Michael Crichton est le plus souvent reconnu pour avoir écrit Jurassic Park, à l’origine de la trilogie bien connue portée à l’écran par Steven Spielberg. Toujours dans une optique scientifique et sociale, l’auteur continue à nous faire voyager dans le temps et l’imaginaire avec son Prisonniers du temps, publié chez Robert Laffont. Il nous plonge cette fois-ci non pas en plein Jurassique, mais au temps du Moyen-Âge, dans un techno-thriller plein de rebondissements et de réflexions sur l’homme, où le désir de ce dernier de vouloir constamment repousser les limites de son savoir ne manquera pas de nous interroger.
Infos pratiques
Prisonniers du temps
Michael Crichton
Éditions Robert Laffont
Chronique réalisée par Romy Mousset
HISTOIRE
Chris Hugues, David Stern, André Marek et Katherine Erickson sont de simples étudiants membres de l’équipe de recherche du professeur Edward Johnston en Dordogne. Responsable des fouilles archéologiques du monastère de la Sainte-Mère ainsi que des châteaux médiévaux adjacents, Johnston a réuni son équipe de chercheurs de divers milieux afin de reconstituer l’histoire des lieux et reconstruire les édifices. Subventionnées par Robert Doniger, dirigeant de l’entreprise de haute technologie ITC, les recherches vont bon train jusqu’à ce qu’une journaliste française ne vienne jeter le trouble sur le chantier. Au travers de simples questions sur le financement du projet, sur les intérêts d’ITC dans l’affaire et l’achat de terres alentour par l’entreprise, Louise Delvert réveille la méfiance du professeur. Ces fouilles archéologiques sont-elles réellement le fruit de l’intérêt manifesté d’un milliardaire pour l’Histoire ? Cette quête de la connaissance de notre passé est-elle si innocente ?
Et lorsque Diane Kramer, avocate de Doniger, débarque sur le site, voulant accélérer les travaux et détenant des informations jusque-là inconnues de Johnston, celui-ci devient plus méfiant. D’autant plus que Wauneka, policier de Gallup, non loin d’Albuquerque, vient de leur faire parvenir un plan plus que complet du monastère, trouvé dans les affaires d’un pauvre bougre délirant en plein désert. Excédé par ces mystères, l’historien décide de s’envoler pour le Nouveau-Mexique afin d’avoir un entretien avec son mécène.
Peu de temps après, dans les ruines du monastère, l’équipe de recherche met à jour de nouvelles trouvailles. Parmi elles, une note rédigée par Johnston, datée de l’an 1357, demandant de l’aide. Alors que les chercheurs se posent de plus en plus de questions sur les implications de cette note, Doniger enjoint à Marek l’ordre de le rejoindre avec ses meilleurs collaborateurs. Leurs questions devraient trouver des réponses au Nouveau-Mexique.
Car l’entreprise de Doniger n’est pas pour rien dans le mystère du mot retrouvé dans les ruines. À l’origine d’une technologie permettant de voyager d’une époque à une autre, les responsables et techniciens sur le projet sont sans nouvelles du professeur Johnston, parti pour la Dordogne du XIVe siècle.
Bien que David Stern, méfiant, préfère rester sur place, Marek, Chris et Kate, accompagnés de deux marines, se lancent sur les traces de leur professeur. Mais les choses commencent mal lorsque, sitôt arrivé, le groupe se fait attaquer. Cachés dans les fourrés, les étudiants ont la vie sauve, mais leur escorte ne peut en dire autant. La responsable de l’équipe est décapitée puis piétinée par un cheval, tandis que le second marine, blessé et une grenade à la main, s’effondre dans la machine qui le ramène au Nouveau-Mexique. Dégoupillée, la grenade explose dans les laboratoires quelques secondes après son retour.
Les étudiants sont alors coincés dans une époque qu’ils ne connaissent qu’en théorie et leur temps est compté. Un mince espoir s’offre à eux lorsqu’ils retrouvent la balise de navigation de secours de leur défunte chef d’expédition, mais il ne leur reste que trente-six heures pour retrouver le professeur Johnston par leurs propres moyens et s’échapper de cet enfer à venir.
Car si Marek est comme chez lui dans cette époque dont il a toujours rêvé, il n’en est pas de même pour ses deux amis, bien moins préparés que lui à affronter les dangers de ce siècle et de cette région ensanglantée par les guerres en cours. Entre les châteaux de Laroque et de Castelgard et le monastère de la Sainte-Mère, l’équipe doit s’adapter pour retrouver le professeur, survivre aux combats, aux manipulations et revenir au bercail. Mais les dangers les plus visibles cachent également des menaces plus sournoises et les choses se corsent davantage lorsque les étudiants découvrent qu’un autre de leur contemporain les traque…
Lecture
Michael Crichton, pour celles et ceux qui pourraient l’ignorer est le papa de Jurassic Park. Le film ayant bercé mes jeunes années et le livre ayant réanimé la flamme, Prisonniers du Temps me mit face à un cruel dilemme. Devais-je lire ce livre au risque d’être déçue par un ouvrage n’arrivant pas à la cheville du chef d’œuvre adapté par Spielberg ? Ou au contraire, allais-je être aussi emballée par le XIVe siècle de l’auteur ? Comme vous l’aurez aisément deviné, j’ai finalement sauté le pas et grand bien m’en a pris. En dépit de quelques points qui pourraient faire décrocher un lecteur non averti, les six cents pages de l’œuvre se dévorent comme s’il s’agissait d’une courte nouvelle.
