l’étrier ! Ce qui m’a permis de créer un peu plus tard Cosmo, Epsilon, Kronos, et aussi Demain… Les Monstres, le seul album sorti aux éditions Lug. C’était d’ailleurs là mon dernier travail pour les éditions Lug.

Vous êtes également intervenu sur Photonyk dessiné par Ciro Tota.

Il y a eu Photonyk. Ciro Tota était toujours en retard ! Si tu m’entends, Ciro, tu le sais…

Un merveilleux dessinateur…

Formidable ! Et quel ami ! Parmi les plus grands amis, un frère. Plus jeune que moi. Je l’appelais quelquefois « petit frère ». Mais je bénissais son retard ! Cela me permettait ainsi par l’intermédiaire de Marcel Navarro de dessiner des épisodes de Photonyk… J’en ai dessiné onze ou douze. Avec la bénédiction de Ciro Tota qui me disait : « Allez, vas-y ! Fais ce que tu veux ! Évite juste de ne pas trahir mes personnages ! » Des personnages qui étaient formidables aussi, notamment celui du petit bossu. Taddeus Tenterhok, Docteur Ziegel et Tom Pouce sont autant de personnages attachants. On retrouvait un peu le trio de Blek. Ce côté blekien toujours…

Lorsque vous dessiniez des super-héros comme Mikros ou Photonyk, pensiez-vous à des dessinateurs américains comme Jack Kirby ou John Buscema ?

Oui. Kirby, pas tellement, mais Buscema, énormément. J’ai d’ailleurs fait deux épisodes du Surfer en copiant trait pour trait le style de Buscema.

Cela vous a-t-il aidé pour la suite ?

Cette démarche m’a aidé pour les compositions, pour la manière de poser les personnages dans un cadre, mais également pour ce côté voluptueux dans le trait.

Je pense aussi à Burne Hogarth, le dessinateur de Tarzan.

Hogarth, c’est la même filiation. Hogarth et Buscema sont de la même école. À ceci près que Buscema a moins connu la couleur Benday, ce qui n’était pas le cas de Hogarth, lequel maîtrisait très bien la technique, notamment sur les grands formats. Concernant le noir et blanc, ils effectuaient la même qualité de travail. Joe Kubert, qui dessinait des histoires de guerres a également été inspiré par ces deux grands auteurs. C’était la même école. Je me suis inspiré de Kubert et parfois même de Caniff. Je fus sans conteste et totalement inspiré par les auteurs américains. Et puis petit à petit, j’ai commencé à dériver en faisant du Mitton ! Je crois que nous avons tous au départ une influence, c’est là chose normale.

Je voulais revenir sur les super-héros. Quelle en est votre définition ?

(Rires) Écoutez : entre nous, il y a quelque chose de ridicule, non ? D’abord, on sait très bien que les super-pouvoirs, ça n’existe pas. Je préfère en ce sens le masque de Zorro, parce que sous le masque, Zorro est toujours là, avec ses points faibles — c’est pour cette raison d’ailleurs qu’il ne sort que la nuit pour rendre justice. Mes préférences vont à l’Homme-Araignée, Spiderman. Si jamais la fac brûle, ce dernier est obligé de foncer aux toilettes pour enfiler son costume — et l’exercice doit relever de la performance au passage ! Lui au moins est obligé de se déguiser. Ce qui m’énerve en revanche, ce sont les super-héros ou super-héroïnes qui débarquent déjà tout déguisés. Et que dire concernant ce côté slip sur les collants ? Alors ça, ça m’a toujours énervé, à un point ! Au début, j’ai dessiné les collants par nécessité, mais en essayant de m’en écarter quelque peu. Mikros en revanche n’a pas de slip : son collant, c’est sa peau. Ce sont les insectes qui lui ont donné cette peau. Mais on sombre tout de même dans le ridicule, dans la mesure où rien de tout cela n’est vrai ! Il faut être anglo-saxon pour y croire… Les super-héros sont sacrés pour les Américains : on n’y touche pas. On trouve toujours un type en slip sur un gratte-ciel prêt à sauver le président, quel qu’il soit d’ailleurs… Pour nous autres Européens, esprits cartésiens, il y a quelque chose qui ne colle pas. Il a fallu toute la puissance commerciale des Américains — le matraquage, disons-le — pour que le jeune public y adhère. C’est toutefois encore pire dans le manga ! Chez les Asiatiques, le super-héros arrive, sans aucune explication… Il rend justice et repart. D’où vient-il, qui est-il ? Mystère… Les Américains s’appliquent au moins parfois à lui donner une origine, une raison. Ce que j’aime chez les super-héros, c’est le défaut de leur cuirasse, leur talon d’Achille. S’il n’existe aucun défaut dans la cuirasse, ce n’est pas marrant. Il faut qu’il revienne parfois à son état naturel pour nous faire ressortir sa fragilité d’homme. Il s’agit d’exposer toute son humanité en le montrant mal rasé, en train de casser la croûte, de boire, de dormir ou bien d’avoir des besoins sexuels… De vivre tout simplement. Ce qui est intéressant chez les super-héros, c’est justement tout ce qui n’est pas super-héros.

