Jérôme Noirez
Au regard du succès planétaire des aventures du plus connu des barbares, nombreux furent les continuateurs à perpétuer l’œuvre de Robert E. Howard. Par-delà la vingtaine de nouvelles écrites par le géniteur de Conan, pas moins d’une trentaine de romans poursuivirent les aventures du sombre Cimmérien. Laurent Mantese apporte sa pierre à cet édifice, par l’entremise d’un récit d’une intelligence et d’une audace qui ne manqueront pas de faire date. Édité chez Albin Michel Imaginaire, La Sonde et la Taille conte l’une des dernières luttes que doit livrer cette figure légendaire de la culture pop. Une bataille qu’il lui faudra gagner contre lui-même dans un premier temps, les affres de la vieillesse se montrant pressantes pour notre octogénaire en ces temps hyboriens. Et une autre contre certains conspirateurs qui se verraient bien calife à la place du calife. Exerçant depuis maintes années déjà la très périlleuse fonction de Roi des Sept Royaumes, Conan s’apprête à goutter une fin de règne quelque peu chahutée…

Infos pratiques

La Sonde et la Taille

Laurent Mantese

France

Didier Graffet

Albin Michel Imaginaire

Mai 2024

Inédit

Grand Format

624 pages

978-2226492180

© Éditions Albin Michel Imaginaire, 2024
© Laurent Mantese, 2024
Couverture © Didier Graffet, 2024

24,90 euros

La Sonde et la Taille

Laurent Mantese

Éditions Albin Michel Imaginaire

Chronique réalisée par Franck Brénugat

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages

HISTOIRE

Le Roi-Barbare souverain des Sept Nations, Seigneur des Terres d’Aquilonie, de Némédie, de Brythumie, d’Ophir, de Zingara, d’Argos et de Corinthe, natif des Terres de Cimmérie s’est laissé prendre dans les rets pour le moins pervers du pouvoir, après avoir tant d’années guerroyé d’une contrée à une autre. Voilà quatre décennies que le Cimmérien gère les affaires courantes de son royaume, du haut de son trône d’ébène, sis au sein de sa forteresse de Kaldré, en ses terres natales de Cimmérie. Nous le retrouvons, écoutant les doléances des nobles du royaume en cette Septaine dite « de réconciliation ». Et notre héros d’apprendre l’existence de quelques désordres au sein de son royaume, lesquels pourraient bien dégénérer en insurrection. Il semblerait que le peuple s’agite, victime de souffrances et d’injustices. D’autant que ce dernier semble prêter une oreille de plus en plus attentive à la Congrégation du Très-Haut, nouvelle autorité religieuse bien disposée à renverser l’ordre établi… Non contente de convoiter les âmes des pauvres pécheurs, elle se montre désireuse d’étendre son emprise à tout le royaume. Pour mortifère qu’elle soit, elle n’en demeure pas pour autant la seule menace qui point à l’horizon. D’autres nuages s’amoncèlent par-delà les montagnes de Cimmérie…

Mais notre Roi se voit confronté à des considérations bigrement plus impérieuses. Les quatre-vingts années au compteur du Cimmérien ont laissé quelques traces de leur passage, en témoignent un bien vilain kyste testiculaire et une tout aussi bien vilaine gravelle des plus prononcés. L’un, comme l’autre, nécessite prestement une double intervention chirurgicale. Dont acte. À la suite de cette double intervention un rien déstabilisante en ces âges hyboriens, et tandis que notre patient sombre dans un repos pour le moins salvateur, voilà que les lieux semblent s’agiter de façon inhabituelle. Alors que les fidèles du Roi se font massacrer, les usurpateurs s’empressent d’investir les lieux à la recherche de ce dernier. Ou de sa tête, plus précisément, gage offert par les insurgés à leur commanditaire comme preuve d’une mission rondement menée. Seulement voilà : n’est pas encore né celui qui s’offrira le luxe de décoller la cabèche de notre Cimmérien : « Un Cimmérien, même âgé, même malade, même gâté par la civilisation, reste un Cimmérien. Jusqu’à sa mort. » Pourchassé par le redoutable Tranche-Gueule et ses sbires, tous déterminés à ramener la tête du Cimmérien afin de pouvoir prétendre toucher leurs honoraires, Conan se voit contraint de s’enfuir vers les froides contrées au nord de sa Cimmérie natale. Il embarque avec lui Colin, un jeune enfant handicapé devenu son fils adoptif. Et toute cette troupe bigarrée de s’engouffrer dans les profondeurs abyssales de la Cimmérie, ancien terrain de jeu de notre fier guerrier…

Lecture

Quel bonheur de pouvoir retrouver les aventures de ce cher Conan, le plus célèbre des barbares, né en 1932 sous la plume alerte et inspirée d’un certain Robert Ervin Howard ! Nous étions depuis fort longtemps déjà orphelins de récits dignes du maître. Certes, de nombreuses aventures ont été publiées et traduites au profit d’une continuité toute relative des histoires howardiennes. Parmi les continuateurs les plus connus sous nos latitudes, on pourra citer Lin Carter, Lyon Sprague de Camp, Karl Edward Wagner, Steve Perry ou encore Poul Anderson. Toutefois, force était de constater que les épigones d’Howard avaient bien du mal à renouveler le registre, au point parfois d’occulter cette remarquable et singulière figure littéraire au profit d’un héros à l’intelligence proportionnellement inverse à la saillance de ses muscles. Fort heureusement, il est une plume plus que recommandable, française de surcroît, pour reprendre le flambeau et le hisser à un niveau encore jamais atteint. Et l’on doit ce bel exercice de style à Laurent Maltese, lequel nous livre un récit en tous points conforme aux attentes d’un lecteur amoureux du registre howardien. Mais par-delà la simple performance mimétique, qu’en est-il réellement du récit de notre auteur ?