Ces points – ou plutôt ce point soyons honnêtes – sont l’une des marques de fabrique de Crichton. Bien que très bon narrateur, il s’envole parfois dans des explications scientifiques et techniques légèrement superflues vis-à-vis de l’histoire, lesquelles explications peuvent s’avérer un tantinet fastidieuses. À vrai dire, lorsqu’il parle des présentations proposées par le service de communication d’ITC en expliquant que « la documentation bourrée de spécifications techniques était incroyablement rébarbative », on peut avoir l’envie de compatir avec ceux à qui elle est destinée. Car pour expliquer le fonctionnement de la machine produite par ITC, Crichton se lance dans de longues explications sur les plurivers, la mécanique quantique et autre joyeuseté scientifique du genre. Bien entendu, l’auteur tente bien de mettre tout cela à notre portée, mais les lecteurs ne versant pas dans les sciences physiques pourraient être tentés d’abandonner en court de route. D’autant plus que le récit ne décolle vraiment qu’au départ de l’équipe de secours vers le Nouveau-Mexique. Si prendre son temps pour présenter ses personnages et planter l’ambiance est une vertu appréciable, la longueur des cent premières pages met la pression sur le reste de l’histoire : elle a intérêt à valoir ces pages de théories physiques et de biographies des personnages…
Mais de fait, elle est à la hauteur. Et même bien à la hauteur. Car une fois passées ces incursions pouvant paraître ennuyeuses, Crichton nous plonge dans un monde totalement ébouriffant. Ou plutôt dans une époque totalement ébouriffante. À mesure que les étudiants progressent dans ce monde passé, l’auteur fait revivre ces temps jadis, et ce de multiples façons. Les odeurs, les couleurs, les bruits, tout est présent pour nous projeter sur les rives de la Dordogne au XIVe siècle. L’ambiance est admirablement bien plantée, les comparaisons avec notre époque et les confrontations avec nos préjugés sur ce siècle étant habilement mises en scène. Crichton, par le biais de ses personnages, mobilise tous nos sens en ne se contentant pas de nous décrire un tableau sans relief. Comme pour Jurassic Park, il fait les choses en grand et nous fait découvrir ces ruines et ces personnages sous un nouvel angle des plus appréciable.
Mais non content de nous transporter dans cet univers et d’ouvrir nos sens à ses merveilles comme à ses horreurs, Crichton nous tient en haleine avec son histoire. L’évolution des personnages – Chris notamment – est très bien construite et nous pousse à la réflexion. De quelle époque est réellement Marek ? Et si Chris n’était pas si superficiel ? Et nous, comment réagirions-nous à leur place ? Car si la tentation est grande de s’identifier à Marek – lequel s’adapte à merveille au Moyen-âge – la réalité est que nous ressemblerions davantage à Chris : terriblement angoissés par cette société moyenâgeuse, fuyant la confrontation et tellement faciles à duper dans une société dont les règles nous échappent. L’adaptation, l’apprentissage du courage, la réalisation du bonheur de vivre : tout cela nous le vivons avec Chris.
Quant aux questions sous-jacentes posées par l’auteur, elles n’en sont pas moins intéressantes. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour accélérer la vie ? Pour nous distraire ? Pour apprendre ? Pour obtenir le pouvoir ? Par la confrontation de deux mondes bien distincts, Crichton nous invite à réfléchir sur ces questionnements. Si certaines sciences, certains apprentissages se font lentement de nos jours, n’est-ce pas pour une bonne raison ? La technologie doit-elle supplanter le travail de l’homme ? Doit-elle simplifier les choses au point que nous n’ayons plus besoin d’attendre quoi que ce soit ? Dans notre société où tout va toujours plus vite, il est des domaines où le temps n’a jusqu’à présent pas de prise. Des domaines où l’on peut évoluer hors du temps ou dans un autre temps. La science, la société, l’homme peuvent-ils s’offrir le luxe de faire exploser ces acquis simplement pour « gagner » du temps ?
Avec Prisonniers du temps, Michael Crichton nous offre donc une multitude de regards sur la vie : une plongée dans le XIVe siècle, une remise en question de notre propre époque et une aventure que l’on parcourt avec toujours plus de curiosité et d’entrain. Assurément, il n’a rien à envier à Jurassic Park.
Vidéos
Bande-Annonce du film Prisonniers du temps, Paramount Pictures. Films You Tube.
Interview en anglais de Michael Crichton pour son ouvrage Timeline. Manufacturing Intellect.