Jérôme Noirez
Lee Bermejo est bien connu des aficionados de l’univers DC, tant le premier fait preuve d’une production riche et soutenue au bénéfice du second. Bermejo perce avec la mini-série Luthor et le crossover Batman/Deathlow, mais c’est sans conteste le roman graphique Joker qui permet à notre auteur d’acquérir l’immense reconnaissance dont il jouit aujourd’hui. Ayant œuvré sur une bonne quinzaine de licences, et pas des moindres, il se démarque également par la création de plus de deux cents couvertures. Une œuvre pléthorique, ramassée sur deux décennies qui plus est. Stakhanoviste au talent protéiforme, Bermejo se singularise par une griffe inimitable et un talent jamais démenti. Les éditions Urban Comics publient en cette fin d’année avec Lee Bermejo : inside – En terrain obscur un généreux artbook dont la richesse iconographique n’a d’égal que le talent du bonhomme.

Infos pratiques

Lee Bermejo inside : En terrain obscur

Lee Bermejo

John Arcudi, Brian Azzarello, Sarah Chantepie, Barbara Ciardo, Carlos D’Anda, Will Dennis, Jeremy Geddes, Adam Hughes, Jock, Patricia Mulvihill

Brian Azzarello

Sarah Chantepie, Maxime Le Dain, Jérémy Manesse

Stephan Boschat

Nicolas Cardeilhac

États-Unis

Urban Comics

Inédit

Octobre 2019

324 pages

23,5 x 31,5 / Couverture cartonnée

39,00 euros

979-1-0268-1963-9

© Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2019
© Brian Azzarello, 2019 — © Lee Bermejo, 2019

Lee Bermejo inside :
En terrain obscur

Collectif

Éditions Urban Comics

Chronique réalisée par Frank Brénugat

Comics

Univers DC, Wildstorm et Panini

Crayonnés, illustrations et planches encrées

NOTRE ÉVALUATION

Richesse iconographique
Contenu éditorial
Maquette
Vidéos
liens Internet

THÉMATIQUE

Autodidacte et déjà lecteur compulsif des univers de Spiderman et de Batman durant sa tendre enfance, Lee Bermejo concède volontiers que les années passées au studio Wildstorm — label de la maison d’édition indépendante Image Comics — lui permirent d’acquérir une véritable formation académique. Au fur et à mesure de ses différents projets, il marque peu à peu une distance légitime avec cette dernière, encrant son travail dans une dimension toute personnelle et reconnaissable entre toutes. Le scénariste bien connu du Gotham des univers DC, Brian Azzarello, déclare à propos de ce dernier : « Je pourrais tenter de le comparer à certains dessinateurs de comics, mais selon moi, la production de Lee a bien plus en commun avec la démarche des peintres figuratifs britanniques de ces 75 dernières années. Il m’apparaît comme l’héritier direct d’artistes comme Francis Bacon, Lucian Freud ou encore Jenny Saville ; des peintres pour lesquels nos corps ne sont que le support plastique de nos émotions. Tout comme eux, Lee a compris une chose essentielle : la vie est une souffrance. » Simple mécanique — comme aimait également le rappeler un certain Descartes —, le corps humain se réduit finalement à de simples agrégats de chair et de sang, de vulgaires « sacs à viande ambulants » pour reprendre le bon mot de Brian Azzarello.

Il est vrai que les créations de Bermejo transpirent la puanteur, la sueur, le sordide, la souffrance, en un mot, l’humanité. Une humanité faite chair, pour le meilleur, mais singulièrement aussi pour le pire. Si le trait se fait au départ en un noir et blanc rêche et acéré, il se révèle au fil des compositions plus dérangeant, dévoilant derrière quelque sombre recoin, la nature tragique et maladive de cette mécanique du vivant, reflet ô combien fragile et éphémère de la vie.

