Le Goût de l’immortalité, Catherine Dufour, Éditions Mnémos
Jérôme Noirez
Dans un monde post-apocalyptique dominé par la barbarie et la pollution, une vieille femme au corps d’adolescente, malingre et malade, raconte une aventure vieille de deux siècles, navigant entre complots internationaux, corps pourris et désir d’immortalité. Une aventure racontée avec brio par Catherine Dufour dans Le Goût de l’immortalité qui en fera frissonner plus d’un. Disponible aux éditions Mnémos.

Infos pratiques

Le Goût de l’immortalité

Catherine Dufour

France

Mnémos

Inédit

Octobre 2005

249 pages

Grand Format

17,50 euros

978-2354081423

© Éditions Mnémos 2005 – © Philippe Caza

Prix Rosny Aîné 2005 catégorie Roman de SF francophone – Grand Prix de l’Imaginaire 2007 – Prix Bob Morane du meilleur roman francophone 2006 – Prix du lundi de la SF française 2007

Le Goût de l’immortalité

Catherine Dufour

Éditions Mnémos

Chronique réalisée par Alice T
Le Goût de l’immortalité, Catherine Dufour, Éditions Mnémos

Post-apocalypse

Mandchourie / XXIIe siècle

Science-fiction épistolaire

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages
Vidéos LE GOÛT DE L’IMMORTALITÉ
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HISTOIRE

Quand les hommes ont fini de mettre notre planète à feu et à sang, il ne restait plus que la solution de l’urbanisme vertical : les mieux lotis vivent dans des tours, juchées à des kilomètres au-dessus du sol, tandis que la lie – les habitants de la « suburb » – est condamnée à rester au plus près de la terre contaminée.

Notre vieille héroïne, qui tiendra à son anonymat au fil des 300 pages et du haut du 42étage d’une tour de Ha Rebin en Mandchourie, compense en hargne et en sarcasme ce qu’elle a perdu en santé au cours des transformations « magiques » qu’elle a subies. Sur 300 pages qui vont à cent à l’heure, elle livre à un certain Marc une partie de son sombre passé. Sombre, ce roman couronné des Prix Rosny Aîné 2005, Bob Morane 2006, Grand Prix de l’Imaginaire 2007 et Prix du lundi de la SF française 2007 l’est résolument. La construction du texte de Dufour est magnifiquement articulée en trois chapitres d’une longueur à première vue aléatoire.

Le premier, que la narratrice a intitulé « Démographie et ingratitude », nous plonge d’emblée dans ce monde où systèmes politiques – réduits à leur partie congrue – linguistiques, économiques, ou encore géographiques semblent mis à mal. De quoi déjà bien nous retourner la tête, à ceci près que la narratrice greffe à ces nombreux éléments narratifs une histoire personnelle qui se résume à une obsession : sa haine envers une mère qui ne l’a pas laissée mourir. Le décor est planté. Le deuxième, « Morphogénétique et appâts sexuels », se concentre sur l’aspect humain – ou ce qu’il en reste, encore une fois – et nous fait découvrir encore plus de nuances de noir. La folie n’est pas loin. Elle côtoie cmatic, un entomologiste chargé d’une enquête scientifique et confronté à beaucoup trop d’horreurs. Le troisième chapitre, « Génocide et design », prend des allures de quête épique (si ce mot veut encore dire quelque chose) avec une montée spectaculaire de la tension et de la peur chez le lecteur, lequel souhaite un avenir plus brillant à ces êtres désespérés.

Toutefois, suivre cette histoire de manière linéaire n’aurait pas de sens, car on finit peu à peu par comprendre que tous les destins se croisent pour former une toile des plus effrayantes… mais sans doute pas autant que la nature de notre « ado », révélée à la toute fin. Roman épistolaire, science-fiction, thriller, rapport scientifique, film d’horreur, Le Goût de l’immortalité est tout cela à la fois, et ce, raconté avec beaucoup de talent et de panache.

Lecture

Quand on a fait connaissance avec l’œuvre de Catherine Dufour avec Blanche-Neige et les lance-missiles, un recueil de nouvelles drolatiques lorgnant du côté de Terry Pratchett, la confrontation avec Le Goût de l’immortalité est rude. En effet, l’ambiance y est noire, absolument sans espoir. Le monde semble tellement figé dans sa folie dévastatrice que certains films post-apocalyptiques pourraient rivaliser avec les épisodes de Mon petit poney. Les hommes ont perdu leurs valeurs, les multinationales vampirisent la population, les maladies déciment les colonies de survivants les unes après les autres. Mais que faire, sinon continuer à vivre afin de se faire une place sur cette Terre, aussi souillée soit-elle ?

Et c’est là le but de la narratrice, une figure fantomatique peu amène, d’un cynisme à glacer les sangs. Portant sur les événements et les personnes qui l’entourent un regard monochrome (littéralement) et désabusé (affreusement), elle n’en reste pas moins notre point d’attache à ce monde qui pourrait nous engloutir par sa violence. Ce qui est encore plus effrayant, c’est que par moments, elle montrera un peu de l’humanité (au sens noble du terme) qui l’a habitée avant de nous replonger plus violemment dans la Mandchourie de 2213.

Une Mandchourie survivante de la montée des empires asiatiques et habilement dépeinte par Dufour en à peine plus de 300 pages, là où d’autres auteurs se seraient déversés sur mille. Elle fait preuve d’une réelle maîtrise de son sujet au travers de ses enjeux linguistiques, anthropologiques ou conceptuels, et offre à voir un avenir tristement plausible. Les gouvernements qui ont déserté leur poste, les pandémies qui n’émeuvent plus personne, le ciel noir rempli de substances innommables, les nouveaux services qui ont émergé avec la technologie, l’extrémisme vaudou qui prend ses quartiers… tout est décrit avec une économie de mots, mais d’une précision chirurgicale.

Au détour de dialogues truffés de néologismes, on entrevoit le chaos dans lequel l’humain a basculé. D’ailleurs, avec les créations de Dufour, les amateurs de jeux linguistiques seront ravis. En effet, entre les mots d’emprunt (pas mal de chinois) et les mots-valises, une nouvelle typographie a fait son apparition : celle qui ne prend plus la peine de capitaliser la première lettre des noms propres et leur préfère la Menthe ou le Thé, ressources que l’on devine rares, divinisées. Mais que les néophytes en science-fiction se rassurent : quand les mots sont posés avec autant de justesse, aucun risque de se perdre dans ce monde riche et crédible.

À vrai dire, la tentation est grande de le fuir tant il est malsain. Au cours de ma lecture, j’ai dû m’octroyer quelques pauses pour souffler, tant je rejetais ce monde, tant il est évident qu’il pourrait être ce vers quoi nous nous dirigeons. Mais c’était à chaque fois pour me rejeter de plus belle dans ce récit puissant qui nargue son lecteur jusqu’à la fin. Quelques années après la première lecture, je tremble encore en relisant certains passages, dont certains présentent des similitudes avec l’univers gore, désespéré et lancé à une vitesse folle du Transperceneige de Bong Joon-ho.

En bref, Le Goût de l’immortalité a été une véritable claque. On utilise ce terme pour beaucoup d’œuvres, mais, pour moi du moins, ce roman figure dans le panthéon de la claque : dérangeant dans ses idées, beau dans ses mots, désespéré dans sa narration. Catherine Dufour a livré une œuvre magnifique.

Vidéos

Portrait de Catherine Dufour. Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis.

Au-delà des frontières. Université de Bordeaux Montaigne.

Sites internet