Cela explique en partie votre basculement dans la BD franco-belge où les super-héros règnent par leur absence. La rencontre avec François Corteggiani n’y est pas anodine non plus.

En effet. C’était la fin des éditions Lug, vers 1988-89. Je reçois un coup de téléphone d’une personne avec l’accent d’Avignon — bien qu’habitant Paris à l’époque, Corteggiani est originaire du Midi. Il me dit : « Chez Mickey, ils sont en train de chercher un super-héros, est-ce que ça t’intéresse ? » Je ne connaissais pas Corteggiani, sinon de réputation. Mickey ? Whaou ! Six cent mille par mois ! — Je ne parle pas du salaire, mais du tirage… Deux jours après, il me téléphone pour aller chez Vaillantet Piftoujours à Paris. Deux contrats dans la même semaine ! Évidemment, j’ai tout de suite accepté. J’ai participé à un petit concours chez Pif, pour lequel nous étions trois ou quatre en compétition. Je l’ai remporté. Il s’agissait de Noël et Marie, un récit semi-humoristique ou semi-réaliste contant les aventures de deux enfants sous la Révolution. Chez Mickey, c’est L’Archer Blanc qui a bien fonctionné. Ce dernier titre reparait en ce moment chez Original Watts, avec l’accord de Corteggiani. On ne pensait pas remettre cela sur le tapis trente ans après ! Il fallait trouver un super-héros pour Mickey et c’est Corteggiani qui a trouvé l’idée. Une sorte de Robin des Bois qui n’a pas spécialement de super-pouvoirs, mais qui a un arc extraordinaire avec lequel il peut tirer dans les coins et faire des tas d’autres choses. L’aventure se déroule dans une cité post-atomique, envahie par des lianes. Un univers intéressant, fantastique, avec un super-méchant qui était bien trouvé : Klovos, coupé au niveau de la taille. Ce dernier vit sur une soucoupe, volant comme ça avec un œil unique, un peu comme Brejnev à l’époque… Le récit a bien marché chez Mickey, en témoignent les douze épisodes parus dans plusieurs pays d’Europe d’ailleurs. L’Archer Blanc a été mon dernier travail pour la revue Mickey. Entre temps, j’ai rencontré Mourad Boudjellal aux éditions Soleil, lequel m’a proposé Vae Victis ! avec Georges Ramaïoli. D’un dessin de super-héros, je suis passé à un dessin réaliste, ce qui n’a pas été très difficile. Il s’agissait de ne plus tomber dans la fable et l’affabulation et d’arrêter rayons cosmiques et autres artifices. Là, c’était des livres d’histoire.

Vae Victis ! se déroule durant la Guerre des Gaules. Mettez-vous davantage l’accent sur les personnages ou sur la dimension historique ?

Historiques entre guillemets, ces récits se déroulent pendant un épisode de notre histoire humaine. J’en ai conçu plusieurs avec François Corteggiani, notamment ceux axés sur la mafia italo-américaine, à savoir De Silence et de Sang dont j’ai réalisé sept albums, les trois premiers ayant été le fait de Marc Malès. Il y avait eu un problème avec Jacques Glénat et Corteggiani m’a proposé de faire la suite. Décidément, je dois beaucoup à François Corteggiani ! C’était à peu près à la même époque que Pif et Mickey. Je me suis alors engagé dans le dessin réaliste. Les histoires ont été construites et documentées par le regretté Charlier.

Jusqu’à la mort de Falcone.

