Jérôme Noirez
Grand amateur de films zombiesques, comme il nous le confie dans sa postface, Jérôme Noirez nous propose Brainless, aux Éditions Gulf Stream, premier titre de la nouvelle collection Électrogène, orientée jeune adulte. La maison d’édition est en effet désireuse d’élargir son public en s’adressant aux adolescents. Elle donne à voir un bel objet dont la maquette originale séduit avec ses tranches colorées. Ce premier titre nous conte l’histoire d’un jeune adolescent nouvellement mort-vivant et confronté au quotidien de sa nouvelle condition. Un roman qui peut s’avérer au premier abord léger, sans enjeu réellement notoire. Légèreté apparente pourtant, puisque, derrière une bluette pour teenagers des plus convenues, c’est le portrait d’une certaine jeunesse américaine qui est passé au vitriol, une jeunesse condamnée aux affres de l’ennui et de la superficialité de son temps.

Infos pratiques

Brainless

Jérôme Noirez

France

Ktsimage / Istock

Jeanne Mutrel

Nadia Humbert

Romain Allais

Gulf StreamÉditeur

Électrogène

Inédit

Mai 2015

258 pages

Grand Format

16 Euros

978-2756074160

©Gulf StreamÉditeur, 2015 – ©Jérôme Noirez, 2015 – ©Ktsimage / Istock

BRAINLESS

JÉRÔME NOIREZ

ÉDITIONS GULF STREAM

Chronique réalisée par Frank Brénugat

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages

Histoire

Brainless, de son vrai prénom Jason, partage un étrange point commun avec les quelque 432 autres comparses référencés à ce jour aux États-Unis : celui d’être un zombie, ou plutôt un « revivant »ou « subvivant »si l’on en tient au lexique médical officiel. Ces mêmes autorités médicales ont déclaré l’adolescent atteint du Syndrome de Coma Homéostatique Juvénile (SCJH). Ces dernières s’avèrent toutefois incapables d’en connaître l’origine. Seuls les adolescents sont concernés par cette récente pathologie, laquelle ne présenterait pas a priori de caractère contagieux. Ce syndrome se manifeste par la résurrection physique des jeunes décédés, sans raison apparente. Le nombre croissant des cas référencés ne manque pas toutefois d’inquiéter lesdites autorités. Deux catégories semblent manifestement se détacher parmi ces « revivants ».La première concerne ceux dont le cerveau est notablement trop abîmé – eu égard à la nature de leur décès impliquant ce dernier –et qui se voient dès lors condamner à l’enfermement. La seconde concerne ceux dont les lésions au cerveau sont moindres et qui peuvent de facto prétendre à une vie sociale à peu près normale, malgré une certaine lenteur d’esprit comme épiphénomène. Fort heureusement, notre jeune protagoniste appartient à la seconde. Seulement, afin de poursuivre cette étrange expérience parmi les vivants en tant que zombie, convient-il encore de s’astreindre à une hygiène drastique, laquelle consiste en une injection quotidienne de formol afin d’éviter tout pourrissement et en un régime alimentaire excluant tout ingrédient autre que la viande crue afin d’apporter au cerveau le peu de cohésion qui lui reste. Aucun manquement n’est toléré. Si par mégarde la deuxième condition n’était pas respectée stricto sensu, les deux hémisphères du cerveau éprouveront alors les plus grandes difficultés à communiquer. Déjà que Brainless n’avait pas la réputation d’être une lumière en temps normal…

C’est donc ce jeune adolescent que nous découvrons dans son quotidien au travers de ce récit, lequel jeunot s’apprête à faire sa rentrée des classes en seconde. Naturellement, il ne manque pas de connaître les turpitudes de tout lycéen américain, turpitudes entendues  selon les canons en vigueur véhiculés par notre imaginaire. Le voici ainsi pris à partie entre des bimbos outrageusement aguicheuses et pestes jusqu’au bout des ongles, entre le très prometteur capitaine de l’équipe sportive « Les Renards Enragés » et entre la gentille végétarienne et gothique Cathy. Le tableau ne serait guère complet si nous ne faisions mention de deux autres comparses au pedigree a priori irréprochable, mais dont les manigances semblent plus que ternir ce frêle vernis… La timide Cathy découvre au fil des pages que Brainless est un mort-vivant, et, loin de vouloir prendre ses jambes à son coup, manifeste tout au contraire sympathie et intérêt sincère à l’égard de notre malheureux. Pour ne pas dire davantage… Cela tombe plutôt bien : la demoiselle – comme notre protagoniste d’ailleurs – est grande amatrice de films horrifiques. Seulement voilà, si Jason est également un amateur éclairé du cinéma d’horreur, il ne semble en revanche guère expérimenté sur le terrain si délicat et codifié de la séduction… Et puis, son obsession à lui, ce serait plutôt de goûter de la cervelle humaine, désir ô combien irrépressible ! Question de priorité… et de nature… Mais comment concilier les exigences de cette dernière – et quelques autres – avec les règles bien établies de la société des vivants ? Toute la difficulté est là, et Brainless devra redoubler d’imagination afin de résoudre cette quadrature du cercle… Pari ô combien hasardeux pour notre jouvenceau !

