Jérôme Noirez
Décidément, les littératures associées aux territoires de l’imaginaire semblent avoir le vent en poupe. En témoigne l’arrivée d’une nouvelle collection — ou plus exactement marque éditoriale ou département, au choix — puisqu’il s’agit des éditions Albin Michel Imaginaire, lesquelles soufflent tout juste leur première bougie. Avec à leur tête Gilles Dumay, connu aussi sous le titre d’emprunt Thomas Day, bien connu des lecteurs de la revue Bifrost et auteur ayant publié pas moins d’une vingtaine de romans et recueils de nouvelles, pour la plupart chez Le Bélial’. Notre sieur est également connu pour avoir œuvré 18 années au sein de la collection Lunes d’Encre chez Denoël. Riche d’une douzaine de titres, ce nouveau département lancé chez Albin Michel se singularise d’emblée par la qualité de son catalogue, épaulé par une maquette des plus soignées. Rencontre avec l’intéressé, lequel revient sur le parcours de cette première année éditoriale.

Rencontre avec Gilles Dumay, Albin Michel Imaginaire

Entretien réalisé par Franck Brénugat

Les éditions Albin Michel ouvrent un nouveau département consacré à nos littératures de prédilection, sous le nom Albin Michel Imaginaire. L’éditeur est déjà bien connu des lecteurs de Stephen King, Maxime Chattam ou encore Bernard Werber. L’offre s’étend avec la naissance de cette collection qui souffle en cette reprise automnale sa première bougie. Fort d’une douzaine de titres, la maison peut se targuer de références de fort belle facture, comme en témoignent les poids lourds American Elsewhere de Robert Jackson Bennett ou le diptyque Mage de Bataille de Peter A. Flannery. Elle propose également au catalogue quelques premiers romans avec Semiosis de Sue Burke, Rivages de Gauthier Guillemin ou encore Une cosmologie de monstres de Shaun Hamill. L’audace se confirme par la publication d’auteurs hexagonaux auxquels ont répondu Franck Ferric, Guillaume Guillemin ou encore Jean-Michel Ré. Une réelle diversité conjuguée à une certaine audace, arme à double tranchant en parfaite adéquation avec le caractère bien trempé de notre barreur, il est vrai. Et au regard de cette première salve, on ne saurait s’en plaindre. Servie par une maquette des plus réussies — offrant un véritable plaisir de lecture — et des visuels de couverture d’excellente facture et au caractère assumé, voilà une collection qui se montre d’emblée fort prometteuse ! L’affaire est entendue : il nous faudra dorénavant compter avec la venue d’un nouveau poids lourd de l’édition. Au regard de l’explosion constatée ces dernières années de la culture geek et de la passion assumée de Gilles Dumay pour cette dernière, il semble que l’alignement des astres soit des plus profitables au petit dernier. Si le catalogue de l’année à venir se montre aussi riche et jubilatoire que celui de l’année encourue, les heures de lecture risquent alors de s’avérer plus nombreuses que prévues…

lefictionaute : Peux-tu revenir en quelques mots sur la genèse de cette aventure éditoriale ? 

Gilles Dumay : Alors que mon départ de Denoël semblait de plus en plus inéluctable, j’ai entendu parler de ce projet de département imaginaire chez Albin Michel par un de mes traducteurs, Gilles Goullet. Je me suis renseigné et j’ai rencontré dans un premier temps David Queffélec d’Adilibre (filiale d’Albin Michel), que je connaissais déjà via ses activités dans le milieu et NooSFere notamment, puis Alexis Esménard, directeur général du groupe Albin Michel et, alors, aussi directeur du développement numérique (ce qui me vaut encore aujourd’hui d’être rattaché au numérique). Alexis est un fan de science-fiction et de fantasy, c’est vraiment lui qui est à l’origine de ce projet. Nous avons discuté une première fois. Notamment d’auteurs à publier. J’ai quitté Denoël quelques mois plus tard et, comme j’avais une autre offre d’emploi, j’ai relancé les discussions qui ont abouti à un projet très ambitieux, dans un contexte où les groupes ont tendance à se désinvestir de l’imaginaire. 

Une année s’est écoulée depuis le lancement de la collection en automne 2018. Quel regard portes-tu sur cette première année éditoriale, riche déjà d’une douzaine de titres ?

