Publiée aux éditions Soleil, cette intégrale de Rahan, fils des âges farouches regroupe tous les récits publiés de 1969 à nos jours. Cette réédition de fort bonne facture fête en cette année 2019 le cinquantième anniversaire de la naissance de notre héros. Nous repartons 500 000 saisons dans le passé à la découverte de nos aïeux, les premiers Homo Sapiens. Le dessinateur André Chéret, les scénaristes père et fils Roger et Jean-François Lécureux et la coloriste Chantal Chéret nous projettent dans leur vision des temps préhistoriques, où régnaient hommes et animaux fantastiques, dont le souvenir ne cesse encore aujourd’hui de nous hanter.
Infos pratiques
Rahan
Roger Lécureux, Jean-François Lécureux et André Chéret
Éditions Soleil
Chronique réalisée par Lionel Gibert
et Jean-Marc Saliou
et Jean-Marc Saliou
HISTOIRE
« RAAHAA !!! » Cette clameur qui retentit dès les premières pages de ces bandes dessinées nous replonge dans l’univers fantastique de Rahan, fils des âges farouches. Il est le premier héros des hommes. Fils adoptif de Craô le sage, chef du clan du Mont Bleu et de Shawa l’ancienne, il nous guide à nouveau, comme dans notre jeunesse, parcourant toute la Terre à la rencontre de ceux qui marchent debout. Lors de son enfance heureuse, ce petit d’homme aux cheveux couleur de feu se montre le plus vif, le plus fort, mais aussi et surtout le plus intelligent. Il est intrépide et généreux, mais il a un vilain défaut : « Il veut connaitre le pourquoi et le comment des choses ! Quand ce n’est pas le pourquoi du pourquoi. »
Rapidement, le sort s’en mêle, par la disparition tout d’abord de Shawa l’ancienne. Devenue un fardeau pour le clan, celle-ci décide de quitter ce dernier pour attendre la mort dans la forêt. Survient ensuite la colère du Mont Bleu. Le volcan explose et rejette des torrents de lave qui déciment tous les membres du clan. Craô le sage rejoint, lui aussi, le territoire des ombres. Après cette nuit épouvantable, Rahan se retrouve seul rescapé, à la merci d’un monde sauvage aux périls innombrables.
Au sortir de ce drame, Rahan se révèle anéanti, esseulé et désemparé face à une nature hostile et inquiétante. Mais il est aussi mu par la soif d’apprendre et de découvrir le monde. Il se lance alors dans l’aventure et nous l’accompagnons dans ses quêtes, à la recherche de la tanière du Soleil et surtout à la rencontre de ceux qui marchent debout, ses semblables, ses frères. Au contact des siens, il enseignera aux uns ce que d’autres lui auront appris. Le voilà dès lors prêt à affronter l’inconnu, doublement armé du fameux coutelas d’ivoire et du collier aux cinq griffes d’ours, héritage paternel et spirituel légué par Craô le sage. Ce collier lui rappelle les cinq vertus qui lui seront nécessaires pour réussir : courage, loyauté, générosité, ténacité et sagesse.
Et Rahan, fils des âges farouches, de s’élancer vers le monde et ses innombrables clans, à la recherche de l’antre du Soleil, vaine quête, s’il en est. Ses pas le porteront surtout sur les traces de ses semblables, devant affronter pour cela mille dangers, des tigres à dents de sabre, les « goraks », aux nombreuses autres espèces non moins dangereuses. Les adversaires les plus à craindre demeureront néanmoins les hommes eux-mêmes, êtres fragiles et fascinants, mais bien trop souvent pétris d’arrogance et de fausses certitudes.
Lecture
Comme la madeleine de Proust dans A la recherche du temps perdu, la relecture des aventures de Rahan nous replonge dans notre enfance, de nombreux souvenirs remontant à notre conscience. La célèbre formule Pif Gadget voit Rahan faire son apparition en 1969, sous la plume de Roger Lécureux et le crayon d’André Chéret. Une lecture trépidante où nous cherchions d’une aventure à l’autre, aux côtés de l’homme à la chevelure de feu, un moyen de sortir du mauvais pas dans lequel celui-ci ne manquait jamais de tomber. Fort heureusement, Rahan trouvait toujours la solution idoine, pour notre plus grand plaisir, assurés que nous étions alors de poursuivre en sa compagnie ses prochaines pérégrinations sur le territoire des hommes. Et bien sûr, l’attente d’une semaine à l’autre d’un nouveau récit de notre héros des âges farouches s’avérait des plus éprouvantes…
La construction des récits s’avère toujours la même. Nous découvrons Rahan dans un nouvel environnement, en pleine action. Survient alors un élément extérieur aussi varié qu’une étendue glacée infranchissable, qu’un arc-en-ciel, qu’une rencontre avec un « quatre mains » ou celle d’un homme. Puis la rencontre avec une horde, souvent hostile, de ceux qui marchent debout. Ensuite, l’affrontement inévitable, cœur de l’action et enfin le dénouement durant lequel notre héros ramène la paix au sein du groupe en partageant le plus souvent son savoir avec ses frères. Ces récits, malgré une trame aisément repérable, se montrent en réalité loin d’être aussi répétitifs qu’attendu, en ce qu’ils nous permettent de suivre l’extrême éventail des péripéties de notre héros. Les sujets abordés se montrent variés et fort contemporains, en témoignent déjà les enjeux associés aux questions liées à la préservation de l’environnement, à l’entraide nécessaire ou encore à la compréhension de notre univers. De tels questionnements captent plus que jamais toute notre attention.
