Le talentueux Riff Reb’s nous livre un bien bel hommage à l’un des chefs-d’œuvre de Jack London au travers d’une remarquable adaptation de son roman Le Vagabond des Étoiles, son ultime roman. Le premier tome de ce diptyque, disponible aux éditions Soleil, met en scène les sévices subis par Darell Standing, ingénieur et professeur agronome, condamné à la pendaison au sein du pénitencier de San Quentin, en Californie, sévices orchestrés par une communauté de geôliers fort imaginatifs en la matière. C’est justement par cette même imagination que notre protagoniste tentera d’échapper aux horreurs de cet enfer carcéral.
Infos pratiques
Le Vagabond des Étoiles
Riff Reb’s
Éditions Soleil
Chronique réalisée par Franck Brénugat
HISTOIRE
Darell Standing est un bien pauvre bougre que le destin ne semble guère avoir favorisé. Emprisonné dans les geôles abjectes de la ville de San Quentin, en Californie — là même où Johnny Cash chanta en 1969 — il attend tant bien que mal l’heure annoncée de sa pendaison, laquelle est venue se substituer à une condamnation à perpétuité pour meurtre. L’attente se montre bien longue et guère salvatrice pour cet homme qui se voit subir les pires barbaries orchestrées par la direction de l’établissement. Sur un malentendu, cette même direction se montre convaincue que notre victime connaît l’existence du lieu où un détenu aurait enterré des explosifs en vue d’une évasion avortée. Pure fabulation que cet enterrement, mais les gardiens sont persuadés du contraire et souhaitent par tous les moyens faire cracher le morceau à notre malheureux. Et pour cela, ils rivaliseront d’ingéniosité pour faire parler Darell : malnutrition, violences physiques, isolement et camisole de force seront le lot quotidien de notre malheureux. Mais ce dernier ne cèdera en rien aux caprices de ses tortionnaires. Ne pouvant par ailleurs apporter une quelconque réponse apte à satisfaire la direction pénitentiaire, et devant les nombreux supplices dont il est l’injuste victime, Darell décide alors de se réfugier dans un imaginaire, seul endroit qui ne saurait être corrompu par les forces extérieures. Cet imaginaire le mènera vers des sommets jusqu’alors insoupçonnés, lui offrant une liberté ô combien salvatrice en ce présent si tourmenté !
Au regard des huit années d’emprisonnement dans un cachot d’isolement, éternité aux souffrances indicibles, Darell se découvre ainsi une échappatoire par le voyage astral. C’est alors qu’il entreprend de longs et oniriques périples astraux dans ses vies antérieures. Il se voit ainsi emprunter les traits du comte Guillaume de Sainte-Maure sous Louis XIII, d’un gamin embarqué sur les routes de la conquête de l’Ouest, d’un ermite délirant ou encore d’une migrante irlandaise. Ce sont justement ses multiples souffrances, notamment lors de ces terribles « sessions camisoles » qui lui faciliteront cet exode vers des cieux plus cléments, sinon libératoires. Ce dernier trouvera-t-il une échappatoire au terme de ce diptyque qui se dévoile sous les meilleurs auspices, que ce soit par le truchement de ses voyages si singuliers ou par celui du nœud coulant qui l’attend dans le couloir de la mort ?
Lecture
C’est avec ce même plaisir inaltérable que nous retrouvons Riff Reb’s, grand enchanteur de nos univers picturaux. La poésie qui émane de l’ensemble de son œuvre rivalise avec celle des plus grands et n’est pas sans rappeler les créations oniriques et fondatrices d’un Toppi. Et le premier opus de ce diptyque n’échappe point à la règle, tant la dimension narrative gagne en intensité sous un trait remarquable d’intelligence et une mise en couleurs des plus inventives. Reb’s reprend les codes qu’on lui connaît et avec le succès qu’on lui connaît également.
À commencer par les personnages, dont les trognes expriment toute la palette des émotions humaines. Cruauté, torpeur ou encore résignation prennent pleinement corps sous les traits habiles de notre faiseur d’images. Une vaste comédie humaine prend ainsi forme sous une galerie de personnages hauts en couleur. Des couleurs, justement. Comme à son habitude, ce dernier joue des couleurs et chaque planche, en fonction de telle ou telle narration, se voit arborer telle ou telle palette chromatique, oscillant entre les bleus gris de la nuit, les marrons de l’univers carcéral et les violets incandescents des voyages astraux, rehaussant les ambiances propres à chaque arc narratif. Aussi réussie soit-elle, cette plongée graphique n’aurait d’autre valeur que la simple performance graphique si elle n’était un service d’une histoire. Et cette dernière se montre rondement ficelée, jouant sur cette longue descente aux enfers de notre bien malheureux protagoniste. La maîtrise du cadrage, très cinématographique, offre un délié narratif limpide, malgré un nombre important d’ellipses et de retours en arrière. Lesquels sont nombreux, puisque pas moins de cinq époques sont convoquées au bénéfice du récit, sans perte en fluidité narrative pour autant. Belle performance, d’autant plus que l’histoire ne sombre pas dans l’embonpoint ou le superfétatoire, allant en cela à l’essentiel avec une réelle économie de moyens. Et c’est tant mieux. C’est à cela que l’on reconnait les plus grands. Nous aimions à faire un parallèle avec Sergio Toppi, lui aussi habile à conter de magistrales histoires ou contes avec une économie de mots — mais aussi de planches. Reb’s se montre en cela un conteur fascinant, dont les histoires ne sauraient nous laisser indifférents.
Le Vagabond des Étoiles est aussi un brillant hommage au combat orchestré par Jack London, lequel s’est battu pour faire accepter de meilleures conditions pour les détenus, à une époque où les droits de l’homme demeuraient davantage une vue de l’esprit qu’une réalité sociétale — a fortiori dans les univers carcéraux. Le roman de Jack London fut publié en 1916 et bénéficia d’un impact notable sur la société étatsunienne allant jusqu’à faire valider l’interdiction de la camisole de force pour les prisonniers de droit commun. Cette volonté de dénoncer cette violence carcérale retrouve à nouveau sous les traits de Reb’s toute sa raison d’être.
Voilà donc un magnifique ouvrage dont on attend avec impatience le dénouement dans le dernier tome. Le Vagabond des Étoiles donne à voir une remarquable charge contre l’univers carcéral tout comme une magnifique ode à la puissance de l’imaginaire. Reb’s nous offre dès ce premier opus une adaptation magistrale, reprenant avec maestria le texte initial de Jack London, l’homme aux « mille vies », homme dont les nombreux récits de voyage ne manqueront jamais d’emporter le lecteur vers d’improbables voyages. Fidèle à la collection Noctambule qu’il inaugura en 2009 avec À bord de l’Étoile Matutine, puis avec Le Loup des mers en 2012 et Hommes à la mer en 2014, titres constituant sa « trilogie maritime », Riff Reb’s poursuit son aventure éditoriale dans cette même collection, laquelle fête avec Le Vagabond des Étoiles son dixième anniversaire. On lui souhaite une prochaine décennie tout aussi riche en couleurs !
Vidéos
Chronique Le Vagabond des étoiles. You Only Read Once.
Riff Reb’s, dessinateur havrais. Département de la Seine-Maritime.