Cette sensibilité toute bermégienne le porte à davantage orienter son travail vers certaines inspirations européennes, comme en témoigne la mini-série Batman Deathblow : After the Fire publiée entre mars et octobre 2002, laquelle voit naître la collaboration entre Lee Bermejo et le scénariste Brian Azzarello — collaboration jamais démentie depuis. Bermejo y avoue son adoration pour l’incomparable Sergio Toppi. Attilio Micheluzzi et Tanino Liberatore sont également mentionnés comme source d’inspiration parmi nos voisins transalpins. Concernant nos auteurs hexagonaux, sont cités Nicolas de Crécy pour son remarquable travail sur les couleurs de sa série Léon la Came ainsi que Manu Larcenet et Arthur de Pins. Outre-Atlantique, ce sont ses compatriotes Paul Pope et Geof Darrow qui ont droit de cité, tandis que Tatsuyuki Tanaka et Hajime Sorayama ont la préférence de notre auteur parmi ses confrères nippons. Autant d’influences plus ou moins revendiquées, lesquelles s’épanouissent au détour de la riche production de notre auteur-dessinateur — endossant à l’occasion le rôle d’auteur-scénariste. Mentionnons les titres sur lesquels notre bonhomme a œuvré, énumération qui force d’emblée le respect : Superman/Gen¹³, Batman/Deathblow, Lex Luthor : Man of Steel, Joker, Wednesday Comics, Batman Noël, Before Watchmen : Rorschach, Batman Black & White, We Are Robin, Suiciders et la dernière création en date, Batman Damned.

Joker — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2008 — © Brian Azzarello, 2008 — © Lee Bermejo, 2008
Joker — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2008 — © Brian Azzarello, 2008 — © Lee Bermejo, 2008
Joker — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2008 — © Brian Azzarello, 2008 — © Lee Bermejo, 2008
Joker — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2008 — © Brian Azzarello, 2008 — © Lee Bermejo, 2008
Batman : Damned — Batman Damned #3 — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2018 — © Brian Azzarello, 2018 — © Lee Bermejo, 2018
Batman/Deathblow — Bathman/Deathblow : After the Fire #3 — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2002 — © Panini Comics 2007 — © Brian Azzarello, 2002 — © Lee Bermejo, 2002
Joker — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2008 — © Brian Azzarello, 2008 — © Lee Bermejo, 2008
Before Watchmen : Rorschach — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2012 — © Brian Azzarello, 2012 — © Lee Bermejo, 2012
Hellblazer — Hellblazer #225 — Illustration de couverture — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2006 — © Lee Bermejo, 2006
Suicide Squad — Suicide Squad #1 — Illustration de couverture alternative — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2016 — © Lee Bermejo, 2016

Lecture

En parcourant ce bien bel objet qu’est Lee Bermejo inside, le lecteur ne peut être d’emblée qu’interpelé par le talent protéiforme de Bermejo. Aussi doué sur le terrain du dessin que celui de l’illustration de couverture — deux exercices bien distincts et aux codes bien spécifiques —, notre auteur aime à donner un travail marqué par de puissants contrastes, lesquels ne sacrifient en rien par ailleurs à la subtile finesse des détails, méticuleusement pensés et orchestrés avant d’être couchés sur le papier. Plus qu’un style, une griffe, aime à rappeler son confrère Dustin Nguyen, griffe qui permet au travail de l’intéressé d’être reconnaissable entre tous. Offrant un coup de crayon très réaliste et organique, il pousse les détails dans leur moindre retranchement, allant jusqu’à refléter les segments d’une scène dans les pupilles d’un personnage ou les poignées de portes… Si le mieux est l’ennemi du bien, l’auteur avoue au contraire vouloir immerger le lecteur au plus proche de la scène, le plongeant ainsi dans les odeurs, les textures et les chairs. Se dégage dès lors de ses compositions une atmosphère entêtante, sinon oppressante et poisseuse.

Outre ce souci obsessionnel du détail, Bermejo fait montre d’un talent protéiforme, peignant parfois directement ses planches au lavis, sans même les encrer… Aussi doué pour le dessin et la couleur que l’illustration — il met un point d’honneur à toujours vouloir illustrer lui-même les couvertures de ses récits, par respect pour le lecteur, parfois quelque peu déçu, il est vrai, entre les promesses d’une couverture et les déconvenues des pages intérieures —, Bermejo s’est par ailleurs essayé au scénario pour d’autres dessinateurs. Ce sont toutefois sur les grands formats que le talent de notre auteur se montre sous son meilleur jour, lorsque ses délirantes compositions peuvent se libérer du carcan parfois trop contraignant du gaufrier, débarrassé ainsi de tout frein qui pourrait venir contrarier cette folle ambition. Ces grandes compositions qui n’en finissent pas lui permettent de concurrencer la forme cinématographique, offrant des panoramas dignes de certains longs métrages. Ces dernières reflètent d’ailleurs son amour pour le cinéma, combinant les sombres univers d’un Blade Runner ou d’un Mad Max à la dureté d’un Fight Club. En ce sens, l’univers torturé de Batman se prête admirablement bien au talent de Bermejo. Il peut à loisir y développer son sens remarquable de la composition et du cadrage, tout comme son aptitude à rendre vivante la dimension narrative du récit. Doué d’un talent protéiforme, d’une intégrité artistique manifeste et d’une rigueur imparable, le sieur se montre qui plus est, selon son entourage, une personne fort généreuse, douce et humble. Travailleur exigeant et acharné, il ne manque ainsi jamais de se montrer disponible auprès de ses confrères, et ce, avec toute l’affabilité qu’on lui reconnait.