Avide de découvrir de nouveaux territoires et de nouveaux clans, Rahan nous emmène dans ses aventures. Profondément humaniste, il parcourt le monde à la recherche de ses semblables, les hommes. Il est un passeur de progrès, allant de clan en clan, apportant tel ou tel progrès technique qu’il a appris d’autres clans ou qu’il a lui-même découvert grâce à son sens aiguisé de l’observation. Ainsi en est-il de sa découverte des nœuds coulants. Mais il amène aussi et avant tout la paix, éteignant pour un temps les luttes fratricides entre hordes ennemies. Toujours en lutte contre l’obscurantisme et le chamanisme, il se montre le gardien du dialogue et de la raison. À quelques exceptions près il est vrai, les chamans se montrent souvent malveillants, gardant sous leur coupe le clan grâce aux croyances et aux peurs dont ils jouent habilement afin de maintenir leur mainmise. Grâce à Rahan, la raison finit par l’emporter sur les croyances, libérant les hommes du clan d’un joug souvent néfaste.
« Rah Hans » est le fils naturel des Hans, un couple de chasseurs tué par des « goraks » alors que celui-ci n’était qu’un bébé. Même s’il n’en garde aucun souvenir, cette tragédie est pour lui une injustice, laquelle forgera sa personnalité et le poussera à chercher la vérité à toute chose. Rahan n’est pas un super-héros. C’est un chasseur, comme les autres membres de son clan, mais un chasseur dont la curiosité insatiable le pousse à toujours observer pour essayer de comprendre. Les peurs qu’il éprouve, la dureté de son environnement et les situations délicates qu’il rencontre laissent apparaître son humanité, laquelle humanité nous renvoie à la nôtre. Il est en ce sens aisé de s’identifier à Rahan. Les situations qu’il rencontre se transposent aisément à celles du quotidien de nos sociétés actuelles : individualisme, méchanceté, intolérance ou bien encore cruauté. Face à cela, il nous rappelle nos valeurs humaines : courage, loyauté, générosité, ténacité et sagesse, toutes symbolisées par les cinq griffes d’ours de son collier. Rahan est un optimiste, il a confiance en ses frères et en la vie ; ne laisse-t-il pas le hasard choisir sa prochaine étape quand il fait tourner son coutelas d’ivoire sur une pierre plate ?
André Chéret est le principal dessinateur des aventures de Rahan, un temps épaulé par Roméro. Entièrement autodidacte, Chéret a développé un style inné. Son trait est précis, enlevé et spontané. Au fil des récits, son style se montre plus dynamique avec un dessin plus souple, combinant des perspectives parfois déformées à l’excès à une vision personnelle de l’anatomie humaine. Cette dynamique donne des perspectives qui ne manquent pas de jaillir au sein du gaufrier, d’où la puissance et l’impact amplifiés des actions. Chéret saisit et dessine pour chaque scène d’action l’instant le plus propice pour rendre le récit captivant et fort, plongeant ainsi avec aisance le lecteur au cœur même de celle-ci.
Le scénario est assuré par Roger Lécureux, puis par son fils Jean-François Lécureux à partir de 1997. Roger a réalisé une œuvre percutante réellement empreinte d’humanité. Scénariste et auteur des Pionniers de l’Espérance, une des premières bandes dessinées françaises de science-fiction et de Fils de Chine, celui-ci a travaillé avec des dessinateurs comme Raymond Poivet et Paul Gillon. Comme dans ces autres scénarios, il met en scène un personnage qui agit pour le bien collectif. Les textes abondants sont bien écrits et complètent avec intelligence les dessins d’André Chéret. Personnages comme animaux sont souvent nommés par le trait de caractère le plus manifeste. Ainsi, retrouvons-nous « ceux qui marchent debout », « la bête qui vient de la boue », « les quatre mains » et bien d’autres encore. Cette astuce nominative est fort habile : elle convoque notre imaginaire collectif pour nous ancrer davantage dans ces âges farouches, en partie réalistes et en partie fantasmés. La mise en couleurs est réalisée à partir de 1974 par Chantal Chéret, son épouse. Les couleurs donnent de la profondeur au graphisme, lequel prend une dimension plus réaliste. Le choix des tons sépia nous rappelle que les récits se déroulent dans notre passé, la préhistoire.
Cette nouvelle intégrale de Rahan, fils des âges farouches, rééditée par les éditions Soleil constitue indéniablement une belle découverte ou redécouverte. Elle nous (re)plonge dans l’univers fantastique d’André Chéret et de Roger Lécureux au travers de récits spectaculaires qui nous offrent voyage, évasion, réflexion et introspection. Cette série véhicule des valeurs universelles de progrès, de paix, de fraternité et de solidarité, tout en jouant sur la nécessité vertueuse de la transmission du savoir. Intemporelle, elle est riche d’enseignements pour la nouvelle génération de lecteurs, trop souvent accaparée par les fausses lumières d’informations trop vite consommées et le plus souvent futiles, lesquelles nous éloignent trop souvent de l’essentiel.
Les éditions Soleil nous offrent une réédition de bonne facture. Les planches ont été soigneusement retravaillées. Petite déception pour les deux premiers tomes de la série, qui présente parfois une colorisation un tantinet faiblarde et en dessous des canons actuels. Cette édition est augmentée pour chaque tome d’une double page instructive, laquelle nous renseigne sur les concepteurs, sur le principal intéressé ou sur la vision éclairante d’un autre auteur. Chaque tome nous propose sept aventures de notre héros aux cheveux de feu, d’une vingtaine de pages chacune. Compter 26 volumes tout de même si vous souhaitez jouir d’une frise qui ne manquera pas de faire son effet dans une bibliothèque digne de ce nom. Une intégrale hautement recommandée. À mettre entre toutes les mains. Petites et grandes.
Vidéos
André Chéret. Albums et Trésors de Rahan. Mandrake75.
Chéret & Lécureux – Rétrospective Rahan. Hubertty & Breyne Gallery.