Oui, jusqu’à la mort de Falcone, en 1960. Nous ne sommes pas très loin du siècle. Et il s’en est passé des choses : les locomotives, les avions, les tramways… J’avais toute la documentation ! À l’époque, je me servais beaucoup du rétroprojecteur. J’arrêtais celui-ci sur une image d’un tramway de Chicago par exemple. Je rajoutais par la suite des personnages et ainsi de suite. Je travaillais sur les gratte–ciels de New York, de Chicago des années 1925. Ne faire aucune bavure, aucune approximation. Et cette démarche a fonctionné ! Le récit était passionnant. Les personnages d’Al Capone, de Lucky Luciano et les autres étant passés à la postérité, on les connaît tous. Les récits étaient très sanglants, très violents : « Tchac, Bam Bam Bam… » J’ai eu le temps de parfaire mes classiques concernant l’histoire de la mafia… Cet épisode a bien marché et de là j’ai quitté Corteggiani — si on peut dire, étant donné que je ne l’ai jamais vraiment quitté — pour travailler chez Soleil en 1989, avec Georges Ramaïoli, dit Rocca. C’est Mourad Boudjellal qui nous a présentés l’un à l’autre. Mais je voyais bien que Georges Ramaïoli n’osait pas, sachant que j’étais pris par un boulot fou. Il m’arrivait en effet de dessiner et d’écrire trois récits de front : une semaine, tel récit, une autre semaine, tel autre, etc. Mais enfin, ça marchait et j’arrivais à produire trois ou quatre albums par an. D’ailleurs, Vae Victis ! a duré quinze ans, alors qu’en même temps je faisais Chroniques Barbares et Quetzalcoalt. Vous voyez le tableau… Séries auxquelles il convient d’ajouter Les Survivants de l’Atlantique… Mourad nous a donc présentés, tandis que Ramaïoli était quelque peu dubitatif. « Oui, c’est l’histoire d’une jeune femme, l’époque de la Guerre des Gaules écrite par César… », me précise-t-il. Je lui répondis : « Mais, attends ! C’est intéressant ! Je connais bien mon histoire et cette période lointaine offre de fait une certaine latitude dans l’inventivité ! » On ne savait en effet presque rien des Gaulois ou du moins très peu de choses. J’ai cherché par la suite de la documentation sur Internet, mais très peu d’informations sont finalement présentes. Pas d’écrits disponibles, par ailleurs, étant donné que les Gaulois n’écrivaient pas. Il a fallu que César raconte ses récits dans son De Bellum Gallicum. On n’a pas suivi le De Bellum Gallium à la lettre, mais presque, notamment ses campagnes de 58 à 52 avant Jésus-Christ, autrement dit de l’arrivée de César au mont Beuvray pour arrêter les Helvètes jusqu’à Alésia en -52. Ces campagnes se déroulent tout de même sur six années et c’est une sacrée guerre ! Cela a été pour moi une plongée dans l’histoire et un retour à mes humanités.

Justement ! Nous souhaitions vous parler du rôle important de vos héroïnes, notamment celles des séries Vae Victis ! et Messalina. C’est vrai que Messaline se livre volontiers à quelques cabrioles…

Vous avez raison, oui. C’est une manière de me libérer quelque peu et de libérer — je l’espère aussi — les lecteurs. Je crois que la plupart des artistes ont voulu ou tenté de faire du porno ou alors de l’érotisme poussé. Où est la limite ? On la connaît : c’est celle de la définition du dictionnaire. Pornographie : « vue complaisante de l’acte sexuel. » Mais cela peut aller plus loin avec Messaline, puisqu’elle a énormément torturé et tué aussi. On lui comptabilise entre 1000 et 2000 victimes sur ses propres ordres, morts commises par la garde prétorienne qu’elle commandait. Il ne faut pas oublier que cette fille est devenue impératrice de Rome à l’âge de dix-neuf ans, en l’absence de son mari Claude, lequel était en campagne en Germanie et en Bretagne. Elle a nommé son seul amant connu, Silvius, chef des esclaves aux thermes du forum de Rome. Elle s’est autoproclamée impératrice et a gouverné pendant deux ans. Puis elle est morte à vingt-deux ou vingt-trois ans. Et en l’espace de trois ans de pouvoir, elle a comploté, tué et torturé. Elle est à l’origine des premiers pogroms contre les juifs et les chrétiens. En un mot, elle a massacré. Alors franchement, cela valait bien quelques pages… pour adultes très costauds. Il y a eu six albums qui ont bien marché et qui sont en cours de réédition chez Original Watts. Messalina, c’est du hard ! C’était à la demande de Delcourt, mais ces derniers ont trouvé que c’était trop costaud. Ils voulaient pourtant du porno ! Mais c’est quoi, un porno faible ?

