Lorsqu’elle se réveille dans un parc londonien, sous la pluie, le corps pétri de douleur et entourée de corps inanimés, Myfanwy Thomas n’a pas même le luxe de connaître son propre nom. Totalement amnésique et livrée à elle-même, elle ne possède que le contenu de ses poches pour comprendre qui elle est ainsi que la raison de sa situation peu habituelle. Au service secret de Sa Majesté constitue le premier roman de Daniel O’Malley, diplômé d’histoire médiévale de l’université de l’Ohio. Publié dans nos contrées chez Super 8 Éditions, il est le lauréat des Aurealis Award 2012 dans la catégorie Meilleur roman de science-fiction.
Infos pratiques
Au service surnaturel
de Sa Majesté
de Sa Majesté
Daniel O’Malley
Éditions Super 8
Chronique réalisée par Romy Mousset
HISTOIRE
Victime d’une agression, Myfanwy Thomas reprend peu à peu connaissance dans un parc londonien. Elle se voit non seulement entourée à son réveil d’hommes morts, mais se découvre pour son plus grand malheur totalement amnésique. Mis à part une seringue et deux enveloppes annotées « toi » et « 2 », nul souvenir ne parvient à émerger de son cerveau pour lui faciliter les choses. À la lecture de la première lettre, notre héroïne découvre le nom du corps qu’elle habite ainsi que la présence d’une menace certaine pesant sur sa vie. Prudente et prévoyante, la précédente Myfanwy Thomas avait visiblement eu vent de ce qui risquait de lui arriver et avait fait en sorte que la nouvelle Myfanwy soit en mesure de survivre, que ce soit en gardant son identité ou en disparaissant dans la nature.
Bien décidée à laisser derrière elle les malheurs et difficultés de son ancienne vie, la nouvelle Myfanwy est tout d’abord prête à choisir l’option la plus aguichante. Dans la seconde lettre, en effet, elle découvre que son prédécesseur a laissé pour elle à la banque deux coffres contenant chacun le nécessaire pour qu’elle puisse vivre sa nouvelle vie. Dans le premier, le kit et les instructions complètes pour qu’elle puisse changer d’identité et mettre les voiles. Dans le second, des données sur la vie de l’ancienne Myfanwy et le moyen pour la nouvelle de reprendre le flambeau en restant en vie.
Mais alors que la jeune femme s’apprête à profiter d’une somme rondelette et d’une vie discrète, mais aisée, une attaque contre sa personne lui fait changer d’avis. Tout comme les hommes inanimés du parc, le commando lui tombant dessus à la banque porte également des gants de latex. Plus intrigant encore, la petite femme fluette et effrayée qu’elle est parvient seule à mettre hors d’état de nuire trois hommes et une femme visiblement bien entraînés et déterminés.
Notre amnésique prend alors une décision qui orientera toute son existence et saisit le contenu du coffre lui permettant de (re)devenir Myfanwy Thomas. Elle découvre alors que, dotée de capacités paranormales, Myfanwy Thomas, à l’âge de neuf ans, fut retirée à ses parents par une organisation secrète ayant pour but de protéger la Nation des forces surnaturelles. Éduquée au sein du Domaine avec d’autres enfants doués comme elle de pouvoirs paranormaux, elle n’eut d’autre choix que de travailler pour la Checquy qui avait bouleversé sa vie à jamais. Timide et peu encline à se servir de ses dons, elle avait néanmoins attiré l’attention grâce à ses talents d’administratrice et fut promue au rang de Tour au sein de l’organisation. Ayant appris de plusieurs sources médiumniques l’existence d’un ennemi faisant partie de la Checquy, la jeune femme avait regroupé autant d’informations que possible sur sa propre vie, la Checquy et ses membres les plus éminents.
Armée de capacités surnaturelles, de bribes d’informations sur son ancienne vie et d’un classeur contenant un nombre impressionnant d’informations sur l’organisation secrète et ses membres, la nouvelle Myfanwy Thomas entreprend alors de vivre dans cet univers étrange où la menace peut venir de toute part et où elle devra rivaliser de courage et de méfiance pour survivre. D’autant plus qu’elle n’est pas la seule en danger : une organisation parallèle et bien moins attentionnée que la Checquy menace le pays…
Lecture
Au service surnaturel de Sa Majesté est un bon petit livre qui aurait pu, à peu de choses près, devenir un très bon roman. En effet, de petites choses toutes simples font perdre à ce roman d’O’Malley un peu de l’éclat qu’il aurait pu avoir.
