Jérôme Noirez
Dans une Bretagne résonnant encore des récits celtiques, où l’Église catholique tente d’ériger ses clochers plus hauts que les menhirs, Jean Teulé raconte la vie d’Hélène Jégado, dite « Fleur de tonnerre ». Le crâne bourré de croyances, peurs, et superstitions, elle va incarner la Mort, tuant quiconque croisera son chemin tout au long de sa vie. Fleur de tonnerre est un récit à découvrir aux éditions Julliard.

Infos pratiques

Fleur de tonnerre

Jean Teulé

France

Frédéric Poincelet

Julliard

Inédit

Mars 2013

288 pages

Grand Format

20,00 euros

978-2260020424

© Éditions Julliard, 2013 – © Frédéric Poincelet, 2013

Fleur de tonnerre

Jean Teulé

Éditions Julliard

Chronique réalisée par Jory Deleuze
Fleur de tonnerre, Jean Teulé, Éditions Julliard

Superstitions bretonnes et crimes

Bretagne profonde / XIXe siècle

Historique

NOTRE ÉVALUATION

Histoire
Écriture
Personnages
Vidéos FLEUR DE TONNERRE
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HISTOIRE

Née en 1803 près de Lorient, Hélène Jégado, surnommée par sa mère « Fleur de tonnerre » reste à ce jour la plus grande serial killeuse de l’Histoire. Accusée du meurtre de 37 personnes, elle sera guillotinée en 1852 à Rennes, où elle avouera sur l’échafaud avoir été à l’origine de bien plus de morts. Cette histoire ne vous dit rien ? Et pour cause : le procès se déroula en même temps que le coup d’État de Napoléon III, reléguant cette sombre affaire bien au-delà du second plan de l’Histoire de France.

Fleur de tonnerre baigna depuis toute petite dans les croyances et légendes bretonnes contées par ses parents. Les pétales de coquelicot suceurs de sang si l’on ne prend pas garde de couvrir ses mollets, les « fleurs à vipère » à ne pas cueillir sous peine de voir sa langue se fendre en deux, emmurer un nouveau-né dans le pilier d’un nouveau pont pour conjurer le mauvais sort sont autant de reliquats des croyances celtiques et bretonnes que le christianisme peinait à supplanter en cette époque de grandes transitions. Les créatures imaginaires et effrayantes peuplent aussi les esprits craintifs avec ces sirènes, fées, et autres poulpiquets. De toutes ces légendes, la plus effrayante demeure celle de l’Ankou. Cette faucheuse squelettique vêtue d’une cape et d’un large chapeau parcoure les terres bretonnes avec sa charrette grinçante dans laquelle tombent, morts, les infortunés passants. Trois coups frappés à la porte sont signe de sa présence, aussi faut-il éviter de répéter quelconque bruit à trois reprises.

C’est imprégné de ces mythes que Fleur de tonnerre grandit. À huit ans, elle entame sa carrière d’Ankou en empoisonnant sa mère avec de la belladone. Son père, démuni et ignorant la responsabilité de sa fille, se voit obligé de se séparer d’elle et de ses terres, envoyant Hélène chez sa tante où elle deviendra domestique. Devenue cuisinière, elle servira invariablement à ses employeurs des petits plats fortement appréciés qui, plus tôt que tard, finissent agrémentés d’une pincée d’arsenic. Son dur labeur abattu, elle profitera du mutisme éternel de ses victimes ou de l’anéantissement des survivants pour poursuivre sa route jusqu’au prochain logis qui l’accueillera, inconscient d’avoir mis la Mort aux fourneaux.

Lecture

Fleur de tonnerre pourrait passer pour un conte, tellement cette histoire semble absurde, impossible. Comment autant de meurtres n’ont-ils pu être interrompus plus tôt ? Et pourtant, Hélène Jégado a bel et bien existé, empoisonnant sans distinction nourrissons, enfants, hommes, femmes, et vieillards qui ont croisé son chemin. Il aura fallu attendre des années avant que la justice ne l’attrape, trop tard pour plus d’une soixantaine d’infortunés selon certaines estimations. Ce n’est pas mû par la haine ou la peur des autres qu’elle choisit ses victimes, mais par devoir, autoproclamée Ankou. Ne voulant pas craindre la Mort, elle préféra l’incarner, avoua-t-elle peu avant son exécution à l’abbé venu recueillir ses dernières paroles. Elle agissait mécaniquement, sans cible précise, des plus innocents à ceux qu’elle aimait, non sans en souffrir.

Comme dans Mangez-le si vous voulez, Teulé met en avant la bêtise d’un peuple sous-informé et sous-cultivé, à une époque pas tant éloignée de la nôtre. La succession ahurissante, mais amusante, de superstitions, de pratiques mêlant folklore breton et catholicisme – comme « Notre-Dame de la Haine » où les fidèles viennent prier Saint-Yves-de-Vérité pour le décès d’ennemis ou proches en vue d’un héritage, sous peine de molester la statuette du Saint – ainsi que les réactions peu éclairées des représentants d’une médecine alors balbutiante et incapable d’identifier ou – encore moins – de soigner les victimes dans leur agonie, sont autant d’éléments inquiétants sur la condition humaine.

Si les faits sont dramatiques, Teulé réussit à rendre son récit léger et drôle – humour noir, mais humour quand même, comme en témoigne cette étrange scène faisant suite à  l’assassinat d’un enfant. La narration et le découpage du récit font penser aux ressorts de certaines comédies, et empruntent aux codes de la BD – dans laquelle Teulé fit ses premières armes. Depuis les premières pages jusqu’à la fin, nous suivons en guise de fil rouge deux pauvres perruquiers. Venus acheter les cheveux des Bretons, ils seront victimes de divers incidents dès qu’ils croiseront le chemin de Fleur de tonnerre, pourtant innocente à leurs déconvenues, comme une sorte de malédiction en sa présence.

Gardons toutefois à l’esprit que ce roman, bien que basé sur des faits réels, n’en reste pas moins une fiction où l’auteur tente d’articuler les faits entre eux. Et là, résident sans doute les deux principales limites du roman. Tout d’abord, si l’écriture de Teulé est incontestablement réussie, jonglant entre un style enlevé, recherché, agréable, et un autre plus brut, tranchant volontairement l’effet précédemment amené, le récit tombe très vite dans la répétition, où se succèdent les empoisonnements sans trop d’originalité. Hélène Jégado se contente d’arriver dans un foyer, tuer ses occupants en quelques jours, et repartir sur les routes. Mais peut-on reprocher aux faits de ne pas être divertissants, et à un tueur de manquer de motifs ? L’autre limite concerne les personnages, peu construits. Même Fleur de tonnerre reste obscure et superficielle dans ses motivations, jusqu’à ce qu’elle délivre ses aveux. Est-ce sans doute la volonté de l’auteur de ne pas substituer son imaginaire à ceux qui furent victimes et acteurs de ce drame étalé sur une quarantaine d’années ?

Malgré cette redondance, le récit est court et agréable. Il nous permet surtout de faire connaissance avec celle qui semble être encore à ce jour la plus grande criminelle de l’Histoire.

Vidéos

Fleur de tonnerre raconté par Jean Teulé. edjulliard.

Hélène Jégado, l’empoisonneuse. Sonya Lwu.

Sites internet