Les plus âgés d’entre nous se rappellent combien les récits de l’écrivain Stefan Wul surent nous embarquer vers des territoires pour alors inexplorés par un certain pan de la science-fiction. « Comme Miyazaki ou Mœbius, il y a des noms qui parlent d’eux-mêmes. Stefan Wul en fait partie » souligne Laurent Genefort dans la postface du premier opus. Assurément. Et ce n’est pas moins d’une vingtaine d’auteurs de bandes dessinées à la réputation bien établie pour la plupart qui sont conviés à retranscrire la richesse visuelle et conceptuelle des écrits du maître. Un pari audacieux et largement réussi au regard de cette magnifique série que sont Les Univers de Stefan Wul, à laquelle nous convient les éditions Ankama dans un premier temps, et Comix Buro en partenariat avec Glénat dans un second temps. À noter que l’intégrale des romans publiés en quatre volumes chez Bragelonne et son adaptation en bandes dessinées se sont vu décerner le Prix spécial lors du « Grand Prix de l’imaginaire 2014 ». Amplement mérité, pour l’un comme pour l’autre !
Infos pratiques
Les Univers de Stefan Wul
Ankama Éditions & Éditions Delcourt/Comix Buro
Éditions Soleil
Chronique réalisée par Franck Brénugat
HISTOIRE
Des onze titres publiés reprenant l’intégralité des romans wuliens, écrits entre 1956 et 1959, la majorité relève du planet opera (Piège sur Zarkass, L’Orphelin de Perdide, Rayons pour Sidar, Terminus 1, Noô), les autres relevant du domaine post-apocalyptique (Niourk, La Peur géante) ou du registre fantastique (La Mort vivante). Venu à la science-fiction quelque peu par hasard, Wul défend une approche artistique proche de la peinture, privilégiant les odeurs, couleurs et formes propices aux ambiances. « La magie des décors et de l’ambiance évoquée par la musique, voilà ce qui m’inspire, je crois. Et tout le reste est accessoire. Le livret d’opéra, je m’en fiche éperdument ; ce qui m’intéresse, ce sont les cymbales, une ambiance, voilà, un climat » déclare ce dernier dans Les Maîtres de la science-fiction, sous la direction de Lorris Murail. Et le voyage offert par Les Univers de Stefan Wul ne fait qu’entériner cette évidence. En témoignent les jungles hostiles et exubérantes de la ville de New York (Niourk) ou des planètes Émeraude (Odyssée sous contrôle), Zarkass (Piège sur Zarkass) ou Sidar (Rayons pour Sidar) où transpirent tant la moiteur de la jungle que le danger d’une rencontre mal avisée avec la faune, la flore ou bien même l’aborigène. Autant de situations qui se prêtent justement au jeu des couleurs, saveurs et odeurs chères à l’auteur.
Une symphonie qui n’en demeure pas moins mise au service d’un scénario d’une intelligence jamais prise en défaut. Piège sur Zarkass ou Rayons pour Sidar pose la problématique embarrassante du rôle de la colonisation et de la volonté des peuples à vouloir disposer d’eux-mêmes. Problématiques qui n’en demeurent pas moins actuelles au regard de certains conflits à caractère ethnique et des velléités d’indépendance ou d’autonomie qui parsèment notre histoire contemporaine. Des récits qui interrogent également notre rapport à la science, comme le dévoile la vision post-apocalyptique du survivaliste Niourk ou celle du climatique La Peur géante. Wul se montre tout aussi capable de flirter avec les univers ou ambiances d’un abord plus fantastique. Ainsi La Mort vivante propose-t-elle une relecture du mythe de Frankenstein emprunte d’une beauté et d’une tragédie tout aussi manifestes que celles évoquées dans l’œuvre de Mary Shelley. Présentant des récits essentiellement tournés vers le planet opera, Les Univers de Stefan Wul développent une science-fiction à la fois récréative et exigeante, alliant comme peu d’auteurs avant lui l’image à l’idée, l’esthétique au concept. Peut-être le meilleur concurrent des Anglo-saxons dans le registre si dépeint et envié du sense of wonder, revisité et magnifié ici au travers des 25 titres retraçant les onze récits du maître.