Avec l’entrée en la matière d’un héros ayant atteint l’âge canonique — en cet âge hyborien — de quatre-vingts années, l’auteur établit d’emblée une première disruption, et de taille. L’auteur fait le choix audacieux de mettre en valeur un protagoniste vieillissant, usé, malade de surcroît. Le héros mantesien ne prétend plus à cet âge ingrat parcourir les terres des Sept Royaumes, l’épée à la main, afin d’y guerroyer ou d’y voler quelque bijou de valeur. Il eût paru en effet un tantinet suspicieux de faire mener tambour battant à notre octogénaire des péripéries plein de rocambole et de tumulte. Mantese nous fait grâce d’un tel renoncement, lui préférant une aventure moins agitée, mais non dénuée de tensions pour autant. Le périple du Cimmérien se partage entre les méandres de sa place forte et une longue et quasi solitaire escapade dans les contrées septentrionales de sa froide et mélancolique Cimmérie. Un sentiment de solitude d’autant plus prononcé que l’omniprésence du héros des aventures originales s’efface ici au profit d’une occurrence remarquée de personnages secondaires, fort bien campés au demeurant. En témoignent le jeune et attachant Colin et le sinistre et patibulaire Tranche-Gueule — la figure de ce protagoniste s’avère par ailleurs tellement réussie qu’elle en viendrait pratiquement à usurper la vedette à notre Cimmérien, montrant par cette dernière combien l’auteur a su saisir toute l’importance de la malignité du vilain de service.

Par-delà la brillante construction narrative, il conviendra de souligner par ailleurs tout le soin apporté par son auteur à l’écriture elle-même. Par une prose ouvragée, affutée, accouchée pour réduire la distance entre le texte et le lecteur, Mantese fait preuve d’une maîtrise peu commune dans le registre encombré de la fantasy. Le Toulousain offre un répertoire lexical savamment ciselé, épaulé par une respiration permettant au lecteur de pleinement jouir des différents mouvements de telle ou telle séquence. Celui-ci pourra par ailleurs avoir le sentiment de se déplacer en terre mantesienne comme en terre wulienne, retenant de son voyage moult couleurs, odeurs et saveurs, occultant quelque peu le bénéfice de l’intrigue, quand bien même cette dernière ne manquera pas de séduire par l’intelligence de son épilogue. Indépendamment de l’action elle-même, l’auteur distille quelques réflexions existentielles fort à propos — rappelons que le sieur est accessoirement enseignant en philosophie. Le récit ne se montre jamais avare de détails, certains d’entre eux ne manquant pas de venir chatouiller notre bravoure — certains passages d’ordre chirurgical pouvant s’avérer un tantinet délicats pour la gent masculine… Si l’écriture gagne en épaisseur comparativement au maître, elle s’avère en revanche moins alerte et cinématique que celle de son mentor. Il est vrai que les exigences narratives de la nouvelle s’avèrent différentes de celles du roman. Elles sonnent ici comme un écho exacerbant la dichotomie entre la vivacité du jeune héros howardien et la relative inertie du héros vieillissant mantesien.

La Sonde et la Taille rivalise sans difficulté aucune avec les récits du maître, ce qui n’est pas peu dire. Nous ne pouvons qu’ardemment espérer que d’autres (més)aventures du Cimmérien prennent naissance sous la plume très inspirée de ce nouveau porte-étendard du récit d’heroic fantasy. L’auteur signe ici une magistrale aventure crépusculaire où le baroque le dispute à la fureur. Et le titre de nous rappeler accessoirement ô combien il est bon de vivre en des temps où la médecine a fait montre de quelques progrès !

« C’était la chose naturelle et nécessaire, et il était vain d’espérer que la civilisation l’emportât un jour sur la barbarie, si ce n’était à l’état de phase temporaire. Chaque existence individuelle, chaque cité, chaque règne, chaque empire, avait sa durée de vie propre, naissait, vivait puis retournait à la dislocation et à la ruine. Il en allait ainsi pour chaque être vivant, pour chaque réalité de ce monde, et, à la fin des fins, que l’on soit roi, manant, prêtre ou brigand, c’était toujours sur l’état de barbarie que la grande roue des événements, propulsée par la main capricieuse des dieux, achevait de faire tourner ses gigantesques pales. »

Vidéos

Update Lecture : Le retour du bon vieux Conan. Les Mots de l’Imaginaire.

Arkeo [#01] Conan : Les inspirations de Robert E. Howard. Les Héliocrates.

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