Docteur Sleep, Stephen King, Éditions Albin Michel
Jérôme Noirez
Danny Torrance. Ce nom vous dit sans doute quelque chose sans que vous n’arriviez à pointer du doigt qui est cette personne. Pourtant vous l’avez forcément croisé. Mais si, rappelez-vous : Shilling ! Ceux qui n’ont pas lu l’œuvre de Stephen King auront forcément vu son adaptation par Kubrick en 1980. Comme beaucoup de personnes, Monsieur King s’est souvent demandé ce qu’avait pu devenir son petit héros et il nous offre la réponse dans ce Docteur Sleep, publié aux éditions Albin Michel. Lequel Docteur Sleep a par ailleurs remporté le prix Bram-Stoker du meilleur roman 2013.

Infos pratiques

Docteur Sleep

Doctor Sleep

Stephen King

États-Unis

Nadine Gassié

Design de Sean Freeman sous la direction de Tal Goretsky

Albin Michel

Inédit

Novembre 2013

586 pages

Grand Format

25,00 euros

978-2226252005

© Éditions Albin Michel, 2013 – © Stephen King, 2013 – © Photos : MacGregor & Gordon – Denkou Images / Getty

Prix Bram-Stoker du meilleur roman 2013

Docteur Sleep

Stephen King

Éditions Albin Michel

Chronique réalisée par Romy Mousset
Docteur Sleep, Stephen King, Éditions Albin Michel

Parcours de vie

De la Floride au Colorado / Des années 80 aux années 2010

Fantastique

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages
Vidéos DOCTEUR SLEEP
liens Internet

HISTOIRE

Car ses relations avec l’Overlook ne cessèrent pas avec l’incendie de ce dernier et la mort de son père. Les fantômes de l’hôtel continuent à le poursuivre et son don ne le laisse pas tranquille non plus. Malgré l’amour de sa mère et l’aide de son ami Dick Hallorann, Danny grandit avec plus de poids sur ses épaules que n’importe quel enfant. Toutes ces choses qu’il n’aurait pas dû voir, qu’il ne devrait pas savoir et qu’il ne veut pas ressentir vont donc le mener sur une pente bien raide. Celle de l’alcoolisme et de la violence. Un petit goût de déjà vu ? Sans nul doute.

Mais contrairement à son père, Danny parvient malgré tout à s’en sortir. Vivotant ici et là, passant d’une ville à l’autre, il finit par atterrir dans la petite ville de Frazier où il trouvera la voie de la rédemption après avoir touché le fond. Aidé par son nouvel ami Bill Freeman et son premier patron sur place, Casey Kingsley, Dan Torrance peut enfin voir le bout du tunnel. Après des années à enchaîner les petits boulots, les appartements crasseux et les repères un peu louches, l’opportunité s’offre enfin à lui de se poser et de se reconstruire. Ayant travaillé quelque temps pour Kingsley, Dan parvient à se faire embaucher dans l’hospice de Frazier. Il y apporte douceur et réconfort aux mourants sur le point de rendre leur dernier souffle et acquiert rapidement le surnom de Docteur Sleep. Répondant à toute heure du jour comme de la nuit, il est connu et reconnu par tous comme celui qu’il faut appeler lorsque les minutes d’un patient sont comptées. Nouvelle ville, nouveaux amis, nouveau métier, tout semble s’imbriquer pour que Dan s’en sorte et puisse aider son prochain à son tour, comme l’avait fait Dick Hallorann en son temps.

Alors que notre héros entame un programme chez les Alcooliques Anonymes et renaît à la vie, à plusieurs kilomètres de là, la petite Abra voit le jour. Une petite fille magnifique et en bonne santé, mais dont l’attitude inquiète ses parents et surprend son pédiatre. En effet, Abra aussi possède le Don. Un don bien plus puissant que celui de Dan et qui ne fait que croître au fil des ans, augmentant le danger qui plane sur elle.

Car Abra a vu des choses qu’elle n’aurait pas dû voir alors qu’elle était à peine plus jeune que le Danny de l’Overlook. Des choses horribles qui vont la poursuivre jusqu’à son adolescence et la pousser à demander l’aide de Dan. Jusque là contact fugace, présence anonyme et réconfortante, Abra se manifeste à lui par le biais d’un tableau noir. Cette fois-ci pas question d’échanger de simples bonjours, l’heure est grave : la scène dont elle avait été témoin étant enfant vient de ressurgir dans sa vie. Si la petite fille ne s’était manifestée à lui que discrètement depuis ses premiers mois, ces deux êtres aux dons inexplicables vont devoir se rencontrer.

Ce qu’a vu l’enfant prodige, c’est le Nœud Vrai en plein repas. Un groupe de camping-caristes aux airs inoffensifs parcourant les États-Unis au volant de leurs maisonnettes, passant d’un site touristique à l’autre et formant une communauté comme nous pouvons en voir si souvent. Ou presque. De fait, le Nœud Vrai se compose exclusivement de personnes dotées de dons particuliers et se nourrissant de « vapeur », ce nuage blanc s’évaporant des corps mourants et purifiés par la torture. La meilleure des vapeurs ? Celle produite par les enfants dotés de dons. Cette vapeur les régénère et leur permet de survivre au fil des siècles, bravant la mort en la semant.

Lorsque ce clan d’assassins sans âge réalise l’existence d’Abra, sa vie est alors menacée à plus ou moins brève échéance. Ses parents ignorant le développement de son don, Dan est le seul à pouvoir l’aider. Ou presque. Car à présent il n’est plus seul. Son ami Bill Freeman est à ses côtés, tout comme le docteur John, ancien alcoolique et médecin d’Abra. À quatre, il leur faudra anéantir la menace planant sur Abra et tous ces enfants innocents. À quatre, il leur faudra combattre le Nœud Vrai.