C’est beaucoup de boulot. Je ne me souviens pas avoir autant travaillé de toute ma vie. La mécanique Albin Michel veut ça, c’est une boîte de bosseurs. Disons que c’est la première chose qui me vient à l’esprit, quand il s’agit de répondre à cette question. Après… il y a les résultats « financiers », et dans cette optique une période d’un an non révolu c’est trop tôt pour vraiment en tirer des enseignements. Au moment où j’écris ces lignes, certains titres du lancement sont encore éligibles pour des prix littéraires qui comptent. Disons que j’ai des indices, des tendances. À ce jour, les trois meilleures ventes (papier plus numérique) sont dans l’ordre Anatèm T1 de Neal Stephenson, Mage de bataille T1 de Peter A. Flannery et American Elsewhere de Robert Jackson Bennett. Bientôt Terminus de Tom Sweterlitsch va bouleverser ce classement, d’autant plus facilement qu’il cartonne en numérique, ce qui n’a pas du tout été le cas d’American Elsewhere, qui s’est vendu environ à 95 % en papier. Le marché change, sur certains titres j’ai des ventes numériques de l’ordre de 25 % (en nombre d’exemplaires vendus, pas en CA). J’y vois la récompense de ce que j’ai prôné avec une certaine fermeté : 50 à 60 % du prix du papier, pas de DRM, mais un autre système de protection. Il y a un autre aspect à prendre en compte, c’est celui des prix littéraires, de la recension critique, des influenceurs. On a eu de très beaux papiers sur le Franck Ferric, je pense notamment à la critique de Just A Word / Nicolas Winter. Le portrait de Sam J. Miller dans Libération. Le Grand Prix de l’Imaginaire pour la traduction de Anatèm par Jacques Collin, amplement mérité de mon point de vue. L’émission de radio Mauvais Genres sur France Culture avec Robert Jackson Bennett. Un très beau papier de Jean-Pierre Andrevon sur Terminus de Tom Sweterlitsch dans L’Écran Fantastique. Le blurb de Stephen King sur Une Cosmologie de monstres. Tout ça est encourageant. Ça me motive.

Le champ éditorial semble en France quelque peu saturé, eu égard au nombre exponentiel de titres pour un lectorat qui, lui, semble davantage suivre la pente inverse. Dans un paysage quelque peu saturé, quelle est justement la valeur ajoutée du département Albin Michel Imaginaire ?

Je peux difficilement raisonner en termes de « valeur ajoutée », ce serait mensonger. Je n’ajoute pas grand-chose : les livres que je publie seraient tous publiés par d’autres, tôt ou tard. Quand j’ai acheté Anatèm, un autre éditeur était sur le coup. Jean-Michel Ré avait une autre offre pour La Fleur de Dieu. Semiosis et Une Cosmologie de monstres ont été achetés aux enchères, et ce ne sont pas les seuls titres de ce cas dans mon catalogue. Par contre, je soustrais des projets à ma ligne éditoriale, comme d’éventuelles novellas, par exemple. Le Bélial’ a lancé le mouvement avec Une Heure-Lumière et beaucoup d’éditeurs ont emboîté le pas. Quand la question s’est posée pour la novella de Robert Jackson Bennett, Vigilance, que je ne voulais pas laisser partir vu le potentiel audiovisuel du texte, j’ai essayé d’inventer un recueil de trois novellas sans équivalent en anglais, mais la création de ce recueil posait plus de problèmes qu’elle n’en résolvait, et finalement Vigilance sortira au Bélial’ et la nouvelle série de Bennett, The Founders Trilogy, chez Albin Michel Imaginaire. Pour les lecteurs, ça ne change rien, ou pas grand’chose. Ce qui change dans cette histoire, c’est ma capacité ou pas à gagner de l’argent avec les titres que je retiens. Parce que gagner de l’argent, c’est ce qui permet de continuer. Je n’ai pas beaucoup de certitudes vis-à-vis de ce métier. J’avance toujours en me posant mille questions, pas forcément les bonnes d’ailleurs, mais je suis sûr d’un truc, les auteurs qu’on défend doivent être exceptionnels, c’est le seul moyen de s’extraire de la masse. Donc je recherche des personnalités qui sortent du lot, qui ont des convictions fortes, qui portent un univers depuis des années, etc. Quand on se plante, c’est dur, mais si c’est avec un truc exceptionnel, disons que c’est à la fois plus dur, parce qu’il faut digérer l’échec plus la déception, mais plus facile, car la qualité, l’ambition étaient là. Des fois on manque de chance, des fois on merde un truc qui a des conséquences très lourdes (une couverture, par exemple), des fois on est trop en avance ou trop en retard sur l’époque. Sur Les Étoiles sont Légion, je pense que j’étais trop en avance, que ce roman va continuer à gagner en audience, notamment auprès du public féminin.