Lecture

Dans une postface fort instructive, intitulée « Confidences pour les cinéphiles », Jérôme Noirez nous déclare tout son amour d’adolescent à l’encontre des films de zombies et les stratégies qu’il lui fallait mettre en œuvre afin de contourner l’interdit maternel. Les George Romero, Dan O’Bannon et autres consorts ont ainsi marqué l’imaginaire de notre auteur. Et cette bienheureuse tutelle se retrouve au fil des pages de Brainless, dont la dimension filmique s’avère visuellement évidente. Difficile de pénétrer l’ouvrage sans lui associer cette immersion propre au grand écran. Nul reproche à cela, mais disons que le roman s’avère sur la thématique engagée et sa transcription assez proche d’une bonne série B, laquelle – convenons-en d’emblée – se consomme avec un plaisir nullement coupable. Thématique et cadre jouent il est vrai en cette faveur : le très typique lycée américain avec son proviseur caractériellement autoritaire, les incontournables personnages stéréotypés à souhait, l’incontournable romance qui semble se profiler entre nos protagonistes et la non moins incontournable scène tragique qui se profile presque insidieusement en fin de récit…

Un sentiment de déjà vu, certes, mais là où Noirez se détache des canons en vigueur, c’est incontestablement dans la mise en scène du personnage principal. Le traitement que lui offre notre romancier s’avère suffisamment novateur et habile pour séduire. Qui plus est pour séduire le jeune lectorat auquel il s’adresse prioritairement. En effet, là où le gros de la production littéraire et filmique offre du zombie une image de tueur affamé et totalement décérébré, Noirez joue la carte de la subtilité en nous donnant à voir un personnage aux émotions finement ciselées. Derrière le masque apathique et la balourdise qui semblent caractériser notre jeune zombie, nous découvrons au fil des pages un être bien plus sensible qu’il n’y paraît au premier regard. On se prend dès lors vite d’affection pour notre antihéros et les petits tracas associés à son syndrome, tant et si bien que les pages s’égrènent avec une aisance bienvenue. L’écriture est élégante et les dialogues ont cette appréciable qualité de sonner juste. On notera également une construction du récit alternant entre fil conducteur – relatant les événements en cours – et narration à la première personne – laquelle nous conte le ressenti éprouvé face à la maladie. Cette alternance entre déroulement de l’intrigue et carnet intime offre une dynamique à l’histoire tout en nous permettant de mieux saisir les enjeux associés au syndrome. Un récit fort agréable à lire, mais dont la valeur ajoutée au registre s’avère bien maigre, si ce n’est le traitement du personnage principal. Une histoire comme moult films de série B ou téléfilms américains n’ont pas manqué de nous assener ces dernières années, mais de façon moins subtile pour ces derniers il est vrai.

Brainless se montre sans prétention particulière donc, mais suffisamment bien ficelé pour se laisser lire avec un plaisir consommé. Le lecteur plus avisé et adulte ne manquera sans doute pas de percevoir derrière l’épisode maladif de ce jeune ado et le contexte scolaire s’y rattachant, une lecture ironique, sinon acerbe, d’une société américaine en perte de repères. En ce sens, Brainless offre un texte « intelligent, grinçant et pertinent » pour reprendre la quatrième de couverture. Une histoire de zombie décomplexée, à la narration réussie, très visuelle, mais qui ne transcende nullement un genre déjà bien embouteillé il est vrai… Voilà une œuvre qui ferait assurément honneur au grand écran. Un beau compliment finalement pour notre amoureux du registre idoine. Avec ce premier titre, nous ne pouvons que souhaiter tout le meilleur à cette nouvelle collection, dont l’envol se déploie sous de bien bons auspices !

Vidéos

Bande annonce Brainless. Stéphanie Baronchelli.

A l’occasion du festival « Les imaginales » d’Épinal, rencontre avec Jérôme Noirez autour de son ouvrage « Brainless » paru aux éditions Gulf Stream.

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