La Reine en jaune, Anders Fager, Mirobole Éditions
Jérôme Noirez
Après nous avoir régalés de bonheur en nous mettant le trouillomètre proche du zéro avec Les Furies de Borås d’Anders Faber, les Éditions Mirobole récidivent avec La Reine en jaune du même auteur. Ce dernier poursuit sur le même registre horrifique en nous laissant entrevoir quelques vérités indicibles que ne saurait renier le maître de Providence, participant ainsi, sous une écriture acérée et résolument moderne, et pour notre plus grand bonheur, à la matière lovecraftienne.
Les Furies de Borås, Anders Fager, Éditions Mirobole

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ANDERS FAGER

Infos pratiques

La Reine en jaune et autres contes horrifiques

Samlade svenska kulter

Anders Fager

Suède

Carine Bruy

iampuay, Noppanisa Chantawongvilai

Chloé Madeleine

Mirobole Éditions

Horizons pourpres

Inédit

Janvier 2017

320 pages

Moyen Format

22,00 euros

978-2-37561-052-7

© Éditions Mirobole Éditions, 2017 – © Anders Fager, 2011 – © Photos : iampuay, Noppanisa Chantawongvilai

La Reine en jaune

Anders Fager

Éditions Mirobole

Chronique réalisée par Frank Brénugat
Les Furies de Borås, Anders Fager, Éditions Mirobole

Nouvelles horrifiques

Suède contemporaine

Fantastique lovecraftien

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages
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HISTOIRE

Dans une Suède contemporaine, la première nouvelle, intitulée Le Chef-d’œuvre de mademoiselle Witt met en scène My Witt, artiste et galeriste manifestement très hype de la capitale, laquelle s’amuse aussi vite qu’elle se lasse de ses performances artistiques, aussi hardcore soient-elles. Se mettant en scène avec un sens de la provocation que rien ne saurait ébranler, elle donne à voir d’elle-même dans ses compositions pornographiques un spectacle des plus décadents et des plus transgressifs. Elle cultive une esthétique pornographique où la beauté le disputerait à l’indécence la plus vulgaire, devant un parterre de spectateurs tantôt acquis tantôt révolté face à autant de perversion et de débauche. Jusqu’au jour où une inconnue lui propose une performance d’une tout autre nature, devant sublimer l’ensemble de sa carrière…

Un commando militaire se voit confier une mission pour le moins « habituelle » : l’élimination d’un groupe d’individus dont le commanditaire s’est bien gardé d’annoncer la nature. Ce qui est plus inhabituel en revanche, c’est bien le pédigrée même des assiégés. Engagés dans une mission secrète et manifestement des plus dangereuses, voilà nos éradicateurs professionnels confrontés dans Quand la mort vient à Bodskär à un adversaire des plus inattendus, lointains cousins des tristes et poisseux habitants du Cauchemar d’Innsmouth de Lovecraft. Devant la nature si repoussante et si inhumaine des victimes et confrontés à la boucherie à laquelle ils doivent pourtant se livrer, nos commandos devront tenir coûte que coûte leur position face à cette multitude d’êtres hideux sortis des profondeurs des océans. Les quelques survivants de cette indicible opération n’en sortiront pas tous indemnes, les vivants enviant presque leurs camarades morts au combat, libérés à jamais de tant d’horreurs. Si nos professionnels du crime connaissaient les risques inhérents du métier, ils en ignoraient en revanche certains des tenants et aboutissants. Bien mal leur en a pris…

Sur une route en direction des Balkans, une étrange cohorte de réfugiés tente de rejoindre un nouvel eldorado, loin de la condition exécrable et misérable dans laquelle ces derniers séjournaient bien malgré eux, honnis de tous — et des humains tout particulièrement. Devant effectuer un très long et non moins périlleux périple sur les routes continentales, notre surréaliste équipée s’apprête à affronter les conditions du monde contemporain, avec toute l’impréparation de leur nature. Ces nouveaux migrants, définitivement inaptes aux conditions d’un monde moderne — trop plein d’humains — doivent emmener dans leur bagage Grand-Mère, laquelle n’est pas précisément la Mère-Grand rêvée par beaucoup. Autant les nôtres nous gâtent par leurs préparations culinaires, autant celle-ci préfère laisser les petits fourneaux pour se mettre à table, tous crocs dehors…

Lecture

Si les auteurs venus du froid ont su manifestement plus que gagner leurs lettres de noblesse dans le registre du polar, gageons que ces mêmes ne tarderont pas à les conquérir noblement dans le domaine horrifique. Le petit monde du cinéma ne semble pas s’y être trompé d’ailleurs, puisque les droits cinématographiques de ces nouvelles ont été achetés en vue d’une série, avec aux commandes les réalisateurs Måns Mårlind et Björn Stein à qui l’on doit Storm, Le Silence des ombres (Shelter) ou encore Underword : Nouvelle Ère. Celle-ci, coproduite avec HBO et Canal +, sera diffusée en France en 2017-2018. Alors, un tel engouement est-il justifié sur le plan romanesque qui nous concerne ?