Le catalogue comporte des titres de science-fiction et de fantasy, mais quid du fantastique, genre malheureusement délaissé depuis quelques années au profit de la fantasy notamment ? Le fantastique est-il à ce point persona non grata ? Y a-t-il une vie éditoriale après Stephen King et en dehors des multiples rééditions de Lovecraft ?

Déjà, je n’ai pas été engagé pour publier du fantastique. Ce n’était pas dans le projet de départ qui était plus fantasy épique / space opera / SF spéculative. Très visuel / sense of wonder. C’est ce qu’aime Alexis, qui est très attentif au choix des titres. J’ai acheté Une Cosmologie de monstres, car c’est un hommage critique à H.P. Lovecraft et que j’ai trouvé le bouquin génial (d’ailleurs, je considère que Lovecraft est un auteur de science-fiction, il n’a stricto sensu écrit qu’une petite poignée de nouvelles fantastiques). J’ai adoré le roman de Shaun Hamill et je l’ai imposé. Mais Alexis n’était pas très chaud pour qu’on aille sur ce terrain-là. Je l’ai fait pour ce livre-là, parce que je fais ce métier pour défendre ce type de romans. Et puis Stephen King m’a sauvé (notez bien que je ne lui ai pas demandé de le faire ;-). Il y a deux autres romans fantastiques que j’ai essayé d’acheter, mais au final ils ont été acquis par d’autres maisons d’édition. Le fantastique est un genre complètement sinistré sur le plan économique aux USA et en France. Ma conviction personnelle, c’est que le surnaturel va revenir en force, mais pas forcément en littérature de genres, encore que ça soit possible. Il peut aussi revenir en force en littérature « tout court ». En tout cas, je crois à ce genre (notamment à ses débouchés en termes d’adaptations audiovisuelles) et je fais attention à tout ce qui semble « sortir du lot ».

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Anatèm – Tome 1 — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2018 — © Neal Stephenson, 2008 — Illustration © Gaëlle Marco — Traduction Jacques Collin

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Anatèm – Tome 2 — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2018 — © Neal Stephenson, 2008 — Illustration © Gaëlle Marco — Traduction Jacques Collin

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American Elsewhere — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2018 — © Robert Jackson Bennett, 2013 — Illustration © Aurélien Police — Traduction Laurent Philibert-Caillat

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Mage de bataille – Tome 1 — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2018 — © Peter A. Flannery, 2017 — Illustration © Alain Brion — Traduction Patrice Louinet

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Mage de bataille – Tome 2 — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Peter A. Flannery, 2017 — Illustration © Alain Brion — Traduction Patrice Louinet

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Les Étoiles sont légion — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2018 — © Kameron Hurley, 2017 — Illustration © Manchu — Traduction Gilles Goullet

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La Cité de l’orque — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Sam J. Miller, 2018 — Illustration © Aurélien Police — Traduction Anne-Sylvie Homassel

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Le Chant mortel du soleil — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2018 — © Franck Ferric — Illustration © Guillaume Sorel

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Terminus — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Tom Sweterlitsch, 2018 — Illustration © Aurélien Police — Traduction Michel Pagel

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La Fleur de Dieu – Tome 1 – La Fleur de Dieu — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Jean-Michel Ré — Illustration © Pascal Casolari

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La Fleur de Dieu – Tome 2 – Les Portes célestes — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Jean-Michel Ré — Illustration © Pascal Casoleri

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Semiosis — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Sue Burke, 2018 – Illustration © Manchu — Traduction Florence Bury

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Une cosmologie de monstres — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Shaun Hamill, 2019 — Illustration © Aurélien Police — Traduction Benoît Domis

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Rivages — © Éditions Albin Michel Imaginaire, 2019 — © Gauthier Guillemin — Illustration © Aurélien Police

Nos Frenchies ont du talent ! Le catalogue s’est ainsi ouvert à trois auteurs hexagonaux : Franck Ferric, Guillaume Guillemin et Jean-Michel Ré. Quelle politique éditoriale accordes-tu justement à nos chères têtes blondes ?