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Mikros – Archives – Les Titans microscopiques – © Éditions Delcourt, 2013 – © Jean-Yves Mitton, 2013

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Mikros – Archives – Descente aux enfers – © Éditions Delcourt, 2014 – © Jean-Yves Mitton, 2014

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Mikros & Saltarella à Venise-Action – Cinquième et avant-dernier épisode de Voir Venise et mourir – Titans # 39, Avril 1982 – Planche originale – Encre de chine – Republié dans Mikros Archives, Tome 2 – © Éditions Delcourt, 2014 – © Jean-Yves Mitton, 1981

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Le Surfeur d’Argent – Couverture originale – Techniques mixtes – © Éditions Lug, 1998 – © Jean-Yves Mitton, 1973

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Le Surfeur d’Argent – Couverture originale de Nova # 5 – Planche originale 21 x 21 cm – Techniques mixtes – © Éditions Lug, 1978 – © Jean-Yves Mitton, 1978

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Spidey 2 – Planche originale 49 x 34 cm – Encre de chine – © Éditions Lug, 1979 – © Jean-Yves Mitton, 1979

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Spiderman – Poster de Strange # 110 – Planche originale – Encre de chine – © Éditions Lug, 1979 – © Jean-Yves Mitton, 1979/2015

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X-Men – Poster de Strange # 182 – Planche originale 50 x 32.5 cm – Techniques mixtes – © Éditions Lug, 1985 – © Jean-Yves Mitton, 1985

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Guerres Secrètes – Poster de Strange # 190 – Planche originale 53 x 42 cm – Encre de chine – © Éditions Lug, 1985 – © Jean-Yves Mitton, 1985

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Demain… Les Monstres – Planche originale – Encre de chine – © Éditions Semic, 1990 – © Jean-Yves Mitton, 1990

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Vae Victis ! – Intégrale I – Tomes 1 à 5 – Couverture – © Éditions Soleil, 2017 – © Rocca, 1991 – © Jean-Yves Mitton, 1991

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Vae Victis ! – Didius, le retour de l’infâme – Planche originale 16 – Encre de chine – © Éditions Soleil, 2011 – © Rocca, 2011 – © Jean-Yves Mitton

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Vae Victis ! – Guerrière – Illustration – Encre de chine – © Éditions Soleil – © Jean-Yves Mitton

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Vae Victis ! – Intégrale 5 Tomes 13 à 15 – Couverture originale – Encre de chine – © Éditions Soleil, 2006 – © Jean-Yves Mitton, 2006

Justement, parlez-nous d’Original Watts.

Fabrice Tellier et David Barnier ont créé cette maison d’édition. Ils ne vivent d’ailleurs pas très loin d’ici dans la région lyonnaise. Ils sont un jour venus me voir pour me proposer de rééditer toutes mes anciennes bandes dessinées de super-héros. Je leur ai confié tous mes originaux et nous partageons les bénéfices, ventes d’originaux et réimpressions. Ils s’occupent de tout. Je passe par eux pour les festivals et ils assurent toute la logistique. Ils rééditent tout exception faite des titres franco-belges. Nous avons encore des tas de projets ensemble. Ils sont juste for-mi-da-bles ! Toujours disponibles et passionnés ! Rien à voir en cela avec les gros éditeurs…

Concernant La Renaissance d’un héros, premier tome de la série Le Garde Républicain signée Thierry Mornet, vous y dépeignez une société au bord du chaos. L’avenir est-il aussi sombre que cela ?

