Les Tambours du dieu noir, P. Djèlí Clark, Éditions L’Atalante
Jérôme Noirez
Les éditions L’Atalante publient pour la première fois dans nos contrées francophones P. Djèlí Clark, de son vrai nom Dexter Gabriel, auteur étatsunien privilégiant la forme courte au roman. L’ouvrage nous concernant est un recueil comprenant le court roman Les Tambours du dieu noir suivi de la nouvelle « L’Étrange Affaire du djinn du Caire ». Le premier nous entraîne dans une Louisiane uchronique et la seconde dans la ville du Caire en compagnie de l’enquêtrice Fatma el-Sha’arawi, du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités Surnaturelles. Tous deux ont en commun un univers uchronique à l’esthétique steampunk et un récit des plus enivrants.

Infos pratiques

Les Tambours du dieu noir

P. Djèlí Clark

États-Unis

Mathilde Montier

Benjamin Carré

leraf

L’Atalante

La Dentelle du Cygne

Inédit

144 pages

Grand Format

12,90 euros

979-1036000744

© Éditions L’Atalante, 2021 — © P. Djèlí Clark, 2016 et 2018

Prix Alex 2019 pour Les Tambours du dieu noir catégorie novella

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la chronique

Les Tambours du dieu noir

P. Djèlí Clark

Éditions L’Atalante

Chronique réalisée par Franck Brénugat

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages

HISTOIRE

Nouvelle Orléans. 1884. Devenue une cité libre depuis la révolte d’esclaves noirs lors de la première année de la Guerre de Sécession — laquelle perdura huit années —, La Nouvelle-Orléans accueille tous les réfugiés qui souhaitent s’offrir une liberté exempte de toutes compromissions. Les USA de cette réalité alternative sont séparés entre l’Union d’un côté et les États confédérés de l’autre, deux entités politiques distinctes auxquelles il convient de rajouter quelques rares territoires non alignés, parmi lesquels figure La Nouvelle-Orléans justement. Si cette dernière, comme Haïti et ses alliés des Îles Libres jouissent d’une indépendance et d’une liberté chèrement acquises, c’est grâce à la bienveillance d’un scientifique ayant fourni aux révoltés une arme aux terribles propriétés : les Tambours du dieu noir. Cette arme a le pouvoir d’invoquer la puissance de l’Orisha Shango, divinité yoruba de la foudre, du tonnerre et de la justice, afin de déchaîner les éléments. Son usage contre la Royale dans les Caraïbes a ainsi offert aux révoltés une victoire les conduisant à l’indépendance. Victoire bien fragile, dans la mesure où cette arme de destruction massive a causé quelques « dommages collatéraux », ici l’apparition de gigantesques Tempêtes Noires. Et dans la mesure aussi où nos Confédérés s’apprêtent à leur tour à mettre la main sur le secret des Tambours du dieu noir. Mais c’est sans compter la petite Jacqueline, pickpocket de treize ans, ayant surpris une conversation portant sur cette opération de récupération. Notre jeune orpheline ne manquera pas de mettre à profit ses étonnants pouvoirs, étant le réceptacle de l’Orisha Oya, déesse du vent, de la tempête, des éclairs, de la mort et de la renaissance. Mais c’est aussi sans compter la présence inquiétante d’un homme croque-mort, plus que désireux, lui aussi, d’entrer en possession de l’artefact tant convoité…

Le Caire. 1912. Le cadavre d’un djinn vient d’être découvert à son domicile, étendu sur son canapé. Au regard de la scène, tout laisse à penser qu’il s’agit d’un meurtre, en l’occurrence une exsanguination. Aux pieds de ce dernier figure un cercle entouré de glyphes mystérieux. Pour tout indice manifeste, une plume divine, propriété apparente d’un ange. Au regard de la singularité de la scène, l’enquêtrice Fatma el-Sha’arawi, du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités Surnaturelles est sur l’enquête, accompagnée par l’inspecteur de la police locale Aasim Sharif, quelque peu désabusé par la tournure préoccupante des derniers événements. Depuis le rituel effectué par un érudit pour le moins mal avisé, la Terre s’est vue peuplée par de bien singuliers visiteurs, avec la venue massive et incontrôlée d’êtres surnaturels, lesquels semblent pour alors cohabiter avec plus ou moins de bonheur avec les premiers arrivants, les humains. Les autochtones doivent ainsi partager leur espace avec djinns, anges et autres goules. Ces dernières semblent d’ailleurs montrer dernièrement quelques signes d’agitation. D’où la venue de notre enquêtrice, sollicitée afin de résoudre au plus tôt cette préoccupante affaire. Et notre duo de fortune de nous embarquer dans les tréfonds d’un Caire surnaturel…

