Berserk ou la fièvre noire, Kentarō Miura
Jérôme Noirez
Récit épique aux allures de conte maléfique réputé pour sa violence et sa dureté, Berserk est avant tout une œuvre profonde et passionnée. Le manga se singularise par le style de son auteur, Kentarō Miura, lequel ne cesse au fil des années de surprendre ses lecteurs, parvenant à les éblouir devant un récital de violence, de sang, de barbarie et parfois de sexe. Toujours en cours de parution, Berserk est le répertoire d’une vie. Rares sont les artistes à se lancer dans une aventure aussi longue et dense. Doué d’une remarquable capacité à mettre en image des visions cauchemardesques et apocalyptiques, le mangaka donne à voir un visuel empreint d’épouvante.

Berserk
ou la fièvre noire

Kentarō Miura

Article réalisé par Margot Le Saëc

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AUTEUR

Né à Chiba au Japon le 11 juillet 1966, d’un père dessinateur de story-boards publicitaires et d’une mère professeur d’arts plastiques, Kentarō Miura est un surdoué du dessin et ébauche ses premières créations dès le plus jeune âge. En primaire, il a dix ans lorsqu’il imagine et écrit son premier manga de quarante volumes pour ses camarades de classe. C’est à son arrivée au collège qu’il commence à utiliser des techniques professionnelles, jouant de l’encre de Chine et usant de trames au sein de ses illustrations. En 1982, il s’oriente vers des études artistiques en suivant un cursus spécialisé au lycée et publie ses mangas amateurs dans un fanzine. C’est en 1988 que Miura amorce sa célèbre série, avec Le Prototype de Berserk, lequel remporte le prix « Comi Manga School ». Après plusieurs collaborations avec le scénariste de Ken le Survivant, Buronson, l’auteur commence la prépublication de sa série. Ce dernier conquiert son lectorat en 1992, au moment où l’arc narratif L’Âge d’or apparaît. Le remarquable succès du cycle le hisse alors au panthéon des plus grands mangakas contemporains. 1997 marque l’année de l’adaptation animée de son œuvre, qu’il supervise. Depuis, Kentarō Miura développe toute son énergie à la construction de son univers.

Œuvre de dark fantasy courant sur quarante volumes (commencée en 1989 et toujours en cours de parution), le manga seinen s’inscrit dans un univers médiéval fantastique particulièrement sombre et oppressant. Le lecteur se retrouve dans le Midland, royaume rongé par des conflits de longue date rappelant la guerre de Cent Ans, territoire où prend place le protagoniste, Guts. Individu mystérieux, guerrier solitaire aussi tourmenté que puissant, Guts se voit paré d’une gigantesque épée. Voyageur au long cours, le lecteur se laissera porter au fil des nombreux opuscules vers moult péripéties.

Berserk — © Éditions Glénat 2004-2021 — © Kentarō Miura, 1989-2021

ŒUVRE

Les atouts graphiques du dessinateur sont nombreux. Se dévoile d’emblée une ligne souvent juste et précise. Les successions de traits fins permettent de donner volume, matière et texture aux sujets et participe à définir ombres et lumières. Si son trait se révèle clair et soigné, ce dernier peut aussi se montrer plus appuyé, comme en témoignent la plupart de ses planches dénotant une grande maîtrise de la hachure. Une technique qui rappelle celle de la gravure traditionnelle. Fortement marquées, ces hachures sont couramment utilisées dans les scènes de violence — à tel point que la page paraît parfois comme griffée. Elles accentuent la représentation du mouvement et de la vitesse lors de scènes de combat. Ce procédé apporte par ailleurs un dynamisme à l’image et renforce considérablement les actions des personnages. En usant d’une encre noire, profonde, le dessinateur parsème certaines planches de tâches, comme éclaboussées de sang. Ce procédé contribue à procurer un certain réalisme aux scènes sanglantes. Si son style peut se révéler brut, ce dernier peut aussi se montrer fouillé, l’artiste accordant un soin tout particulier aux détails. Si la représentation des corps témoigne d’une réelle maîtrise, son trait gagne en profondeur lors de représentations d’éléments naturels (mers tourmentées, brumes inquiétantes et autres végétations luxuriantes). Kentarō Miura joue habilement des contrastes et de l’éclairage des scènes tout en offrant volume et ampleur à ses compositions. Certains fans regrettent le style brut et « old school » de ses débuts, reprochant à son auteur de se laisser porter avec le passage au numérique vers un style plus lisse. Un outil lui permettant d’affiner encore plus son sens du détail, point important à souligner dans la mesure où certaines planches offrent une profondeur de champ incroyable. Ces dernières témoignent par ailleurs d’un sens précis du découpage et de la mise en scène. En matière de ténèbres, l’artiste laisse libre cours à la démesure : lacs de sang, montagnes de cadavres imbriqués, entités démoniaques et autres joyeusetés… L’invraisemblable bestiaire relève du registre fantastique. Le lecteur, inondé de visions cauchemardesques, se retrouve plongé dans un monde peuplé de monstres aux morphologies folles et singulières : grylles, trolls voraces, créatures titanesques ou chimériques, ogres, arbres démoniaques, serpents anthropomorphes, démons cornus, spectres, entités spirituelles et compagnie. Aussi déroutant que fascinant, ce remarquable bestiaire — lequel semble inépuisable — constitue un élément fondamental de son univers.

Parmi les influences artistiques de cette œuvre graphique atypique, citons pêle-mêle la série fantastique Saga Guin ou encore le graphisme du mangaka Go Nagai, autant de périodes charnières dans la construction de son style. Il place Ken le survivant comme étant une grande source d’inspiration et cite également Conan le barbare, Mad Max et Cobra. La parenté artistique est aussi de mise lorsque Miura reprend certains détails des compositions folles et dérangeantes du Jardin des délices du peintre Jérôme Bosch. Il s’imprègne tout autant de l’imagerie des contes gravée par Gustave Doré que de certaines perspectives iconiques de M. C. Escher, ou encore des peintures de Goya ou de Munch. Le lecteur averti ne manquera pas non plus de retrouver certaines inspirations gigeriennes par l’entrelacs de représentations d’espaces cauchemardesques et vertigineux. Le mangaka domine ses influences et les injecte avec parcimonie dans son œuvre afin d’enrichir son propre univers. Il s’applique ainsi à donner une richesse esthétique particulièrement saisissante et une ampleur magistrale à son travail, fruit d’une rare fulgurance au sein d’un manga.

Vidéos

Mythologics #3 / Berserk. ALT 236.

Kentarō Miura — Derrière les ténèbres de Berserk. Otakulte.

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