Je vais vous raconter une anecdote, celle de l’histoire du Stade de France au moment des événements de novembre 2015. J’avais écrit bien avant ce drame une histoire similaire ! Le stade s’avère un endroit idéal pour y enfermer les personnes qui ne sont pas d’accord avec vous. Tous les régimes totalitaires ont utilisé les stades… Les Grecs, les Romains, Mussolini, Hitler ou encore Tito ont compris l’opportunité qu’offraient les stades. Pinochet et Staline également. Tous les grands totalitaires finalement. Et pour cause : c’est un lieu de concentration idéal. Regardez le Vel d’Hiv qui permit de rassembler les Juifs où les trains venaient les chercher pour les envoyer à Auschwitz. Le Vélodrome est un lieu fermé, facilement gardé. Des toilettes sont éventuellement à disposition et les gens sont là, tournant en rond dans l’attente de leur mort. Le stade, c’est le premier stade — c’est le cas de le dire — où l’on enferme avec commodité une foule d’individus, bien plus aisément que dans une caserne par exemple. Dans la région parisienne, s’il n’y avait pas eu le Vel d’Hiv, où les victimes auraient-elles été parquées ? Il y avait bien Drancy et ses nombreux immeubles, mais de telles structures sont plus difficiles à garder. Il aurait alors fallu les clôturer. Opération délicate. Les récents et tragiques événements qui se sont par ailleurs déroulés au stade de France ne m’étonnent absolument pas. Cela aurait pu être pire, bien pire. Et cela pourrait être bien pire dans le futur ! Vous réunissez 80 000 personnes dans un endroit fermé et vous faites péter une lessiveuse là-dedans… Vous rendez-vous compte ? Ce n’est guère du pessimisme ! J’avais déjà écrit le premier tome du Garde Républicain quand sont advenus les événements liés au Bataclan à Paris. Dans ce récit, un groupe totalitaire nommé « La Spirale » prend le pouvoir. La spirale a une signification qui n’est pas sans rappeler celle de la croix gammée d’une certaine manière… L’une comme l’autre sont circulaires. La spirale évoque l’idée dans le récit d’une force centrifuge qui s‘empare de Paris. Et ce groupe totalitaire attend le bon moment pour commettre son attentat, à savoir lors d’une Coupe du monde au Stade de France. Toute la police de Paris est concentrée autour du Stade, la population est installée devant sa télévision et les rues sont vides : c‘est un moment idéal pour un groupe facho de prendre le pouvoir ! L’histoire se déroule fort heureusement dans le futur. Pas le futur proche, mais pas lointain non plus…

Entre la science-fiction, le fantastique et la fantasy, lequel genre jouit de votre préférence ?

Moins l’heroic fantasy. Elle m’intéresse beaucoup moins dès lors qu’elle verse dans l’affabulation totale. On y chevauche des dragons, on y combat avec des épées magiques… C’est un monde qui m’interpelle moins, mais dont le succès est toujours présent malgré un léger recul aujourd’hui. Les éditions Soleil en ont fourni des tas, avec Arleston notamment… Des histoires de filles en cuirasses… Je préfère la science-fiction, puisque là on joue sur certaines vérités comme avec l’astrophysique. Et j’aime bien quand la science-fiction dépasse très légèrement la science d’aujourd’hui, quand la fiction se projette à l’horizon de dix ans ou vingt ans…

Un attachement tout particulier donc pour le registre de l’anticipation ?

Voilà ! L’anticipation, c’est marcher sur Mars par exemple. Ou bien se poser pour la première fois sur une météorite. C’est passionnant dans la mesure où il devient possible de fantasmer, mais toujours avec raison. J’appelle cela de la science-fiction « utile ». Les récits de science-fiction qui se situent en revanche dans des temps fort reculés relèvent davantage à mon sens de l’heroic fantasy…

Et quelles sont les lectures de jeunesse qui vous ont marqué ?

Jules Verne ! Jules Verne, c’est le modèle qui faisait de la fiction, mais une fiction à peine plus avancée que la réalité de son époque. Jules Verne, ce sont les années 1870-1880. Ses récits n’anticipaient la réalité que d’une trentaine d’années. Les premiers sous-marins et les ballons existaient déjà à son époque. Il pouvait inventer un ballon qui n’atterrit jamais et fait le tour en monde en quatre-vingts jours… Ce n’est pas vraiment du fantastique, mais plutôt une science-fiction anticipatrice. Le fantastique relève de l’inexplicable. Or, on se doit de tout expliquer. C’est encore plus beau quand on peut tout expliquer. Expliquer à un enfant ce qu’est un arc-en-ciel par exemple…

Mais ne perd-on pas dans l’explication justement cette part d’émerveillement, de magie ? Ne convient-il pas mieux parfois de demeurer dans une forme d’ignorance ?

