Jean-Marc Ligny poursuit sa vindicte à l’encontre des puissances de l’argent qui détricotent notre belle planète au travers de ce nouvel opus écologique. Disponible dans le superbe label Mu aux éditions Mnémos, EcoWarriors conte les (més)aventures d’une brochette de jeunes gens que tout oppose, en lutte contre un industriel ayant porté préjudice à leurs proches. Basculant peu à peu d’une résistance passive à un affrontement nettement plus engagé et controversé, le groupe verra ses enjeux et sa cohésion remis en question au regard d’une action armée qui semble inexorablement les conduire à une spirale des plus dangereuse.
Infos pratiques
EcoWarriors
Jean-Marc Ligny
Éditions Mnémos
Chronique réalisée par Franck Brénugat
HISTOIRE
Le jeune Malik Azzedine vient de perdre son père lors d’un accident industriel conduisant à une terrible explosion ayant entraîné la mort de plusieurs personnes, alors que ce dernier tentait d’enrayer une fuite d’hydrogène sous les ordres express de sa hiérarchie, et ce, en dehors de tous les protocoles de sécurité. Les véritables responsables sont bien vite écartés, le père de Malik endossant, victime toute désignée, la défaillance de la réparation et du drame qui s’ensuivit. De son côté, Fiora, jeune militante au sein de l’association « Une Seule Terre » voit son mentor sérieusement amoché par un tir de LBD de la Brav-M lors d’une manifestation pacifique. Convaincue que la résistance non violente est condamnée à l’échec, elle envisage d’enclencher la vitesse supérieure, en goûtant à une forme d’action plus combative et efficiente. L’un comme l’autre, au regard d’une justice dérobée, et désireux de faire valoir la leur, vont être amenés par un étonnant concours de circonstances à se rencontrer. Fiora, que le fanatisme n’effraie guère va par la suite entraîner notre jeune Maghrébin de la banlieue lyonnaise — en sérieuse galère et en manque cruel de fonds — à cofonder un groupuscule insurrectionnel dont l’objectif consistera dans le kidnapping de patrons voyous et écocides. Ce dernier portera le nom d’EcoWarriors. Épaulés par quatre autres compères, tout aussi peu coutumiers de l’exercice, nos tourtereaux, embarqués dans une romance rondement consommée, vont dès lors détrousser les comptes en banque de ces derniers contre une promesse de libération.
Leur première action les conduit justement à kidnapper le boss de l’usine pétrochimique Polyplast qui a vu le père de Malik mourir et accusé à tort du drame qui s’est joué. Une séquestration quelque peu chaotique, mais dont le généreux million d’euros récolté donne des ailes à l’équipée sauvage des EcoWarriors. Aidés en cela par une nerd de bonne famille, dont la mission consiste à récupérer le compte bancaire frauduleux des intéressés et par The Beast, ancien militaire reconverti dans les trafics en tous genres, nos apprentis guerriers élaborent un plan autrement plus audacieux : le kidnapping d’un groupe de patrons de grosses entreprises et le racket de leurs comptes, tandis que ceux-ci s’encanaillent aux frais d’un invité richissime à bord d’un luxueux yacht. Une opération sinon plus complexe à mettre en œuvre, a fortiori lorsque nos Robins des bois des temps modernes se savent dorénavant pourchassés par des autorités bien remontées et décidées à coffrer au plus vite ces délinquants. D’autant plus que leur action commence à faire quelques émules, au grand dam des services de sécurité nationale, lesquels craignent une prolifération de ce type d’actions pouvant conduire à l’embrasement du pays…
Lecture
C’est toujours accompagné d’un plaisir non dissimulé que nous entamons la lecture du dernier Ligny, lequel auteur se démarque plus que jamais comme un écrivain enragé et engagé, dont la marotte s’ancre depuis quelques éons déjà sur les questions d’obédience écologique. Et comme de coutume, Ligny y fait montre d’une générosité jamais prise en défaut. La narration se montre alerte et enjouée, reprenant les codes d’un bon vieux page turner. Les péripéties et autres rocamboles de nos écoterroristes — lesquels font preuve d’un professionnalisme fort étonnant pour une telle brochette d’amateurs — se suivent ainsi avec une régularité de métronome et se laissent appréhender par le lecteur avec une facilité et un enthousiasme manifestes. Le texte repose essentiellement sur la forme dialoguée, laquelle nous permet de bien saisir la nature conflictuelle de leur singulière et aventureuse entreprise, les centres d’intérêt divergents des uns et des autres et l’inéluctable descente aux enfers qui semble se profiler au terme de leur éphémère lutte armée.
