L’Entre-Deux-Mondes, Terre parallèle à la nôtre, se meurt à la suite de nombreuses guerres passées aux effets cataclysmiques délétères menaçant le continuum espace/temps de l’univers. Le jeune Roland et ses deux acolytes, tous trois pistoleros, devront lutter contre moult forces ténébreuses afin d’éviter au chaos de régner sur les multiples mondes. Adaptée en bande dessinée par le scénariste Peter David avec aux dessins Jae Lee et le français Richard Isanove et supervisée par Stephen King lui-même, cette saga se déclinant en 14 tomes aux éditions Panini/Soleil sous le label Fusion Comics reprend l’œuvre magistrale du maître, La Tour Sombre, laquelle ne comporte pas moins de 4 200 pages dans sa version romanesque…
Infos pratiques
La Tour Sombre
Stephen King
Éditions Panini/Soleil
Chronique réalisée par Frank Brénugat
HISTOIRE
Roland Deschain, âgé de quatorze ans, vient de passer selon son vœu et avec succès le dangereux rituel initiatique faisant de lui un pistolero, le plus jeune d’entre tous. Il peut désormais porter un six-coups, pistolet rescapé des lointaines guerres passées qui se perdent dans le fond des âges. Avec ses deux acolytes pistoleros non moins jeunes que lui, Cuthbert Allgood et Alain Johns, Roland est emmené pour sa première mission à espionner les faits et gestes des hommes du clan Eldred Jonas, « les Grands chasseurs de cercueil », lesquels fomentent une rébellion dans la région de Mejis pour le compte de John Farson.
Bien vite nos jeunes pistoleros vont devoir affronter des forces bien plus obscures et dangereuses que celles des hommes de main de Farson. Car l’Entre-Deux-Mondes, Terre jumelle de notre planète n’est pas le monde matérialiste que nous connaissons bien de ce côté-ci. Ce monde parallèle est peuplé de magie, de forces obscures, mais aussi de technologies avancées aujourd’hui tombées dans l’oubli. L’Entre-Deux-Mondes n’est qu’un monde parmi de nombreuses réalités parallèles. Chacun de ces mondes jouit d’un destin singulier, mais tous sont nécessairement liés à la pierre angulaire du continuum espace/temps que représente la Tour Sombre, gardienne de l’équilibre des univers, le Tout-Monde. La singularité de cet Entre-Deux-Mondes réside toutefois dans le fait qu’il représente le Monde Principal, seul endroit où la Tour Sombre se manifeste dans sa réelle apparence, là où notre propre monde représente cette même tour sous la forme d’une rose. Autant la Tour Sombre permet de maintenir la forme de la réalité des univers, autant la rose de notre Terre protège son cœur.
Seulement, un danger guette ce fragile équilibre, menaçant de disloquer l’ensemble des mondes, et de ce fait l’univers lui-même. Ce danger a pris le visage du Roi Cramoisi, incarnation du Mal, lequel rêve de détruire la Tour afin de faire régner à nouveau le Chaos primordial d’avant la Création des mondes, aidé en cela de ses immenses pouvoirs et de ses nombreux serviteurs. Roland et son ka-tet se posent alors comme étant les seuls à pouvoir contrarier les plans maléfiques du Roi Cramoisi. D’où cette quête au succès improbable, tel Samson affrontant Goliath, où notre jeune pistolero fera plus qu’engager son corps…
Lecture
Les lecteurs de l’œuvre romanesque, dantesque à bien des égards – King qualifiant lui-même cette saga au long cours de « Jupiter du système solaire de mon imagination » – seront probablement surpris à la lecture de cette version imagée de ne point retrouver la trame chronologique du roman. La bande dessinée se concentre en effet sur le passé de Roland et de ses premières années, reprenant en cela l’histoire du quatrième tome de la série, Magie et Cristal, là où le Roland adulte conte à ses compagnons sa jeunesse dans la Baronnie de Mejis. Ces mêmes lecteurs ne manqueront pas de comprendre que proposer une bande dessinée – quand bien même celle-ci s’étendrait sur 14 volumes – reprenant les huit romans du King s’apparenterait à une véritable gabegie. L’œuvre romanesque est tellement dense, les personnages multiples, les périodes différentes, le vocabulaire de l’Entre-Deux-Mondes si singulier et les intrigues tellement intriquées qu’une superposition narrative du roman eut été tout bonnement illisible. Par ailleurs, le choix se portant sur la jeunesse de Roland s’avère des plus judicieux, nous permettant au mieux de saisir les enjeux complexes qui se déroulent dans ce multivers sans trop sacrifier à la lisibilité de l’ensemble.