Lecture
Sur une période très courte, s’étendant de 1956 à 1959, Stefan Wul — du nom d’un savant atomiste russe entendu à la radio — de son vrai nom Pierre Pairault, écrit onze romans, tous publiés dans la mythique collection « Anticipation » chez Fleuve Noir. Ce qui retient d’emblée l’attention dans son œuvre, c’est sa capacité à produire des images au caractère flamboyant, au service d’un récit qui ne l’est pas moins. Le cinéma ne s’y est d’ailleurs pas trompé en adaptant les romans Oms en série (La Planète sauvage) et L’Orphelin de Perdide (Les Maîtres du temps) sous la houlette de René Laloux.
Et la bande dessinée non plus. Une transition des plus réussies, aidée en cela par des récits dont les images se laissent volontiers apprivoiser. Mais l’opération, pour réussie qu’elle soit, n’a pas manqué de se livrer à quelques réexamens de l’œuvre. Ces derniers se sont principalement construits par le truchement d’un rajeunissement manifeste sur certains titres, dont la lecture sociétale de son auteur pouvait paraître à quelques esprits chafouins un tantinet réactionnaire, à tout le moins datée. Comme l’exprime le dessinateur Étienne, mentionnant le scénariste Hubert sur le diptyque Le Temple du passé : « Il se servait à fond des possibilités du genre en modernisant d’un coup ce roman un peu suranné. » Ainsi, homosexualité, féminitude, dévirilisation et « décolonialisme » s’invitent-ils — wokisme et révisionnisme obligent— sans jamais fort heureusement se montrer envahissant et moralisateur, comme il est possible de le constater en ces temps de « déconstruction » au sein d’un paysage éditorial à la démarche parfois éhontément édifiante. De même, le binôme Yann/Cassegrain sur Piège sur Zarkass s’octroie-t-il la liberté de remplacer les deux héros masculins par deux femmes que tout oppose, au sein d’une société résolument matriarcale. L’humour s’invite par la grande porte et offre par cette occasion une relecture décomplexée et cocasse des œuvres du fondateur. Une coquetterie toujours au service du scénario, cela dit. Indépendamment de ces quelques écarts scénaristiques, les récits demeurent pour la plupart fidèles aux romans, conservant l’essentiel de la trame narrative primitive. D’autres titres en revanche modifient en profondeur cette dernière, en témoigne Odyssée sous contrôle dont le final pessimiste se révèle aux antipodes du roman. Si les images fortes des œuvres wuliennes s’avèrent une aubaine pour les dessinateurs et les coloristes — remarquable travail sur la couleur d’Odyssée sous contrôle, tout comme celui en couleurs directes de Rayons pour Sidar —, la psychologie des protagonistes wuliens atteste parfois d’un intérêt périphérique, exhibant des figures à la marge du stéréotype. Une dimension narrative qui s’avère revue et corrigée par les scénaristes, offrant une approche plus dynamique et consistante, plus en phase avec les attentes du lectorat contemporain. Ces mêmes protagonistes se voient de la sorte bénéficier d’espaces d’intimité patents, comme l’illustre La Peur géante.