On pourra s’étonner en revanche de voir un tel récit dans la collection Mu des éditions Mnémos, tant la transversalité des genres — argument de la collection — semble faire ici défaut. Il relève de la politique-fiction, flirtant doucereusement vers l’anticipation. Un argument qui ne saurait pour autant remettre en cause l’intérêt d’une telle entreprise, cela s’entend. Une entreprise qui, par ailleurs, plaira peut-être davantage au jeune public auquel elle s’adresse partiellement, quand bien même certains enjeux prennent en fin de partie une dimension plus adulte. Il est à rappeler qu’EcoWarriors se présente comme étant la réécriture du roman jeunesse Green War paru en 2010 pour le compte des éditions Intervista, et garde de celui-ci quelques incontournables réminiscences. Notamment quelques très courts passages érotico-sexuels, quelque peu redondants, perçus comme autant de scories dispensables, oscillant plus ou moins (mal)adroitement entre l’héritage des codes du roman young adult et la littérature érotique adulte.
Mais l’essentiel est ailleurs. EcoWarriors justifie sa raison d’être au travers d’un regard critique sur notre société de consommation écocide, entretenue et encouragée par des industriels et entrepreneurs, plus soucieux des profits de leurs actionnaires — et des leurs — que des conséquences ô combien néfastes et irréversibles de leur activité. Ligny se montre en cela toujours aussi clairvoyant à l’égard des dérives capitalistiques de nos sociétés occidentales modernes, et c’est aussi en cela qu’on l’aime. S’il est vrai que les stratégies d’intimidation de nos EcoWarriors s’avèrent légalement condamnables, elles n’en soulèvent pas moins certains questionnements, qui eux, se révèlent en revanche des plus légitimes. En effet, au regard de l’urgence climatique — dont on s’abstiendra de rappeler ad nauseam les enjeux, tant ces derniers relèvent de l’évidence cartésienne —, se pose la question très politique de la nécessaire désobéissance civile, action juridiquement condamnable, opérée en vue de précipiter une prise de conscience collective, jugée impérieuse et salvatrice. Le récit lignyen aborde en ce sens la très philosophique problématique opposant le légal au légitime. Autrement dit, faut-il se montrer plutôt kantien, et accorder dès lors la prééminence de la loi sur l’homme — la loi seule pouvant justement nous préserver de l’iniquité de l’homme ? Ou convient-il a contrario de se montrer plutôt marxiste, accordant cette fois-ci la précellence de l’homme sur la loi — cette dernière étant justement au service de l’homme, et non l’inverse ? Et au regard de leur action, nos EcoWarriors s’affichent résolument plus marxistes que kantiens…
Face à l’inertie ambiante du peuple et de l’élite, il nous faut un électrochoc, capable d’opposer aux dignitaires de l’anesthésie générale une stratégie du réveil. « Réveiller le peuple », professait déjà Victor Hugo dans une lettre à Hetzel. Au-delà des poètes et des philosophes, quel écrivain n’a pas en effet rêvé de faire bouger les lignes, de sortir la multitude de sa dormition par le truchement de sa prose éclairée ? Pour s’extraire de ce coma artificiel, de cette catatonie mortifère, le remède ne peut que s’affirmer par la mise en place d’une thérapie de choc, préférable à l’ennui mortel d’une vie aseptisée et à la déconfiture annoncée de nos sociétés, bouleversements climatiques obligent. Mobiliser à la fois les forces centrifuges — accélération du déclin — et les forces centripètes — amplification de la radicalité. On lira en ce sens Réflexion sur la violence de Georges Sorel ou