La trilogie La Fleur de Dieu est un projet très ambitieux qui me tient à cœur. J’ai bien conscience qu’il est complètement hors-norme dans la production actuelle, mais c’est plutôt une qualité à mes yeux. Les autrices et auteurs français sont les bienvenus (quand je vois le nombre de manuscrits que je reçois par mois, j’ai quand même l’impression que le message est bien passé). D’ailleurs, au moins un autre nom va bientôt s’ajouter à Ferric, Ré et Guillemin. Après, c’est toujours le même problème, je cherche des auteurs exceptionnels et des projets exceptionnels. Et on n’en trouve pas tous les jours. Mais je ne vais pas me plaindre, je travaille actuellement sur deux ouvrages français qui m’enthousiasment terriblement.

Les littératures de l’imaginaire semblent avoir toujours autant de mal à gagner leurs lettres de noblesse, comparativement aux autres mauvais genres que sont le polar et le thriller. Sans parler de la bande dessinée… Est-ce là un problème typiquement français ? 

Je n’en sais rien. Je veux dire par là, je n’ai aucune connaissance de la réception critique de ces genres dans les pays étrangers. Même aux États-Unis qui sont le marché qu’a priori je connais le mieux, après le marché français, je ne sais pas comment sont vraiment traitées les littératures de l’imaginaire par les médias. En France, on aime bien râler, et il y a des raisons de râler, mais on oublie les Utopiales, les Imaginales, Trolls&Légendes. On regarde les chiffres de ventes, mais on oublie qu’il y a des auteurs qui se vendent de façon formidable : George R.R. Martin, Robin Hobb, Cixin Liu, Terry Goodkind, Christelle Dabos, Jean-Philippe Jaworski et j’en passe. Le constat « ça marche pas » est souvent le constat d’éditeurs chez qui « ça ne marche pas » ou « pas assez » ou qui sont déçus sur un titre en particulier. On ne prend pas en compte les crowfundings, les auto-édités. On ne prend pas en compte le CA global de ces genres, mais juste le CA du livre dans les circuits traditionnels (avant tout, il faut le reconnaître, parce que les outils n’existent pas). Qui compte les salons ? Qui compte les audiolivres quand il parle de ses ventes ? Qui compte le numérique ? Quand le numérique fait 2 %, OK, ce n’est pas grand-chose, mais quand il fait 10 ou 25 % des ventes en nombre d’exemplaires, on bascule quand même dans une autre économie. Je ne suis pas sûr que le CA de l’imaginaire soit en baisse, il me semble qu’il s’éparpille et notamment dans des choses qui passent sous le radar des libraires : crowfundings, achats d’auto-édités en ligne ou en salon. Il se dilue en littérature dite générale. Quand vous achetez L’Âme des horloges de David Mitchell, d’un point de vue comptable ce n’est pas de l’imaginaire, c’est de la littérature étrangère, alors que d’un point de vue littéraire c’est de l’imaginaire. Quand les lecteurs d’imaginaire lisent Sauvage de Jamey Bradbury, c’est exactement le même phénomène. L’imaginaire est partout en littérature, ce n’est pas nouveau. Pour moi, le constat à faire, c’est que l’imaginaire a infecté durablement la littérature générale, qu’il est devenu la culture dominante en séries télé, au cinéma et en BD, que ce n’est pas récent, et que si ça ne suit pas en librairie, chez nous, ça dit entre autres quelque chose sur la façon dont les médias aiment parler de la littérature en France. Je m’en fous de faire du « respectable », je suis fier de publier des livres avec des vaisseaux spatiaux, des dragons, des monstres, des robots, des zombies. Parce que je sais que cette littérature est la plus politique et la plus philosophique qui soit. Le polar est sociétal, la SF est philosophique. Le polar est populaire ; la bonne SF doit concilier d’être à la fois populaire et élitiste. La SF est une littérature vertigineuse, le polar peut difficilement l’être. Anatèm de Neal Stephenson est ma meilleure vente, si demain Terminus de Tom Sweterlitsch devient ma meilleure vente (et je ne vois pas trop comment la tendance pourrait s’inverser) on a là deux livres très ambitieux, pas faciles. Ça dit quelque chose des attentes du lectorat d’Albin Michel Imaginaire.

Certaines grandes maisons d’édition (Gallimard, Actes Sud, Michel Lafon et maintenant Albin Michel) s’engouffrent vaillamment dans ce marché propre à nos littératures de prédilection. Ne risquent-elles pas de réduire davantage encore la visibilité des plus petites structures historiques, pourtant essentielles au genre ?