Une vingtaine d’auteurs ont été sollicités afin de mener à bien cette entreprise, témoignant de facto de styles graphiques fort variés. D’un dessin très réaliste orchestré par un Jean-Michel Ponzio (Terminus 1) à un graphisme haut en couleur et à l’acrylique (Rayons pour Sidar), en passant par l’expérimental traitement visuel puisé dans les années 1880-1920 (Retour à Zéro), les choix orchestrés s’avèrent bien pensés, eu égard à la nature de chaque roman. Et le scénariste Thierry Smolderen de justifier cette singulière approche graphique pour ce dernier : « La caractéristique centrale de la science-fiction est l’étrangeté, on le sait — or, quoi de plus étrange que les anciennes frontières artistiques tracées par des avant-gardes oubliées ? » Choix a priori déconcertant, néanmoins fort à propos pour ce titre, dont la dimension visuelle insolite se présente comme « une véritable cathédrale mi-futuriste, mi-rococo. » Parmi les titres les plus emblématiques de la série, on ne peut que saluer la remarquable esthétique du talentueux et chef d’orchestre du projet Olivier Vatine (Niourk.) Les éditions Ankama nous gratifient par ailleurs d’un projet éditorial de fort belle facture, dotée d’une charte graphique des plus flatteuses, la plupart des albums bénéficiant qui plus est d’un cahier de quatre pages, comprenant un court entretien accompagné de quelques visuels. On reprochera toutefois une certaine redondance, certains visuels et entretiens se retrouvant à l’identique d’un ouvrage à un autre… Les titres s’étirant sur trois albums se voient décliner en intégrale, les opus Niourk et La Mort vivante jouissant en sus d’un tirage en noir et blanc, dont une édition de luxe pour ce dernier. Et que dire pour les plus nantis d’entre nous des trois volumes du magistral Niourk dans leur version tirage de tête, dont le travail en noir et blanc fait ressortir toute l’élégance visuelle de son auteur !
Une superbe série qui ne manque pas de faire place à l’opulence des romans wuliens, dont les choix narratifs et visuels rendent un bel hommage à cette fusée littéraire que fut ce formidable promoteur de nos littératures. Bien qu’humaniste, celui-ci ne semble pourtant guère échapper à une certaine vision paternaliste, années 50 obligent. D’où la nécessité ou le désir pour cette adaptation visuelle de réévaluer le dialogue entre les idées des années 50 et celles d’aujourd’hui. Une déconstruction qui peut se justifier, certes, mais dont le caractère nécessaire ne va pas justement de soi. Un parti pris, tout au plus. À la lecture de cette série qui compte quelque 25 tomes, force est de constater que les thématiques développées n’ont rien perdu de leur acuité en ce troisième millénaire. La force évocatrice de l’œuvre wulienne est demeurée, sous la houlette de cette dream team, intacte, affichant un plaisir de lecture évident. À la suite d’un changement d’éditeur, les adaptations se sont poursuivies chez Comix Buro, en partenariat avec Glénat à partir de 2018. Nous demeurons toutefois comme le très jeune héros de Perdide, Claude, orphelins, le dernier tome de la collection faisant pour encore défaut, laissant la trilogie Noô inachevée. Trois années déjà… Verrons-nous un jour la publication de cet ultime opus — roman le plus singulier de son auteur — ou faudra-t-il reléguer cette absence dans les couloirs d’une prospective condamnée à rester vaine anticipation ?
Collection
Niourk — 3 tomes — Olivier Vatine
Odyssée sous contrôle — 1 tome — Dobbs et Stéphane Perger
Oms en série — 3 tomes — Jean-David Morvan et Mike Hawthorne
La Mort vivante — 1 tome — Alberto Varanda et Olivier Vatine
La Peur géante — 3 tomes — Denis Lapière, Mathieu Reynès (T1 & 2), Raùl Arnàiz (T3)
Le Temple du passé — 2 tomes — Hubert et Étienne Le Roux
L’Orphelin de Perdide — 2 tomes — Régis Hautière et Adriàn Fernández Delgado
Noô — 2 tomes — Laurent Genefort et Alexis Sentenac
Piège sur Zarkass — 3 tomes — Yann et Didier Cassegrain
Rayons pour Sidar — 2 tomes — Valérie Mangin et Emmanuel Civiello
Retour à Zéro — 1 tome — Thierry Smolderen et Laurent Bourlaud
Terminus 1 — 2 tomes — Serge Le Tendre et Jean-Michel Ponzio
Les Univers de Stefan Wul – Dossier de presse — 1 tome — Collectif
Les Univers de Stefan Wul – Le Making-of — 1 tome — Collectif
Vidéos
Olivier Vatine – Les Univers de Stefan Wul. Aubert Bonneau.
Les Univers de Stefan Wul à Saint-Malo. whoswul.