encore Essai sur la violence de Michel Maffesoli. Ou le parcours de nos EcoWarriors pour les secondes. Certes, l’entreprise visant à accélérer le basculement tant espéré, opérée sous les coups de boutoir de la littérature se montre plus que légitime et nécessaire, sinon grisante, mais également quelque peu improbable dans un contexte sociétal où le nombre de livres sur nos étals s’affichera bientôt supérieur à celui des lecteurs… À ce compte-là, les patrons du CAC 40 peuvent continuer à dormir tranquilles ; la révolution attendra… Et ce, d’autant plus que le gauchisme révolutionnaire, notamment dans sa variante écologiste, tient davantage du marqueur idéologique de la petite bourgeoisie urbaine que d’une réelle armée politique. Par ailleurs, et au risque de contrarier certains camarades bien-pensants et guère clairvoyants, au regard d’une pression migratoire de plus en plus invasive et insoutenable, organisée par une Europe libérale-immigrationniste désinhibée, si insurrection il y a, elle sera raciale bien avant d’être écologiste…
Si le récit sait parfaitement se mettre au service du concept défendu par son auteur, il n’échappe malheureusement pas à quelques travers. Ligny ne parvient pas à nous faire l’économie de quelques (grosses) ficèles scénaristiques et autres (non moins grosses) invraisemblances. Sans omettre quelques biais gauchisants — le père de TitNat, caricature consubstantielle du vigile raciste, violent et alcoolique, interrogatoire policier musclé avec usage de décharges électriques (sic !), intervention du RAID quelque peu disproportionné et édifiante… Un procès à charge faut-il en convenir. Ces quelques dissonances cognitives entendues, demeure un récit fort plaisant, et suffisamment addictif pour désirer voir la résolution de son épilogue, quand bien même EcoWarriors ne parviendrait pas à rivaliser avec la superbe Trilogie climatique du même. On appréciera à sa juste mesure également cette belle métamorphose (partielle) du moi orchestrée par le jeune Malik, que l’on soupçonnerait davantage préoccupé par la cause palestinienne que par les questions environnementales. Bon sang ne saurait mentir — dissonance cognitive, quand tu nous tiens…
Le récit science-fictif de Ligny a le privilège indéniable de constituer une brique à ce que l’essayiste Yannick Rumpala nomme un « réservoir cognitif », réceptacle de lectures et d’expériences à même de pouvoir, fort de leur diversité, proposer « une autre forme de connaissance du futur, plus expérimentale. » EcoWarrios représente en cela une expérience, certes littéraire, mais combative, certes aussi édifiante par moments, mais qui jamais ne sacrifie le récit sur l’autel des idéaux de son auteur. Et c’est déjà beaucoup…
« Car si on agit pas pour abattre ce capitalisme mortifère, reprend Fiora, qu’est-ce que vous croyez qu’ils vont faire ? Ils vont essorer à sec cette planète et ses habitants humains et non humains, puis se retireront dans leurs îles privées et silos climatisés y finir paisiblement leurs jours dans le luxe et la volupté. Et de votre côté, vous et vos animaux mourrez de soif et de faim parce que la lande aura viré au désert, que la rivière sera à sec, qu’il fera cinquante degrés l’été et que l’hiver ne sera qu’une longue série d’ouragans. Il faut des gens pour poser les bases d’une nouvelle société, et il faut des gens pour miner les bases de l’ancienne avant qu’elle rende tout avenir impossible — du moins pour nous autres humains. »
Vidéos
Jean-Marc Ligny – Ecowarriors. Librairie mollat.
Le romancier : Jean-Marc Ligny – Les Armes de la Transition. Le Vent Se Lève.