Lecture

Je le confesse, je n’ai jamais lu Shining. Mais après avoir lu Docteur Sleep, il ne fait aucun doute que cette erreur sera rapidement corrigée. Car si le style de King n’a rien de transcendant et même si les suites de chefs d’œuvre font généralement un peu peur, le Maître sait raconter de bonnes histoires. Il sait vous prendre aux tripes, agripper votre attention et ne relâcher votre esprit qu’une fois son récit terminé.

Dans ce Docteur Sleep, l’étrangeté se mêle avec brio à la réalité. Qui n’a jamais entendu parler de télékinésie ou de voyage astral ? Qui n’a jamais lu d’articles sur ces chats d’hôpitaux qui viennent se coucher prêt des mourants, signalant que leur dernier souffle sera bientôt rendu ? Et ces prémonitions, ces instincts inexplicables que l’on a en croisant certaines personnes ?  L’extraordinaire utilisé par King dans ce livre ne l’est pas tant que ça si l’on y réfléchit bien. De nombreuses séries, de nombreux films ou livres nous en ont déjà fait mention et tout cela nous semble relativement ordinaire. Tout comme ces voyageurs mystérieux. Dès le retour des beaux jours, chacun s’est déjà retrouvé coincé derrière des camping-cars et des caravanes.

Paradoxalement, si King utilise du bizarre qui nous est familier, il utilise le familier pour le rendre bizarre et c’est dans le soubassement de cette dualité que son charme opère. Le danger n’est pas nécessairement là où on l’imagine et la toile tissée par le Nœud Vrai est tellement vaste que nous ne sommes à l’abri nulle part. Mais le plaisir de lecture ne réside pas dans l’originalité de ce mélange. Il naît dans la découverte des personnages et les moyens qu’ils déploient pour vivre leur vie.

Les alcooliques sont bien souvent mal décrits dans la littérature ou le cinéma. L’alcoolodépendance – véritable maladie – est généralement minimisée et la difficulté pour accéder à une rémission y est bien moindre que dans la réalité. Mais King nous présente les choses sous un nouvel angle. Bien sûr, il ne fait nul doute que Dan doit s’en sortir. Il a tous les atouts de son côté et une nouvelle existence pleine de bonheur s’offre à lui. Mais l’auteur laisse entrevoir les difficultés qu’il traverse. L’entraide nécessaire pour réussir, l’honnêteté et la force de sa volonté également. Il nous montre également que même si de nombreux alcooliques rechutent, la force et l’union de ceux qui réussissent sont puissantes et créent des liens solides. Comment alors ne pas s’attacher à Dan Torrance malgré ses faiblesses, malgré sa lâcheté, malgré sa honte ? Car derrière l’alcoolique, il n’en est pas moins un aide-soignant respectueux de ses patients, un homme intelligent et sensible, torturé par des démons peu enviables.

Abra quant à elle peut apparaître moins intéressante en comparaison. Mais son caractère, son désir de protéger ses parents et les plus faibles en font un personnage au réel potentiel. Son don la rend forte sur un plan matériel comme sur un plan psychique, ce en quoi elle ressemble à son « oncle Dan ». Et il faut bien admettre que son (sale) caractère force l’admiration et nous fait oublier son jeune âge… La peur de la différence et du rejet qu’elle entraîne, l’envie d’être comme tout le monde et d’être intégré parmi les siens sont des préoccupations courantes à l’adolescence. Tout le monde ou presque est passé par là. Certains y sont encore. Mais là où les choses sont intéressantes, c’est qu’Abra, tout en gommant ses différences, refuse de les voir disparaître. Ce sont en effet ces mêmes différences qui construisent l’identité de chacun et Abra l’a bien compris. Sans doute parce qu’elle voit et entend plus qu’elle ne devrait.

Le secret, la fierté et l’importance de faire partie d’une communauté soudée se font aussi ressentir lorsque l’on se tourne vers le Nœud Vrai, et plus particulièrement vers son chef Rose Claque.  Le Nœud doit s’intégrer dans la société moderne. Il doit suivre les tendances, se fondre dans la masse, faire comme tout le monde. Mais derrière cette façade qu’il présente au monde, son identité, ses besoins n’en sont pas moins importants. S’interroger sur sa moralité, savoir jusqu’où l’on peut aller pour exister en restant soi-même sans se faire remarquer, survivre sont autant de luttes du quotidien. L’union est primordiale et si les membres du Nœud Vrai peuvent être perçus comme des meurtriers et des tortionnaires, ils n’en font pas moins preuve d’amour et de solidarité au sein de leur groupe. Des valeurs qui, finalement, s’avèrent communes à tous les personnages du livre.

Bons comme méchants sont donc tiraillés entre les mêmes extrémités. L’être et le paraître. La nécessité de faire certains choix pour survivre. La vie et la mort. La difficulté de faire face à ses propres choix. Toutes ces dualités et ces ressemblances entre chacun des protagonistes n’en rendent le récit que plus passionnant. Le passage de l’un à l’autre s’opère de manière naturelle et l’entrecroisement de leur existence n’en rend le rythme de lecture que plus fluide.

Docteur Sleep est donc un roman absolument envoûtant et impossible à relâcher dès les premières lignes entamées. Des personnages captivants et bien présentés, une histoire du Bien contre le Mal moins manichéenne qu’il n’y paraît et un récit bien ficelé. Une vraie bonne surprise.

Vidéos

Chronique de Docteur Sleep. Lou la Bavarde.

Bande-Annonce VO de Docteur Sleep. Venze8.

Sites internet