Regardez Jurassic Park, c’est du fantastique, lequel s’appuie toutefois sur une dimension explicative, rationnelle. Grâce à la génétique, ce parc d’attractions du jurassique, selon Spielberg, a réussi à cloner et à ressusciter des dinosaures de l’ère secondaire. C’est possible : nous ne sommes pas loin d’une telle performance avec des mammouths qui ont dix mille ans… La difficulté réside dans le fait de trouver aujourd’hui des nucléides de l’époque des dinosaures, lesquels remontent à plus de soixante-cinq millions d’années. Mais pourquoi pas ? Je dirais que c’est plausible, non pas possible, mais bien plausible. Nous pourrions éventuellement y arriver. Aujourd’hui, nous clonons bien des chèvres à deux têtes ! Nous faisons des trucs complètement dingues d’ailleurs… Enfin, si cela peut servir la science ou la médecine… Pourquoi pas ? Maintenant, si vous avez un chien, je veux bien le voir voler ! (Rires)

Une approche finalement plus hermétique que celle d’un Stephen King par exemple, lequel laisse place à l’imaginaire.

Oui, mais chez Stephen King on retrouve également une raison, une explication… Les Américains sont quand même assez forts pour cela.

Une explication, certes, laquelle relève tout de même du surnaturel et non de la raison. Ou si peu…

Laquelle explication peut paraître surnaturelle pour nous. Sur Terre en tout cas… Je pense qu’une personne du début du siècle dernier voyant passer un TGV ne manquerait pas d’être éblouie… Ce n’est pas normal qu’un train avec 400 voyageurs aille à 300 km/h, mettant ainsi Lyon à deux heures de Paris. Nous sommes ici dans le fantastique de Jules Verne. Oui, un tel scénario est plausible avec les progrès de la science. Isaac Azimov a d’ailleurs très bien expliqué les mondes futurs avec une remarquable plausibilité, notamment concernant la question du clonage.

Concernant le cinéma, avez-vous des références sur lesquelles vous vous appuyez dans vos recherches ? Vous citiez Spielberg tout à l’heure.

Oui. Jurassic Park est en ce sens une des références les plus spectaculaires. On peut également citer Frankenstein, la référence du cinéma fantastique concernant la thématique de la monstruosité. Nous sommes aujourd’hui tout à fait capables de reproduire un schéma identique à celui de la créature de Frankenstein, en prenant des morceaux de cadavres pour en faire un être humain. Citons également les progrès réalisés concernant les prothèses. Même remarque concernant la robotique également. Nous parlions des clones. Le thème du clonage relève, pour encore, du domaine fantastique. Mais cette approche n’en demeure pas moins plausible pour autant. Il peut certes y avoir un fantastique débridé qui ne demande aucune explication. Mais j’aime moins cette démarche dans la mesure où nous tombons dans la facilité. Il est facile d’inventer n’importe quoi, mais plus difficile, en revanche, de l’expliquer. Des lunettes qui verront sous les vêtements existeront un jour. Nous pourrons bientôt mettre un appareillage dans l’oreille qui fera que nous n’aurons plus besoin de GPS dans notre voiture : « Tournez à droite à deux cents mètres. » Question de temps !

Concernant cet avenir justement, quelle perception en avez-vous : tendance utopique ou dystopique ?

(Soupir). J’y vois une source d’inquiétude et de déshumanisation, je pense. Lors d’un voyage en Russie, par exemple, je fus surpris et attristé de voir que les personnes à bord du bateau étaient plus préoccupées à l’idée de chercher la salle des ordinateurs que de contempler les sublimes paysages autour d’elles…