Petit sacrifice tout de même dans la mesure où les non-initiés à cette œuvre livresque magistrale – magistrale en tout point – ne manqueront pas d’éprouver parfois quelques difficultés à surnager dans les méandres d’une histoire aussi riche que complexe. L’avertissement présent au début de chacun des 14 tomes sonne d’ailleurs comme un aveu : « AVERTISSEMENT ! La Tour Sombre se déroule dans un monde inventé par Stephen King, et ses habitants utilisent un langage imaginaire et de nombreuses expressions propres à cet univers. Si le lecteur des romans de La Tour Sombre ne sera pas dépaysé, il est possible qu’il faille une phase d’adaptation pour le lecteur non averti. » CQFD. Témoignage également de cette complexité, un cahier d’une bonne vingtaine de pages proposant au lecteur un texte signé par la consultante Robin Furth portant pour chacun des 14 opus sur l’un des aspects de cet univers de l’Entre-Deux-Mondes (personnages, technologie, magie, mutations, géographie, etc.) Un texte éclairant et souvent salvateur, accompagné d’illustrations signées Richard Isanove et parfois doublé d’un cahier graphique en sus. Un ensemble constituant une bien belle valeur ajoutée, titillant d’emblée notre désir de nous (re)plonger dans l’œuvre romanesque.
Et les p’tits Mickeys dans tout ça ? Ceux-ci s’épanouissent en toute beauté sous les pinceaux de Jae Lee et ceux de Richard Isanove. Les traits subliment littéralement la narration, assurés et épurés, loin de certaines productions états-uniennes qui n’ont parfois que la première de couverture à offrir… Les horreurs issues de l’imagination prolifique et débridée du maître King prennent ici tout leur sens. Un tel pari n’avait rien d’évident, eu égard à la singularité du bestiaire démoniaque qui hante les pages de La Tour Sombre. La mise en couleur est assurée par Richard Isanove, lequel reprend à son compte le dessin pour trois opus. Précisons d’emblée que cette mise en couleur se montre d’emblée tout simplement magnifique. Subtilité des dégradés, cohérence des tonalités, équilibre des contrastes sont autant de qualités à faire valoir. D’une planche à une autre – voire d’une case à une autre parfois – il est ainsi possible d’explorer les plages dynamiques de tel ou tel nuancier, alternant ainsi la gamme des registres de façon jubilatoire, mais jamais sans le moindre caractère outrancier ou démonstratif par ailleurs. Du grand art. Merci Photoshop…
Un dernier mot concernant la narration. Indépendamment des incontournables dialogues entre les différents protagonistes, le récit se voit adjoindre également un narrateur à la première personne, en voix off, lequel n’est autre que le sorcier Marten Largecape/Walter O’Dim, avatar bien connu des habitués de l’œuvre kingienne… Idée a priori surprenante, mais dont la narration offre quelques réflexions pseudo-existentielles, voire humoristiques en de rares occasions – le diable est taquin, c’est bien connu – lesquelles réflexions se montrent a posteriori les bienvenues dans cet univers à la noirceur implacable.
Vous l’aurez compris, si l’œuvre romanesque de La Tour Sombre se trouve être un chef d’œuvre comme peu d’écrivains savent en pondre dans ce registre-là du fantastique, il en est de même concernant ce produit dérivé en tout point fort remarquable. Une œuvre fantastique et épique qui prend toute sa mesure et son sens avec le dessin de Jae Lee et la mise en couleur de Richard Isanove. Assurément, le père King a su s’entourer des personnes qui vont bien pour offrir une heureuse alternative aux huit romans de la saga – auquel il convient de rajouter deux autres ouvrages de Robin Furth constituant le guide officiel de la Tour – dont les 4200 pages pourraient peser sur l’estomac de quelques-uns… Bref, que du bonheur ! Lequel serait démultiplié si les séries des comics The Gunslinger et The Drawing of The Three faisant suite à celle de The Dark Tower étaient un jour publiées en France… Vous intuitez
Vidéos
La Tour Sombre Part 1 – Germain Maletras – © Panini/Soleil,2008-2012 – © Stephen King, Robin Furth, Peter David, Jae Lee, Richard Isanove, 2007-2012– © Ennio Morricone pour la musique, 1966.
La Tour Sombre de Stephen King. La chronique du lecteur 17#. Le Lecteur Chroniqueur.