Jérôme Noirez
Jérôme Noirez
Dix ans après un premier opus très remarqué, la Brigade chimérique revient aux éditions Delcourt pour une nouvelle saga, intitulée La Brigade chimérique – Ultime renaissance. À la suite des désagréments issus de la crise sanitaire, ce nouvel épisode est finalement publié sous forme d’intégrale. Voilà donc l’occasion de revisiter un genre un peu oublié, celui des super-héros made in France. Serge Lehman assure toujours le scénario, épaulé cette fois-ci au dessin par Stéphane De Caneva.

Infos pratiques

La Brigade chimérique – Ultime renaissance

Serge Lehman

Stéphane De Caneva

France

Delcourt

Hors collection

Inédit

5 Janvier 2022

Intégrale (comprenant huit histoires)

272 pages

19,7 x 30,5 cm — Couleur

17,95 euros 

978-2413022688

© Éditions Delcourt, 2022
© Serge Lehman, 2022
© Stéphane De Caneva
© Lou, 2022

La Brigade chimérique
Ultime renaissance

Lehman, De Caneva et Lou

Éditions Delcourt

Chronique réalisée par Lionel Gibert et Jean-Marc Saliou

Super-Héros de France et vilaines bestioles

Paris, Bangkok, Autriche, USA / De nos jours

Super Héros « made In France »

NOTRE ÉVALUATION

Dessin
Personnages
Histoire
Vidéos
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HISTOIRE

Paris, de nos jours. Fait divers en plein métro : deux délinquants s’acharnent sur un pauvre homme. Mais tout d’un coup, ce dernier se transforme en rat monstrueux, broyant le crâne de l’un de ses agresseurs sous le regard terrifié des usagers. Certains arrivent cependant à filmer la scène avec leur smartphone, ne manquant pas alors d’affoler la toile. Se nommant le Roi des Rats, il s’enfonce dans le boyau du tunnel, vociférant que le pire est à venir…

Au même moment, sur le campus de Jussieu au centre de recherche sur l’Hypermonde, le professeur Charles Deszniak, surnommé Dex, achève son séminaire. De retour à son bureau, Deszniak rencontre Nelly Malherbe, mandatée par la préfecture. Celle-ci vient à sa rencontre pour discuter d’une demande de consultation d’archives, faite par ce dernier, il y a déjà cinq ans de cela. En effet, Dex voulait consulter certains documents sensibles de la ville. Sceptique, car son service étant visé par des coupes budgétaires, Charles Dex invite cependant la jeune femme à découvrir le lieu où il travaille. Il lui rappelle que sa mission est d’explorer l’Hypermonde avec l’assistance notamment de Greg Ulm. Ce centre de recherche collectionne des informations sur des êtres extraordinaires disparus en Europe il y a un siècle. Plus personne ne s’en souvient. Son assistant Greg Ulm avertit Dex des événements récents qui se sont déroulés dans le métro. Pour lui, pas de doute, la visite de Nelly Malherbe n’est nullement due au hasard. Cette impression se trouve confirmée par un rendez-vous proposé le lendemain par Jean-Michel Hirsch, sous-préfet de Paris. En compagnie de Nelly Malherbe, Hirsch lui propose de collaborer sur l’affaire du métro. Il s’agit de faire face à la menace grandissante du Roi des Rats, en retrouvant la trace de ces surhommes supposés disparus. Ces derniers, par leur pouvoir, pourraient en effet se montrer d’un grand secours…

Cette collaboration entraînera en retour une aide financière conséquente. Ne l’oublions pas : le gouvernement ne peut accepter que la panique s’installe dans Paris, d’autant plus que les images font déjà le tour sur tous les réseaux sociaux… Avec ses recherches sur l’Hypermonde et sur ses créatures extraordinaires, Charles Dex doit donc réunir une solide équipe, déterminée et capable de combattre, entre autres, les agissements de ce terrible Roi des Rats. Cette brigade se compose de Béatrice Ortega, surnommée Félifax, la descendante de Palmyre Nelly Malherbe, l’Homme truqué Jean Legris — Rigg pour les anglophones —, sans omettre le Soldat inconnu, le lieutenant Séverac. Cette mission, conduisant nos protagonistes à travers l’Autriche, la Thaïlande, les USA, sans oublier la France se montrera des plus tumultueuses…

La Brigade chimérique – Ultime renaissance
© Éditions Delcourt, 2022
© Serge Lehman, 2022
© Stéphane De Caneva
© Lou, 2022

Lecture

Voilà la Brigade chimérique de retour ! Réjouissons-nous ! En effet, quand bien même vous ne seriez guère passionné par l’univers des super-héros, cet album pourra fort néanmoins vous séduire par son approche singulière du genre. Serge Lehman, au scénario, réussit le prodige de tenir en haleine le lecteur dans ce récit ne comportant pas moins de 240 planches. Découpé en huit chapitres de 30 pages chacun, le pari s’avère plutôt réussi. Il faut dire que lors du précédent opus, l’auteur avait déjà atteint son objectif. Dans ce nouvel épisode, mené tambour battant, Lehman nous dévoile les antres de l’Hypermonde par l’intermédiaire du professeur Charles Deszniak, surnommé Dex. L’auteur en profite pour évoquer les problématiques sociales de notre époque, glissement loin d’être inintéressant par ailleurs.