Vous êtes finalement assez pessimiste…

Oui, cela me rend pessimiste. Il n’y a plus guère de relations entre les gens. Aujourd’hui, les jeunes montent dans le bus, le regard fixé sur leur portable, sans prendre la peine de regarder autour d’eux. Rien… C’est une masturbation mentale terrible. Autant la masturbation peut être un plaisir, mais là… Un retour en soi-même tout en oubliant le reste du monde. L’avenir qui se profile, pourtant, semble bien être celui de 1984 de George Orwell… Nous y venons petit à petit. C’est celui de 2001, l’Odyssée de l’espace dans lequel l’informatique prend le dessus sur l’humanité. Une très belle histoire signée Arthur C. Clarke au demeurant. À un moment ou à un autre, l’ordinateur finira par gagner… 2001 est pourtant un film insupportable par sa lenteur pour les jeunes de notre époque actuelle, lesquels se sont nourris auprès des licences Star Trek et Star Wars. Pourtant, le dialogue entre les deux astronautes et l’ordinateur s’avère juste essentiel tant il nous concerne plus que jamais aujourd’hui. L’ordinateur qui se révolte parce qu’on a omis de le mettre au courant de la mission ! Il a seulement reçu des ordres pour assurer la maintenance du vaisseau, mais personne ne l’a pas mis au courant de la destination de ce dernier ni de la finalité de la mission. « Vous m’avez oublié… » C’est comme un chien qui va mordre son maître parce qu’on a oublié de lui donner sa pitance… Cet épisode de la part de Clarke est tout simplement génial. L’histoire tout entière est géniale ! L’idée de la Sentinelle, l’histoire des monolithes… Comment retrouver un jour la trace d’une civilisation venue sur Terre deux millions d’années de cela ? Peut-être qu’un jour, à force de creuser des autoroutes… L’homme a beaucoup fantasmé sur cette question de la vie extra-terrestre, en témoignent l’île de Pâques ou les géoglyphes de Nazca. C’est bien de fantasmer, c’est très bien même, à condition que nos fantasmes reposent sur des bases solides. Tous les auteurs de science-fiction se sont aventurés dans de telles histoires, avec plus ou moins de plausibilité selon les uns ou les autres. Qu’il y ait eu une visite sur notre Terre… Cela fait bien quatre milliards et demi d’années que la Terre existe ; il est donc bien possible que des voyageurs s’y soient arrêtés…

Quels sont les films de science-fiction que vous aimez tout particulièrement ? Star Trek, Interstellar ?

Je ne les ai pas tous vus. Je vais peu au cinéma. J’y vais avec mes petites filles, lesquelles sont plus orientées vers des films comme L’Âge de Glace… Je lis par contre pas mal, voire beaucoup. Reste la télévision… Les films de science-fiction qui m’ont vraiment marqué sont 2001, l’Odyssée de l’espace — il faut dire qu’à ce moment-là j’avais vingt-trois ans — ou encore La Planète des singes. Ce dernier fait également partie de ces grandes idées issues de la science-fiction et le final est assez extraordinaire ! Cette histoire du romancier Pierre Boule a été adaptée en comics sous les traits de John Buscema, en noir et blanc, à l’époque où il dessinait les aventures de Conan. Je ne les ai pas gardés et c’est bien dommage… J’en avais dessiné les couvertures tout comme celles de La Guerre des Étoiles. C’était superbe et l’histoire suivait exactement les deux premiers épisodes en compagnie des mêmes personnages. C’était très bien fait et si un jour vous allez chez les brocanteurs ou les bouquinistes, vous pouvez tomber dessus ! Du pur Buscema, avec des dessins au lavis faits par lui-même ou par Sal Buscema, son frère.

Quel regard portez-vous sur Frazetta, cette autre légende de l’illustration ?

Ah oui… Lui, c’étaient de vrais tableaux ! Il travaillait dans le pur réalisme américain, réalisme que nous retrouvons aussi chez les Soviétiques. Ne pas faire la moindre erreur, la moindre faute sur les cuirasses, sur les chairs… Pour en revenir à la science-fiction, je pourrais par ailleurs mentionner Total Recall, de Verhoeven, un cinéaste formidable, ou bien encore l’adaptation à l’écran par Spielberg du roman de Philip K. Dick, Minority Report. Voilà de très bons films auxquels il convient d’en rajouter quelques autres sûrement…

Et La Guerre des Étoiles ?

C’est passionnant. J’ai dessiné pas mal de couvertures sur cette série. C’est bien fait, il n’y a rien à dire. Ils sont fortiches à Hollywood, assurément ! De grands acteurs, des situations crédibles, des planètes cohérentes comme celle de Tatooine. Rien à dire ! Georges Lucas a même fait de belles trouvailles. C’est un beau récit d’aventures. Et puis l’aventure pardonne tout. Le héros, lui-même en danger, ne manquera pas d’aller sauver son héroïne. On le voit copain avec un monstre et affublé de deux robots qui sont les pendants de Roddy et d’Occultis. Nous retrouvons finalement toujours la même chose, à savoir l’éternel trio et ses multiples variantes. Ici : la fille, le gars et le monstre. Les trois copains. Et la Guerre des Étoiles est dans la droite ligne des grands classiques de l’aventure, à ceci près que l’aventure se déroule dans l’espace. Et puis, en même temps, on pardonne tout parce que c’est très bien fait. L’humour aide en ce sens…

Lucas s’est inspiré de l’universitaire Joseph Campbell pour construire sa mythologie. Cette dimension archétypale et mystique contribue incontestablement au succès de la saga.