Lecture

Jamais publié en France, P. Djèlí Clark débarque sur les terres francophones au travers de deux courts récits relevant de la Fantasy urbaine et partageant tous deux un univers uchronique teinté d’une esthétique steampunk. Ils bénéficient également l’un comme l’autre d’un solide worldbuilding, qualité maîtresse de ces courts récits. Le court roman Les Tambours du dieu noir comme la nouvelle « L’Étrange Affaire du djinn du Caire » témoignent en ce sens d’une excellente maîtrise narrative, donnant à voir un contexte pour le moins différent des traditionnels récits steampunk, pour la plupart condamnés à déployer leur cadre dans une Europe dont les codes visuels, voire narratifs sont depuis un bail éditorial largement éprouvés. Le premier récit nous entraîne dans une Nouvelle-Orléans uchronique où la Guerre de Sécession a permis l’émergence d’une Amérique que se partagent trois factions : les Unionistes, les Confédérés et les Non-alignés, tandis que le second nous plonge dans une ville du Caire quelque peu secouée par la venue d’un cortège de nouveaux locataires pour le moins atypiques. Par l’exploration de ces nouveaux terrains de jeux, l’auteur donne à voir un sense of wonder fort convaincant, associé ici aux territoires de la Fantasy et non point à ceux, plus habituels, de la science-fiction. Toutefois, cette esthétique s’exprime davantage par le fruit de notre imagination que part les sommaires descriptions visuelles de l’auteur, forme courte oblige. Ce qui n’est pas pour nous déplaire, les lectures de l’imaginaire invitant justement à faire montre… d’imagination, tant pour l’auteur que pour le lecteur, cela s’entend.

L’écriture se montre des plus chatoyantes et enjouées, Les Tambours du dieu noir ayant par ailleurs remporté le prix Alex 2019, prix littéraire étatsunien récompensant annuellement « dix ouvrages écrits pour des adultes qui ont un attrait particulier pour les jeunes de 12 à 18 ans. » Toutefois, le choix linguistique du créole concernant l’une des protagonistes se montre bien éloigné du registre lexical académique… Le locuteur extérieur audit registre ne manquera de peiner quelque peu au regard de certaines constructions lexicales. Fort heureusement, les dialogues n’ont rien d’envahissant et la traduction française ne manque pas de relever le défi, offrant une lecture qui n’en demeure pas moins fluide pour autant. Les personnages déployés dans les deux récits, féminins pour la plupart se montrent attachants et jouissent d’un charisme certain, malgré la contrainte imposée par ces formes courtes.

Le lecteur se montrera en revanche bienveillant concernant les histoires elles-mêmes, dont le caractère se révèle manifestement attendu sinon convenu. Mais l’essentiel est ailleurs, à savoir dans son exploration visuelle des espaces consacrés à notre imaginaire, dont nous vantions les qualités précédemment. L’auteur, dont la famille est originaire de Trinité-et-Tobago, dévoile dans le premier récit un univers où une partie de la population noire a pu échapper au racialisme mortifère du colonialisme. Les figures féminines des protagonistes des deux récits achèvent de diversifier les codes d’un domaine souvent considéré comme genré. Fort heureusement, P. Djèlí Clark nous épargne les affres et autres déviances potentielles de la cancel culture, laquelle conçoit trop souvent le récit comme prétexte métapolitique. Aucune déconstruction malheureuse ni aucun discours édifiant ici. Tout au plus une référence à l’ouragan Katrina, ayant frappé le sud-ouest des États-Unis en 2005 — et dont le traumatisme est toujours présent — auquel font échos les gigantesques Tempêtes Noires du premier récit. Ce dernier se montre dense, au point qu’un roman en lieu et place du court roman eut été le bienvenu, afin de contextualiser au mieux la richesse des enjeux, tant politiques, psychologiques que chamanistiques. Le deuxième texte, pourtant plus court, ne souffre pas de ce défaut, exposant plus clairement les enjeux de l’histoire. Là aussi, l’univers décrit fait merveille, montrant la maîtrise de l’auteur dans ce processus d’élaboration. Reposant son récit sur certains particularismes de telle ou telle religion ou mythologie, la nouvelle offre suffisamment de matière pour satisfaire aux attentes du lecteur. « L’Étrange affaire du djinn du Caire » se déroule dans le cadre orientalisant du Caire, sur une Terre dont le point de divergence se manifeste avec l’apparition d’entités merveilleuses — djinns, anges ou assimilés et quelques malencontreuses goules —, apparition provoquée par l’ouverture d’un portail dans lequel s’est engouffrée cette charmante ménagerie. Le texte révèle une enquête fort rythmée dont la dimension lovecraftienne — hommage bienvenu — ne peut que rajouter au charme de ces chroniques d’un nouveau genre.

Les créations de P. Djèlí Clark sont assurément des plus envoûtantes. Ses uchronies de Fantasy témoignent d’un worldbuilding savamment construit, d’un récit fort alerte et d’un enthousiasme des plus sincères. Il nous tarde déjà de retrouver notre singulière enquêtrice, avec la parution en juin 2021 du court roman Le Mystère du Tramway hanté, finaliste des prix Hugo, Nebula et Locus 2020 dans la catégorie novella. Patience…

Vidéos

Djèlí Clark et ses djinns. Chroniques Livresques.

The Magical Alt-History Steamfunk of P. Djèlí Clark. SFF 180.

Sites internet