Lehman brille également par sa capacité à rendre ses personnages principaux attachants et hauts en couleur. En témoignent Rigg, à la pointe de la technologie malgré ses 120 ans bien tassés, Béatrice Ortega, une bisexuelle assumée combattant ardemment le patriarcat, Nelly Malherbe faisant la découverte de ses super-pouvoirs hérités de son ancêtre Palmyre ou encore et le Soldat inconnu revenant d’outre-tombe dès que la paix s’avère menacée. L’humour se révèle également présent, par l’entremise de dialogues incisifs et percutants. Au regard de l’invasion des superproductions étatsuniennes, telles Marvel, DC Comics et autres majors, Lehman, nullement découragé, a donc décidé de remettre au goût du jour ces héros oubliés en inventant l’Hypermonde. Si Paris, Nantes ou Lyon constituent incontestablement de magnifiques métropoles, nous sommes toutefois loin du Gotham sombre et tentaculaire d’un Batman, personnage à elle seule. Les figures héroïques comme celles de Félifax ou de Fox-Boy n’en demeurent pas moins toutes aussi séduisantes que celles de Spiderman ou de Wolverine, cela s’entend. Et contrairement aux personnages de Marvel ou DC Comics, nos héros possèdent des super-pouvoirs plausibles dont nous pouvons percevoir plus ostensiblement les atouts et les faiblesses. Le récit en devient d’autant plus captivant et plus réaliste. En un sens, ce récit se montre plus proche de l’anticipation que de la science-fiction.

En outre, les auteurs — comme l’indique Serge Lehman dans la postface — ont dû s’adapter aux conséquences de l’apparition de la Covid 19. Il était en effet initialement prévu de publier chaque chapitre sous forme de comics indépendant. Pandémie oblige, les éditeurs ont dû revoir leur copie, tantôt repoussant certains titres, tantôt les annulant. De leur côté, les éditions Delcourt décidèrent de sortir une intégrale en lieu et place d’une parution épisodique.

On soulignera par ailleurs le soin apporté par le travail de Stéphane De Caneva, succédant à Gess. Ce dernier, illustrateur chevronné, travaillant notamment aux éditions de L’Atalante avait déjà entamé un ouvrage des plus conséquents. Son premier opus, La Brigade chimérique se montrait d’une qualité proche de celle d’un Mike Mignola, où transpire son hommage appuyé à l’illustrateur français Albert Robida (1848-1926) — notamment connu par la publication en 1887 de La Guerre au vingtième siècle, ouvrage prémonitoire annonçant les événements tragiques qui allaient marquer l’histoire de notre siècle dernier. Poursuivant le cycle, De Caneva, dessinateur autodidacte et passionné de comics, remplace Gess au pied levé, relevant le défi de succéder à cet illustrateur émérite. Influencé par des artistes comme Jae Lee, Thomas Ott, mais aussi Andréas, De Caneva livre une excellente production. Rappelons qu’il avait déjà travaillé avec Lehman sur des projets comme Métropolis. L’univers graphique de ce dessinateur marseillais se montre parfaitement adapté à l’esprit de la série. Bien que certains visages gagneraient à être plus travaillés, son dessin réaliste n’en demeure pas moins lisible, dynamique, lequel sert parfaitement le déroulement de l’action. Par son travail, De Caneva développe une ambiance graphique des plus originales. Ainsi affiches, couvertures de comics et flash-back parsèment l’histoire, rappelant l’ambiance des anciens épisodes. Pour autant, l’époque a changé. Nous sommes au vingt-et-unième siècle et le métro par exemple s’est encore développé. Les décors futuristes, notamment les architectures de banlieues contribuent à moderniser l’atmosphère. L’entre-deux-guerres est donc bien loin. Cette démarche graphique donne à ce comics aux accents français une atmosphère des plus pittoresques. Les histoires de supers-héros ne sont pas l’apanage du seul Oncle Sam. On ne peut que s’en réjouir… N’oublions pas, qui plus est, l’excellent travail de colorisation de Lou, au diapason de l’ambiance visuelle d’Ultime renaissance.

Loin de n’être qu’une suite de La Brigade chimérique, Ultime Renaissance se montre avant tout une captivante histoire de super-héros basée sur une matière qui puise sa mythologie dans notre récit national. Le trio, avec Serge Lehman aux manettes s’efforce de redorer le blason d’une production littéraire française, malheureusement tombée en désuétude. Par son remarquable travail de réhabilitation, ce dernier nous fait découvrir toutes les saveurs du super-héros à la française, icône disparue de notre mémoire collective après la Seconde Guerre mondiale — l’invasion des productions étatsuniennes achevant de donner le coup de grâce. Cela étant dit, nous retrouvons ici des références aux super-héros étatsuniens ainsi qu’un hommage sincère et appuyé à leurs homologues français. En témoignent le Mikros du prolifique Mitton, le Fox-Boy du Rennais Lefeuvre, mais aussi Fantax et même Superdupont ! Et comment oublier Le Garde Républicain, personnage initié par Thierry Mornet (alias Terry Stillborn), dont les aventures témoignent à elles seules toute l’estime possible à l’égard de ces nombreux super-héros de France et de Navarre ? Assurément, ces nouveaux épisodes de La Brigade chimérique constituent une singulière et franche réussite au sein d’une production éditoriale parfois bien encombrée…

Vidéos

La Brigade chimérique – Ultime renaissance. Original Comics.

La Brigade chimérique – Ultime renaissance. UniversComics Le Mag’.

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