Manifestement oui. Anders Fager s’avère être un très bon conteur des temps modernes. Voire excellent. Ce nouveau recueil reprend les formes du précédent, à savoir celle du fix-up — comprendre un roman composé de plusieurs nouvelles réunies en un seul ouvrage afin de former une histoire cohérente. En partie tout au moins. En effet, sur la dizaine de nouvelles que comporte le recueil, quelques-unes peuvent être lues indépendamment de la pseudo-trame que constitue la nouvelle principale Le Chef d’œuvre de mademoiselle Witt. En tant que fix-up, La Reine en jaune impose au lecteur un travail de reconstruction, autorisant, par la multiplication des ellipses structurelles, nombre d’interrogations sur la nature même des récits. Il donne à lire un ensemble homogène et organique, chaque nouvelle fécondant la suivante et réciproquement, attirant le lecteur dans les méandres du récit, quitte à le perdre parfois en chemin.

Cinq nouvelles et autant de fragments qui flirtent ouvertement avec les codes du récit lovecraftien, où l’indicible ne manque jamais de poindre, distillant ici et là matière à s’horrifier. Là où notre auteur suédois se détache assez nettement du reclus de Providence, c’est que le premier laisse moins entrevoir l’horreur que ce dernier. Il faut au lecteur prendre le relais, faire l’effort de se mettre en situation, se faire acteur pour saisir tous les enjeux qui ont pu se jouer sur la scène du drame. En cela, Fager sollicite plus que de raison notre axe hypothalamo-pituito-surénal (sic !), siège où nos hormones de stress, cortisol & compagnie sont activées. Beaucoup de hors-champs donc dans la construction narrative de Fager, où derrière une horreur simplement suggérée, nos fantasmes prendront le versant inflationniste pour mieux titiller ledit axe. Ou pas. Certains lecteurs, peu habitués au registre, seront peut-être déçus de voir tant de promesses pour aussi peu de résultats affichés, explicites, exceptions faites peut-être des nouvelles Quand la mort vint à Bodskär et Le Voyage de Grand-Mère, qui elles donnent à voir et non pas simplement à entrevoir. Non point que l’auteur chercherait par souci d’économie à flouer son lectorat sur la marchandise horrifique. Non point que les codes littéraires soient différents — comprendre ici moins démonstratifs — que ceux du cinéma. Que nenni ! Simplement parce que Fager — probablement fin lecteur des grands maîtres littéraires du fantastique — s’épargne une construction narrative par trop édifiante. Trop vraisemblablement afficheront les esprits chagrins. Notre sieur semble parfois pécher par omission et en cela, ce second opus semble moins tenir ses promesses que le premier. Autant la plupart des textes des Furies de Borås ont su jouer sur la corde sensible du grand frisson en nous plongeant au cœur du récit lovecraftien (conférer en cela la nouvelle éponyme du recueil, magistrale) et sur celle de la mélancolie (remarquable Trois semaines de bonheur), autant l’émotion s’étiole parfois d’un texte à un autre. Efficace, mais point renversant. Point de fulgurance dans cet opus, mais un ensemble qui n’en demeure pas moins pour autant d’une très bonne facture.

Sur un terrain plus conceptuel, Fager semble se faire plaisir en livrant à notre regard une société qui se complaît dans un voyeurisme et une pornographie consommés ad nauseam. Une civilisation ballonnée qui finit par s’engloutir elle-même sous le poids de sa boulimie. Un Malaise dans la civilisation inversé, revu et corrigé par notre écrivain venu d’hyperborée. La dimension salvatrice viendra peut-être des horreurs sans nom, lointains cousins de notre chère humanité que notre modernité ne saurait — ou ne voudrait — voir. Et là où Lovecraft ne voit que décadence et affaiblissement de la race dans les erreurs d’une Mère Nature si marmoréenne et si alexithymique, Fager parvient à nous les rendre humaines, trop humaines. En ce sens, le fantastique fagérien épouse davantage le barbare salvateur d’un Conan howardien en lutte contre la décadence du monde civilisé que le gentleman victorien lovecraftien en lutte contre la barbarie d’une faune sans cesse grouillante et toujours plus nombreuse, laquelle s’origine dans un métissage multiracial des plus anxiogènes pour le sieur de Providence.

Même si La Reine en jaune ne parvient pas à se hisser sur les plus hautes marches du registre horrifique, comme son prédécesseur Les Furies de Borås, ce recueil n’en demeure pas moins hautement recommandable. Écriture ciselée, analyse acerbe et vénéneuse de notre belle modernité, intrigues qui ne sauraient laisser indifférents, autant de qualités que Fager cultive, faisant de cet auteur un bien digne héritier de Lovecraft. « La beauté du diable pour l’écriture, le génie du mal pour la construction… » nous renseigne la quatrième de couverture. Une quatrième qui tient assurément ses engagements et ne saurait tromper son lectorat.

Vidéos

Chronique de la Reine en jaune. Welcome to Nebalia.

Entretien d’Angers Fager pour La Reine en jaune. La Dimension Fantastique.

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