La narration peut s’avérer quelque peu perturbante. Sans doute dans un but de clarté, l’auteur nous offre trois narrateurs pour le prix d’un, dont deux provenant du même corps. Pour ce qui est de l’ancienne Thomas, les lettres adressées à la nouvelle Myfanwy sont très bien imaginées et construites. Le problème vient davantage des parties concernant la vie de Myfanwy, écrites par O’Malley à la troisième personne. La distinction aurait pu être comprise, mais les pensées de son héroïne — logiquement à la première personne — viennent parasiter les choses. En plus du côté agaçant de la chose, l’auteur passe à côté de la perspective de nous plonger dans le corps, le doute et l’incompréhension de Myfanwy. Certes, nous nous attachons à elle. Certes, nous comprenons ses dilemmes et ses doutes. Mais le début du roman aurait pu être transformé de belle manière si l’auteur avait trouvé une autre méthode pour rendre plus claire la différence entre le récit de l’ancienne et de la nouvelle Myfanwy Thomas.
Un autre détail peut rendre le lecteur sceptique : la facilité avec laquelle une amnésique ne sachant rien de l’organisation secrète dans laquelle elle est supposée travailler prend ses dossiers en main. Certes, nous voyons bien que les premiers pas de Myfanwy au Beffroi, lors de sa première journée de travail, sont de nature hésitante. D’ailleurs, les techniques qu’elle emploie, ne serait-ce que pour trouver son bureau, sont plutôt ingénieuses. Mais le fait que sa méconnaissance totale de son travail ne l’empêche pas de le faire est un point faible — quoique négligeable — du début de roman. D’ailleurs, la première journée de la Tour Thomas donne un petit goût de bâclé. Les rendez-vous s’enchaînent et semblent durer moins de cinq minutes chacun. L’idée d’une héroïne perdue dans toute cette nouveauté y est, mais quelques lignes de plus eurent suffi à expliquer comment elle parvenait à traiter les dossiers laissés par l’ancienne Tour.
Ceci étant dit, nous pouvons nous pencher sur tout le reste, et celui-ci est réellement plaisant à lire. O’Malley parvient à créer tout un univers parallèle au nôtre, avec ses règles, sa hiérarchie complexe et ses représentations sociales. Serviteurs, pions, membres de la cour ont chacun leur poste et cette société cachée possède comme la nôtre ses points forts et ses points faibles. Jalousie, inégalités, favoritisme et mépris ont leur place au même prix que la loyauté, le mérite et l’intelligence. Une société secrète qui n’est pas si différente de la nôtre finalement. Et si l’amnésie de l’héroïne permet de souligner certaines injustices de cet univers qui ne choquent pas grand monde — tel que l’impossibilité pour une personne non dotée d’accéder à certains postes — il nous suffit d’imaginer un regard alien se posant sur notre monde réel : ne serait-il pas tout aussi surpris par les injustices qui y règnent ?
L’amnésie de Myfanwy permet également de nous pencher sur la nature de l’identité d’une personne. Est-ce son corps ? Ses aptitudes intellectuelles ? Son caractère ? Ses souvenirs ? Car bien que « nouvellement née », Myfanwy possède le corps de Thomas. Elle s’avère également aussi douée avec l’administration que sa prédécesseure. Ses dons sont toujours là et semblent même s’accroître. Où se joue la différence entre ces deux personnes ? Peut-on par ailleurs réellement parler de deux personnes distinctes ? La question se pose à Myfanwy tout au long du roman sous plusieurs formes, ce qui rend l’évolution du personnage intéressante. Devenir la Tour Thomas, Myfanwy Thomas ou devenir quelqu’un d’autre avec une nouvelle identité ? La question de son identité lui est posée dès le départ et si, à mesure que le roman avance, ses liens avec son nouveau corps et sa nouvelle vie évoluent, la question reste de savoir ce qui fait de Myfanwy Thomas Myfanwy Thomas.
Enfin, si Au service surnaturel de Sa Majesté nous offre plusieurs points de réflexion sur notre existence et notre société, il s’agit également d’un roman plein de légèreté et d’aventures aussi étranges que drôles. Comment réagir en effet face à un canard quarantenaire capable de prédire l’avenir ? Comment rester de marbre face à un cube de chair géant capable d’aspirer n’importe quoi ? Et comment ne pas frissonner lorsque trois commandos surentraînés se font avaler par une maison envahie de spores ? Même les personnages — du vampire à l’homme élastique en passant par l’entité aux quatre corps distincts — transportent le lecteur dans un monde fou et plein de magie. Les images rocambolesques s’enchaînent, les personnages hauts en couleur se succèdent et au milieu de tout cela, le lecteur et Myfanwy ont pour objectif de distinguer ce qui est normal de ce qui ne l’est pas : un challenge à la fois distrayant et rafraîchissant.
Bien qu’Au service surnaturel de Sa Majesté échoue de peu à briller de mille feux, il parvient néanmoins à mettre des étoiles dans les yeux de ses lecteurs. Le fantastique et la magie de ce monde parallèle au nôtre permettent quelques moments d’évasion des plus plaisants et la suite devrait s’avérer des plus intéressantes.
Vidéos
The Rook by Daniel O’Malley. Hachette Book Group.
Au service surnaturel de Sa Majesté. Le traqueur de livres.