Jérôme Noirez
Jérôme Noirez
Les éditions Bragelonne nous gratifient du remarquable travail du graphiste Didier Graffet avec la parution de Effluvium, somptueuse traversée dans l’imaginaire rétrofuturiste de l’auteur. Appuyées par un texte signé Xavier Mauméjean, ces traversées, empreintes d’onirisme, nous font découvrir un début de XXe siècle alternatif par le truchement de villes cyclopéennes et de mécaniques de toute beauté. Au regard de ses créations, Graffet nous donne à voir davantage qu’une simple série d’illustrations, mais bien une démiurgie où réalité et mythologie s’entremêlent avec une étonnante duplicité.

Infos pratiques

Effluvium

Didier Graffet

Xavier Mauméjean

Mathieu Gaborit

Piéric Guillomeau

Séverine Besnard (e-Dantès) et Fabrice Borio

Séverine Besnard

Fabrice Borio

France

Bragelonne

Inédit

Avril 2019

115 pages

29 x 37 / Couverture cartonnée

979-10-281-1055-0

30,00 euros

© Éditions Bragelonne, 2019 – © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen

Effluvium

Didier Graffet et Xavier Mauméjean

Éditions Bragelonne

Chronique réalisée par Frank Brénugat

NOTRE ÉVALUATION

Richesse iconographique
Contenu éditorial
Maquette

THÉMATIQUE

Grecs et Romains se sont livrés à partir du premier siècle de notre ère à une vaste exploration et conquête pacifique du monde, par la maitrise de l’effluvium, flux aérien autorisant une énergie illimitée et propre, comme l’éther en d’autres temps et autres lieux. Et la Terre de s’offrir à nous, en ce XIX siècle, déployant sous nos regards médusés mille cités d’acier aux contours cyclopéens, mille mécaniques célestes et rutilantes comme une Harley sortie d’usine. Graffet et Mauméjean nous invitent à quatre voyages, le premier s’ancrant dans « Le temps d’avant le temps », où le voyageur découvre des territoires abandonnés qui ne sont pas sans rappeler ceux des premiers âges de l’univers tolkienien ou ceux du melnibonéen Elric. On y fait route vers l’océan noir des limbes, sans garanties de retour, perdus dans un espace-temps dont les codes échappent à tout entendement humain. Et de croiser « Le Hollandais volant », navire à l’équipage damné, le chevalier vernien Robur-le-Conquérant sous son masque impénétrable ou encore la somptueuse « Atlantis » dont le capitaine Nemo nous fait découvrir les merveilles sans nom à bord de son « Nautilus ».

Le deuxième voyage, « Icare » nous fait quitter les sombres abysses des océans aux temps immémoriaux pour nous conduire vers d’autres sommets, ceux de villes lumineuses dont les cimes flirtent insolemment avec les plus hautes strates célestes. Les boutres naviguent ainsi au plus près de la cité du ciel dont les minarets d’or sanctifient le Soleil. Nous y découvrons les fastes architecturaux de la « Ville Lumière », tels « La Tour Eiffel » déployant toute sa majesté, le « Petit Palais » ou encore « L’Opéra Garnier » dont le fantôme continue de hanter les lieux, contemplant la ville du haut de sa coupole.

« Dédale », tel est le nom pour cette troisième épopée en terre rétrofuturiste, laquelle nous plonge dans les méandres infinis des artères citadines de villes-mondes, à la croisée de gigantesques paquebots aériens ou de lignes ferroviaires dont les arrêts desservent des époques différentes, tant passées que futures. Le métro « Gare du Nord » s’offre à notre regard comme jamais auparavant, entrelacs de rames aériennes laissant entrevoir une verticalité vertigineuse, tandis que « La Cinquième Avenue » brille encore de tous ses feux en ce mois d’août 1929, avant le cataclysme annoncé par la crise boursière qui se profile aux portes de Wall Street. Mais déjà, les États-Unis se reconstruisent, à l’instar de ce Big Apple de 1935, « pomme d’or aux couleurs du crépuscule » dont le ciel voit naviguer les dernières créations volantes du génial et richissime Howard Hugues.

Dernière et courte échappée en territoire graffetien, « Souvenirs du futur » donne la part belle aux locomotives, telles la somptueuse « Hadès 342 » s’engouffrant au cœur de la terre ou la « Wanderlust » franchissant les espaces infinis, chacun d’entre eux répondant d’un imaginaire dont le lecteur sera l’éternel héraut.

Le Départ — Effluvium — Didier Graffet — © Éditions Bragelonne, 2019 — © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Conquistador — Effluvium — Didier Graffet — © Éditions Bragelonne, 2019 — © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Nova Atlantis – Effluvium – Didier Graffet – © Éditions Bragelonne, 2019 – © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
La Tour — Effluvium — Didier Graffet — © Éditions Bragelonne, 2019 — © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Le Petit Palais – Effluvium – Didier Graffet — © Éditions Bragelonne, 2019 — © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Sous les 72 — Effluvium — Didier Graffet — © Éditions Bragelonne, 2019 — © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Renovation – Effluvium – Didier Graffet – © Éditions Bragelonne, 2019 – © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Fifth Avenue — Effluvium — Didier Graffet — © Éditions Bragelonne, 2019 — © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Twilight in N.Y.C. 1935 – Effluvium – Didier Graffet – © Éditions Bragelonne, 2019 – © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen
Darkopolis – Effluvium – Didier Graffet – © Éditions Bragelonne, 2019 – © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen

Lecture

Sublime ! Quel autre adjectif siérait davantage au travail en tout point remarquable de Graffet, très bien épaulé par un court texte fort à propos signé Xavier Mauméjean ? L’œuvre dépasse, et de loin, le simple exercice de style ou la simple performance technique, instaurant une vision qui, non seulement, titille nos sens émerveillés, mais aussi notre intellect. On sent poindre par-delà la beauté des images une vision optimiste de notre chère humanité, loin des sempiternels — et néanmoins justifiés — discours décadentistes et nihilistes qui parsèment notre quotidien en ces temps de collapsologie. Les réalisations scintillent d’une lumière incomparable, aux antipodes des obscurs recoins d’un Gotham City par exemple. Comme si le rétrofuturisme devait se confondre avec le positivisme d’un Auguste Comte. Espaces et villes tentaculaires se voient débarrassés de la multitude propre à nos mégalopoles contemporaines et de ses cortèges inhérents d’agents polluants. Le lecteur avisé n’aura d’ailleurs pas manqué de remarquer que les tableaux de Graffet sont pour la plupart étrangement vidés de toute population, en contradiction manifeste avec le gigantisme de ses constructions. Mais où est donc passé Charlie ?

Optimisme encore, comme en témoigne la belle couleur bleue dont se parent les cieux, vigilants gardiens de cités au trafic routier, ferroviaire, aérien et maritime visiblement bien dynamique. Grâce soit rendue à l’effluvium, énergie propre reléguant nos énergies fossiles aux stigmates d’une société cancéreuse. Cette légèreté visuelle, débarrassée de ces oripeaux pathogènes semble également se traduire au cœur de la société elle-même, où nulle trace de productivisme, de cadences déshumanisantes, d’aliénation ou d’exploitation ne se donne à voir. A priori pour le moins, dans la mesure où aucun élément graphique ni textuel ne nous renseigne sur les conditions de constructions de ces édifices et engins aux contours cyclopéens — conditions nécessairement pharaoniques, il s’entend. Toujours est-il que le visionnage de ces fresques donne un sérieux coup de fouet à notre télomérase ! Le lecteur se surprendra à s’imaginer arpenter des cités où espace, salubrité et lenteur sont redevenus le temps d’un voyage une réalité recouvrée. Effluvium, quand l’âge de la raison sert au mieux les intérêts de l’humain, quand la technique y fait office de fin partielle et non point de fin ultime. Un enthousiasme qui nous réconcilie avec une certaine liberté et humanité reconquises.

« Didier a l’usage de la démesure à tel point qu’on y décèle une signature. Une Muse aux dimensions d’un Léviathan hante ses toiles et nous propulse, les yeux chavirés, dans le cadre saisissant de ses inspirations », nous instruit Mathieu Gaborit dans sa préface. Il est vrai. Et ce somptueux travail d’orfèvrerie ne semble vouloir véritablement s’apprécier que dans le cadre d’une reproduction a maxima. Fort heureusement, les éditions Bragelonne ont compris l’intérêt de la chose, ayant fait le pari audacieux et réussi de proposer un vrai grand format, rendant ainsi justice à l’extrême minutie du travail de notre auteur et à cette sensation de gigantisme qui émane de ses thématiques. Une telle sensation se voit qui plus est confortée lors des nombreuses doubles pages qui essaiment le précieux. Que dire alors pour les heureux lecteurs ayant pu voir ce travail exposé dans les différentes galeries hexagonales… Le court texte accompagnant chaque illustration — proche de la notule — sous la plume de Xavier Mauméjean est fort indiqué, parsemant quelques précieux indices sur le contexte, tant historique que géographique, de ces mondes-univers et prolongeant en cela notre part de rêve et d’imaginaire.

Voilà un voyage extraordinaire que Jules Verne lui-même aurait apprécié à sa juste valeur. Nous ressentons d’ailleurs tout l’amour que porte Didier Graffet au récit vernien et à ses meilleurs représentants visuels, George Roux et Léon Benett en tête. Une création qui n’est pas sans évoquer par endroits celle d’un certain Albert Robida également. Cet amour du récit d’aventures se traduit selon l’aveu même de l’intéressé par son affection pour les récits de Jack London, Sylvain Tesson, Jean Raspail ou encore Jon Krakauer. Notre auteur manifeste de surcroît une fascination toute singulière à l’égard d’Edgar Maufrais, explorateur français ayant parcouru près d’une dizaine d’années l’Amazonie dans les années 1950 afin d’y retrouver son fils perdu.

Tout serait-il pour autant pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Que nenni ! Le quatrième voyage nous laisse ainsi sur notre faim, donnant à voir seulement quatre tableaux, indépendamment des croquis – magnifiques au demeurant. Nous aurions bien aimé davantage de matière concernant cette ultime traversée. Même reproche concernant le contenu éditorial, un tantinet léger à notre goût. Certes, préface, croquis, entretiens et galerie de photos répondent présents à l’appel, mais quelques pages textuelles supplémentaires n’auraient nullement nui à l’exercice. Bien au contraire. Un entretien plus généreux par exemple. Façon d’apprécier au mieux, par-delà la simple gourmandise esthétique, la dimension narrative et créatrice de ce somptueux travail. Effluvium se présente au terme de ce parcours comme un objet hautement désirable et chaudement recommandé !

Effluvium — © Éditions Bragelonne, 2019 — © Didier Graffet/Galerie Daniel Maghen

Vidéos

De vapeur et d’acier avec Didier Graffet. L’Echo Vaporiste skye.

TAT avec Didier Graffet. Dimitri de Larocque Latour.

Sites internet