Le troisième roman de Joe Hill, récompensé du prix Bram-Stocker du meilleur roman 2010, nous présente l’Enfer sur Terre. Ou plutôt l’Enfer d’un jeune homme, Ignatius Perrish, qui se réveille un matin avec le début de Cornes qui lui poussent sur le front. Gênant, d’autant plus que son entourage n’y prête guère attention et semble même enclin à lui confesser leurs pires envies et actes. Difficile alors pour lui de réaliser que la majorité de la ville le considère comme responsable du meurtre de sa copine, violée et assassinée un an plus tôt.
Infos pratiques
Cornes
Joe Hill
Éditions JC Lattès
Chronique réalisée par Jory Deleuze
HISTOIRE
Ignatius (Ig) et Merrin ont filé le parfait amour pendant des années. Une romance débutée à l’adolescence et qui semblait faite pour durer. Jusqu’au jour où Merrin est retrouvée violée et assassinée près de la fonderie abandonnée de la ville. Ig est suspecté, mais relâché faute de preuves.
Un an plus tard, devenu une épave vivotant entre la demeure familiale et un squat chez une amie/plan cul, il se réveille et découvre la naissance d’une paire de cornes sur son front. Voulant faire constater la chose, son amie préfère lui avouer « s’être amusée » sur un parking la veille avec un vieil ami à lui. Désarçonné, Ig ne peut que l’écouter ensuite déballer toute une série d’envies excessives, de pensées malsaines et haineuses. Ses visites chez le médecin et à l’église, en quête d’une réponse sur son état physique pour le moins inhabituel, confirment ses craintes : les habitants de Gideon, New Hampshire, se mettent invariablement à lui avouer leurs pires envies du moment, et allant jusqu’à confesser leurs désirs de voir Ig mourir ou en prison, persuadés qu’ils sont de sa responsabilité dans le meurtre de Merrin.
Car tout le monde l’aimait bien Merrin. Jolie rousse impliquée dans les activités de la paroisse, tout comme Ig, elle venait de déménager à Gideon avec ses parents après le décès de sa sœur ainée d’un terrible cancer. Lui est issu d’une famille aisée, avec un père musicien professionnel et un frère présentateur de talk-show. Ig se vouait plutôt à travailler dans l’humanitaire, lorsque la tragédie mit fin à leurs rêves communs.
Il traine depuis dans sa voiture et boit, la majeure partie du temps, loin des considérations altruistes et dévouées de jadis. L’arrivée soudaine et inexpliquée de ses cornes ne pousse pas seulement les gens à de honteuses confessions, mais lui conférerait le pouvoir de prendre connaissance du passé trouble de toute personne sur simple contact physique. Cette malédiction (ou ces « dons » ?) semble le condamner à côtoyer le pire chez ses voisins, connaissances, amis, mais qu’en est-il de sa famille ? Et si cela lui permettait de se mettre sur la piste du meurtrier de Merrin ?
Lecture
Que faire dès lors que tout le monde affirme ne pas vous apprécier, ni maintenant ni, en fait, jamais ? Comment répondre et considérer ses pairs lorsqu’ils avouent soudainement leurs plus viles pulsions et envies ? La découverte des cornes un matin au réveil lance le lecteur dès les premières pages dans la lente descente aux enfers, ou plutôt dans la suite d’une dégringolade qui commença un an plus tôt par l’assassinat de son amour de toujours et pour lequel il fut le principal et unique suspect. Plus il cherche des réponses à son état, plus il découvre à quel point les autres sont emplis de haines, de désirs de violence orientés aussi bien vers autrui que vers soi-même. Et personne ne se soucie outre mesure de cette malformation apparente sur le haut du front.
Page après page, Joe Hill distille un cauchemar où les repères et les acquis sécurisants (les amis, la famille, le passé) se font atomiser par des individus envoûtés et sans honte répondant aux cornes. Ce n’est pas dévoiler un secret que de dire d’emblée que les cornes, ou en tout cas l’état général d’Ig, exercent bel et bien une espèce d’envoutement alentour qui s’estompe dès lors qu’il s’éloigne. Le roman n’est pourtant pas constitué uniquement de confrontations malheureuses (mais desquelles nous pouvons tirer, avouons-le, un plaisir sadique), et très vite des flashbacks nous en apprennent un peu plus sur le passé des protagonistes.
Une part importante du récit se concentre sur l’adolescence du héros qui faillit mourir dans un accident bête à la suite d’un pari où, pour crâner devant une assemblée de plus ou moins jeunes ados trainant dans les vestiges d’une vieille fonderie abandonnée et jouant avec des morceaux de merde ou des pétards, il s’était donné pour objectif de dévaler une pente, nu, dans un caddie de supermarché. L’atterrissage et la quasi-noyade dans le fleuve auront eu pour conséquence de lui faire croiser la route du taciturne et mystérieux Lee Tourneau, qui deviendra son meilleur ami. Peu après, il fera la rencontre de Merrin, et ainsi découvrons-nous comment leur relation (Ig-Lee-Merrin) s’est construite, et comment le temps aura fait son office, jusqu’à la veille du meurtre.
Le tout n’est pas sans laisser une impression familière lorgnant sur Stephen King, et pour cause : Joe Hill n’est autre que son rejeton. N’étant pas à ses premiers écrits, il a également acquis une certaine notoriété dans les comics en commettant l’excellente série Locke & Key. Si le style n’est pas révolutionnaire – il serait même empreint de quelques métaphores pseudo-poétiques lourdes ou maladroites – il est toutefois simple et efficace. Symboles et références aux religions sont présents, mais au lecteur de distinguer qui ou quoi représentent le Mal et le Bien dans cette histoire.
Hill laisse légèrement planer le doute sur la nature finale des choses, évitant de peu un écueil parfois adressé au paternel King, à qui il arrive d’utiliser monstres ou aliens comme ressort final, sans plus de subtilité. Un récit divertissant et très original dans l’idée qui, sans être culte, vaut le petit détour.
Vidéos
Writers on the Fly : Joe Hill. Iowa City UNESCO City of Literature.
Bande-Annonce du film Horns. Les Cinémas Pathé Gaumont.