La démographie sans cesse croissante et les besoins accrus en matières premières indispensables à nos sociétés ont poussé l’homme à la recherche de nouvelles planètes à exploiter. Aux confins de notre système solaire, à la périphérie des anneaux de Saturne, Titan abrite aujourd’hui la première colonie humaine installée hors de la Terre. Inhospitalière pour les humains, la planète offre de nombreuses ressources à extraire, pour la plupart expédiées sur Terre. Les Titans, humains natifs de cette planète, ont développé leur propre société, à l’abri dans des cités, bases ou mines.

Lors du retour d’une expédition sous-marine, dans l’un des nombreux lacs de méthane de la planète, le commandant Natalia Tarkovski et son équipage sont les premiers à recevoir un signal récurrent d’origine inconnue, toutes les 21 secondes avec une longueur d’onde de 2,7 cm. Avec sa période de 21 secondes, ce signal peut être détecté par tout observateur dans l’univers. Il a été intentionnellement émis. Que signifie ce signal ? Quel est son auteur ?

Des années plus tard, Les Titans s’apprêtent à lancer cinq vaisseaux spatiaux : les Crusaders. Aux commandes de cette armada et du premier vaisseau, le commandant Natalia Tarkovski. Elle est accompagnée des quatre autres commandants et de leurs équipages : Tara Fazekas, Kris Anka Aura, Giovanni Larusso et Mark Shostrom. Un des hauts dirigeants du conseil de Titan, imposé par les autorités, embarque avec eux. Tous ont été sélectionnés et formés pour réussir un long voyage vers l’inconnu. Lequel commence par la construction, puis la maitrise de ces vaisseaux spatiaux qui utilisent des technologies dépassant notre entendement. Comment les Titans ont-ils réussi à les construire ?

Les plans des Crusaders, les procédés de fabrication, les principes fondamentaux de leur fonctionnement, les plans des simulateurs de vol pour s’entrainer et surtout des coordonnées de destination pour un point situé à 32 milliards d’années-lumière de Titan : toutes ces données étaient dans le signal, cryptées. Pour quelle raison ce signal a-t-il été envoyé ? Comment nos protagonistes parviendront-ils au point de rendez-vous ? Après avoir parcouru cette distance gigantesque, trouveront-ils quelqu’un sur place ou juste les traces de fantômes du passé ?

Ce premier tome de la série Crusaders nous propulse dans un univers d’anticipation où les hommes ont colonisé d’autres planètes que la Terre dont Titan. Christophe Bec et Leno Carvalho appuient leur vision sur les connaissances actuelles en astronomie et physique. Les caractéristiques de la planète Titan, l’effet de fondre gravitationnel ou la création d’une singularité capable de courber l’espace-temps sont autant de processus déjà observés ou soutenus par des fondements mathématiques.

La crédibilité du récit est elle aussi rendue par la transposition dans le futur des problèmes de la société contemporaine. La construction des cinq vaisseaux spatiaux nécessite l’extraction de grandes quantités de minerais en un laps de temps très court. Les hauts dirigeants de Titans — les « excellents masters » — devront négocier avec les syndicats ou les contraindre. Bowman, le délégué du syndicat des mineurs est retrouvé mort à la suite d’un problème technique sur la navette qui le transportait. La solution la plus radicale a été retenue. En dehors des revendications des mineurs, la corruption et l’épuisement des ressources sont également évoqués. Ce dernier débat de société justifie d’ailleurs la politique de colonisation d’autres planètes pour subvenir à ses besoins. Leur vision s’ancre dans notre quotidien : c’est une fuite en avant qui cadre avec nos sociétés et notre mode de consommation actuelle.

Tout au long de la bande dessinée, les auteurs prennent le temps de créer leur trame, laquelle sera explorée dans les tomes suivants. Deux axes principaux ressortent de cette dernière. Le premier concerne la création d’un personnage féminin emblématique, lequel s’impose par son histoire personnelle et son caractère indépendant et entêté. Le deuxième renvoie à une mystérieuse croisade, laquelle envoie une équipe de scientifiques aventuriers à l’autre bout de l’univers. La mise en place de la trame freine malheureusement le rythme du récit : la plupart des situations mettant en scène les différents protagonistes sont desservies par une mise en place a minima. La rencontre avec des formes de vies intelligentes dans la dernière scène laisse présager un rythme beaucoup plus soutenu pour le tome à venir. Le découpage des planches et la variété des plans sollicitent continuellement notre regard. Ils sont à l’origine d’une réelle dynamique dans la lecture. Les flashbacks concernant l’histoire personnelle de Natalia y contribuent également et permettent aux auteurs de nous apporter des notions scientifiques qui crédibilisent le récit. Cinq doubles pages clôturent chaque séquence de l’histoire, lesquelles nous interrogent sur les événements qui ont conduit au final. Elles sont le point de départ d’une nouvelle séquence, relançant l’aventure au travers d’une très belle prestation visuelle, fruit réussi du tandem Christophe Bec/Leno Carvalho.

Les dessins de Leno Carvalho s’avèrent de très bonne facture, réalistes et avec un sens affiché du détail dans les différents traits personnages. Les jeux d’ombres et de lumière renforcent l’expressivité de ces derniers et donnent du volume aux dessins. Toutefois, certaines scènes présentent des personnages semblant figés dans leurs mouvements, à l’instar du personnage Natalia Tarkovski. Comment Leno Carvalho est-il parvenu à se représenter les vaisseaux spatiaux – objets pour alors inexistants s’il en est ? Figures et protagonistes indispensables pour tout récit de space opera, nous plongeant corps et âme dans l’aventure et l’imaginaire. Caractéristiques communes à tous ces modes de transport, ce sont des engins se déplaçant dans l’espace et le temps, usant de moyens de propulsion issus de technologies qui nous sont inconnues. À partir de là, il faut inventer sur la base de l’imaginaire collectif et de ses propres sensibilités. Les Crusaders sont des engins de formes atypiques et hétéroclites, loin des standards des vaisseaux spatiaux issus des séries télévisées et des films. Leno Carvalho semble s’être inspiré du monde organique. Leur partie avant rappelle celle d’un cétacé, gueule ouverte prête à en découdre. La partie arrière des vaisseaux est constituée d’une colonne vertébrale et de côtes dont l’utilité nous reste mystérieuse. Les Crusaders sont à la fois intrigants et esthétiques. Ils convoquent notre imaginaire, bien que s’affranchissant des lois de l’aérodynamisme. Les couleurs de Vyacheslav Panarin et Massimo Travaglini, majoritairement dans les tons bleus participent à cet univers d’anticipation en accentuant le côté réaliste de l’image. Pour les personnages, les couleurs dégradées offrent volume et profondeur. 

Au terme de ce premier opus d’une trilogie annoncée, Crusaders – La Colonne de fer s’avère un album captivant et bien mis en images, malgré un rythme un peu lent. Voilà une série qui se montre au demeurant fort prometteuse.