Vaillamment ? Gallimard, je vois pas trop ce qu’ils publient en SF. Ou alors vous faites référence à Folio-SF, qui réédite, mais ne crée presque rien. De quand date le dernier inédit en Folio-SF ? Actes Sud fait quatre titres par an, Michel Lafon deux, Albin Michel + Albin Michel Imaginaire quinze, ça fait quoi en tout ? Trente titres contre mille cinq cents. Aux éditeurs que vous citez, vous pouvez ajouter Denoël et Fleuve Éditions, vous n’arrivez même pas à la production annuelle grand format de Bragelonne. Certains petits éditeurs « historiques » ont les libraires de leur côté. Ça compte énormément d’avoir un tissu de libraires, un réseau sur lequel compter. Certains gros ont perdu ça (ou ne l’ont jamais eu) et font des tapis de bombes en termes de mise en place. Certains gros ont les libraires avec eux et travaillent plus fin. Il n’y a pas de place pour tout le monde, c’est une évidence à l’instant t, mais ce serait bien qu’il y ait de la place pour tous les bons, tous ceux qui défendent leurs auteurs, misent sur la qualité de leur travail, etc. Malheureusement, ça ne fonctionne pas comme ça. Et, malheureusement pour eux, car ils sont débordés et ont d’autres contraintes nettement plus vitales, c’est aux libraires de faire le tri dans la surproduction d’Imaginaire. Et aux lecteurs. Le marché ne pourra pas rester longtemps en surchauffe comme il l’est actuellement. Ou alors si, mais au rythme incessant de disparitions d’anciennes marques et d’apparitions de nouvelles marques.

L’année 2020 promet-elle d’être aussi riche que celle déjà écoulée ? Quels sont les projets et ambitions qui marqueront l’année à venir ?

En 2020, j’ai prévu onze titres dont une intégrale. De mon point de vue, c’est beaucoup. Trois auteurs français et huit anglo-saxons. Dix auteurs masculins et une autrice (là, c’est clairement pas top, mais j’ai beau tourner le truc dans tous les sens, je peux pas faire mieux sur 2020 – notez bien que ça me pose un problème, mais que je n’ai pas trouvé de solution). J’ai presque trop d’enjeux (en termes de lancements marketing), deux auraient été bien, j’en compte quatre : Le Livre de M de Peng Shepherd, Gnomon de Nick Harkaway (en deux tomes), Foundryside de Robert Jackson Bennett et un roman français en signature, sur lequel je compte énormément, un formidable coup de cœur. Pour moi, 2020 sera une grande année, en tout cas sur le plan de l’ambition et de la qualité des textes.

Avec une responsabilité comme la tienne, trouves-tu encore le temps d’écrire ? Couves-tu quelque projet en ce sens ?

Je n’écris plus que des scénars de BD, et encore c’est en trompe-l’œil, car Macbeth, roi d’Écosse, par exemple, c’est un truc que j’ai fini il y a cinq ans. J’ai quelques scénars finis dans mes cartons qui attendent une illustratrice ou un illustrateur, notamment l’adaptation en roman graphique de Dragon. J’ai un truc en cours avec Aurélien Police et j’ai bien entamé un projet que je voudrais proposer à Guillaume Sorel… quand j’aurai fini. Donc pas tout de suite ;-). À un moment, j’ai vraiment failli basculer : devenir scénariste BD et laisser derrière moi ma casquette d’éditeur (j’ai fait mes comptes des dizaines de fois, c’était casse-gueule, mais jouable). J’aime les deux, mais je ne regrette pas le choix que j’ai fait. En tant qu’éditeur, je suis noyé sous le travail, je n’ai aucune échappatoire. Rien ne dit que j’aurais réussi à pondre trois bons scénars de BD par an, à maintenir ma tension créatrice. Et je me sens « chez moi » chez Albin Michel, j’aurais du mal à expliquer pourquoi, mais c’est une maison hors-norme, une maison qui vous fait confiance même quand vous proposez des trucs insensés, comme des livres numériques sans DRM ou publier Anatèm en deux volumes. Quand j’arrive le matin, assez tôt souvent (parce que je suis du matin et non du soir), je dis bonjour à la fille de l’accueil, je salue Amélie Nothomb si elle est dans son bureau occupée à écrire à ses fans. Je me prépare un thé noir, je dis bonjour à Rosa « du bureau d’en face » qui s’occupe entre autres de « mes » droits audiolivres et qui arrive presque toujours avant moi. Je branche mon portable sur le réseau, je bois une gorgée de thé et je me dis immanquablement : « y’a du boulot, Gillou, faut s’y mettre. Personne le fera à ta place. »

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Albin Michel Imaginaire prend le pouvoir ! Éditions Albin Michel.

Gilles Dumay présente Albin Michel Imaginaire. Librairie Mollat.

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