C’est le mot ! Ce sont des archétypes. Nous aimons ces archétypes, dans la mesure où nous les reconnaissons tout de suite. Dès le début du film, nous identifions sans difficulté aucune les gentils et les méchants. Où se situent la puissance noire et la Force ? Ce n’est pas de la naïveté, mais une nécessité psychologique. Nous avons besoin d’une certaine simplicité philosophique et non d’être emprisonnés par moult balivernes. Cela coule de source finalement. Mais c’est bon de temps en temps aussi de faire une échappée dans l’espace-temps. On appuie sur un bouton et « pfiouu », nous voilà déjà ailleurs avant même d’être décoiffés ! (Rires)

Quelles sont les adaptations de super-héros que vous avez vu au cinéma ?

Très peu. J’ai bien aimé les premiers Spiderman. D’abord parce que j’aime bien le héros et qu’il a été bien adapté à l’écran par Sam Raimi. Mais très franchement, je ne cours pas après les adaptations cinématographiques. Je ne suis d’ailleurs pas vraiment un amateur de super-héros. J’ai un réel plaisir de raconter des histoires, mais pas pour autant celui d’en lire. Mais le plaisir de raconter, oui. Je pense avoir eu en tout cas les épaules pour le faire. Je n’en sais rien, mais je l’espère… Raconter une histoire est chose facile, à condition de ne pas tomber dans le répétitif. C’est que je disais tout à l’heure : balancer des neutrons ? OK ! Mais pour quoi faire ? Moi, si ça me tente présentement, je peux vous soulever la table ! Enfin, avant je pouvais… (Rires.) Mais toute la problématique réside dans le sens donné à l’action. C’est en ce sens justement que j’aime bien l’Iliade et l’Odyssée d’Homère. On y parle des archétypes mentionnés tout à l’heure. On peut dire à ce titre qu’Homère a été l’un des créateurs de nos grands archétypes occidentaux. L’histoire du gars qui part pour voir ce qu’il y a de l’autre côté de l’horizon, quitte à abandonner sa femme, ses enfants et son héritage. Pour aller voir ce qu’il y a de l’autre côté de la montagne, de l’autre côté de la mer ou de l’autre côté du désert. Tout simplement. Ça, c’est merveilleux ! Et c’est l’aventure humaine…

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Chroniques Barbares, Tome 2, La Loi des Vikings, Page 15 – Planche originale – Encre de chine – © Éditions Soleil, 1995 – © Jean-Yves Mitton, 1995

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Chroniques Barbares, Tome 6, Le Dernier Viking, Page 38 – Planche originale – Encre de chine – © Éditions Soleil, 2000 – © Jean-Yves Mitton, 2000

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Quetzalcoatl, Tome 5, La Putain et le Conquistador, Page 18 – Planche originale – Encre de chine – © Éditions Glénat, 2003 – © Jean-Yves Mitton, 2003

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Demain… Mars – Fécondation, Page 17 – Planche originale – Encre de chine – © Éditions Organix Comix, 2014 – © Jean-Yves Mitton, 2014

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Demain… Mars – Fécondation, Page 19 – Planche originale – Encre de chine – © Éditions Organix Comix, 2014 – © Jean-Yves Mitton, 2014

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Le Garde Républicain – Version 2054 – Jean-Yves Mitton, Reed Man, Terry Stillborn – Couverture : Jean-Yves Mitton, Reed Man – Éditions Hexagon Comics, 2015 – © Thierry Mornet, 2015 – © Mosaïc Multimédia, 2015

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Star Wars – Ex-Libris – Inédit spécial Angoulême – Format A4, 20 exemplaires numérotés et signés – © Éditions Original Watts, 2018 – © Jean-Yves Mitton, 2018

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Alwilda – Naissance d’une Walkyrie – © Éditions Original Watts, 2017 – © Jean-Yves Mitton, 2017

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Alwilda – Ex-Libris – Inédit spécial Angoulême – Format A4, 120 exemplaires numérotés et signés – © Éditions Original Watts, 2018 – © Jean-Yves Mitton, 2018

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Alwilda – Version Print Cover – Format Comics, 22 exemplaires numérotés et signés – © Éditions Original Watts, 2018 – © Jean-Yves Mitton, 2018

Vidéos

Rencontre avec Jean-Yves Mitton. lefictionaute.com

Dédicace par Jean-Yves Mitton. lefictionaute.com

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