Lee Bermejo inside constitue un beau bébé pesant ses 324 pages pour un format fort généreux qui plus est. La grande majorité de la pagination est échue aux illustrations, tantôt en noir et blanc, tantôt en couleurs, faisant la part belle à une double pagination, seule à même se saisir toute la force narrative de ses compositions. Découpé en treize chapitres, correspondant aux principales séries de son œuvre, l’ouvrage propose un long et passionnant entretien découpé en autant de parties, entretien orchestré par Sarah Chantepie — également traductrice de l’ouvrage. Une rencontre savamment orchestrée, nous permettant de saisir pleinement la démarche artistique et intellectuelle de l’auteur. Si cet entretien constitue l’épine dorsale du projet rédactionnel, ce dernier se voit adjoindre une petite dizaine de textes signés par autant de collaborateurs différents. Ces textes sont en revanche d’un intérêt parfois discutable, l’exercice n’échappant pas toujours à l’écueil de la traditionnelle et éprouvante charge laudative — ce que nous pardonnons en partie, au regard du talent manifeste du bonhomme. L’objet aurait bien requis par ailleurs une préface ou un paratexte plus substantiel, afin de nous familiariser davantage avec le parcours personnel et professionnel de l’intéressé. En dehors de cette réserve, force est de constater le sérieux avec lequel les éditions Urban Comics continuent de travailler pour nous offrir des artbooks dignes de ce nom.

Lee Bermejo inside constitue indéniablement un bel objet, jouissant d’une reproduction exemplaire tant dans le choix des œuvres que dans leur conception graphique. Au regard de cette belle et opulente richesse iconographique, servie par un format tout aussi généreux, les quelque 40 euros demandés pour jouir du précieux sont amplement justifiés. Objet indispensable pour tout amateur de Lee Bermejo ou des univers DC, cela s’entend, mais également pour les nombreux amateurs de bandes dessinées ou d’univers graphiques. On attend avec une impatience toute fébrile le prochain titre d’une collection déjà fort bien achalandée.

Sommaire

Introduction de Brian Azzerello
Chapitre 01 — 1998-2000 : Les années Wildstorm
Chapitre 02 — 2000 : Superman/Gen¹³
Chapitre 03 — 2002 : Batman/Deathblow
Chapitre 04 — 2005 : Lex Luthor : Man of Steel
Chapitre 05 — 2008 : Joker
Chapitre 06 — 2009 : Wednesday Comics
Chapitre 07 — 2011 : Batman Noël
Chapitre 08 — 2012-2013 : Before Watchmen : Rorschach
Chapitre 09 — 2014 : Batman Black & &White
Chapitre 10 — 2015 : We Are Robin
Chapitre 11 — 2015 : Suiciders
Chapitre 12 — 2018-2019 : Batman Damned
Chapitre 13 — Autres projets
Chapitre 14 — Les couvertures
Bibliographie

Slide 1 : Batman/Deathblow — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2002 — © Brian Azzarello, 2002 — © Lee Bermejo, 2002
Slide 2 : Batman Noël — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2011 — © Lee Bermejo, 2011
Slide 3 : Batman Noël — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2011 — © Lee Bermejo, 2011
Slide 4 : Suiciders — Suiciders #2 — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2015 — © Lee Bermejo, 2015
Slide 5 : Batman : Damned — Batman Damned #3 — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2018 — © Brian Azzarello, 2018 — © Lee Bermejo, 2018
Slide 6 : Batman : Damned — Batman Damned #3 — Lee Bermejo inside : En terrain obscur — Lee Bermejo — © Éditions Urban Comics, 2019 — © DC Comics, 2018 — © Brian Azzarello, 2018 — © Lee Bermejo, 2018

Vidéos

DC Comics Art Academy Featuring Lee Bermejo. DC.

Lee Bermejo Inside est somptueux. comicsplace.

Sites internet